Les croisés identitaires ne nous voleront pas l’universel ! Réponse à Monsieur Guéant

mardi 14 février 2012.
 

En mission pour concurrencer le Front National, le ministre de l’intérieur Claude Guéant a délivré hier sa subtile vision du monde lors d’une réunion de l’UNI* : « Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. [...] Celles qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. [...] Celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique ». Et d’ajouter que « notre civilisation » doit être défendue, sous-entendu, de manière à peine voilée, contre la civilisation musulmane. Cette sortie abjecte a à l’évidence pour but de flatter l’électorat frontiste, et plus particulièrement sa frange « intellectuelle » depuis longtemps porteuse d’une vision « civilisationnelle » du monde. Par Arnaud Le Gall, militant membre de la commission internationale du Parti de gauche.

Mais la réplique ne doit pas se limiter à une dénonciation du caractère électoraliste de ces propos qui établissent des différences irréductibles, et donc une hiérarchie, entre les « civilisations ». Car Guéant tend un piège à la gauche, sommée ici de choisir entre accepter la « supériorité de certaines civilisations », ou « la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique »... Bref deux positions indéfendables pour toute personne de gauche. On connaît la suite. Quiconque s’aventure à critiquer les propos de Guéant sans avoir le temps de développer, ou en se limitant comme souvent à gauche à une posture morale..., est immédiatement assailli par les idéologues de second rang de l’UMP, ou par ses intellectuels organiques, répétant en boucle que la gauche défend « la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique »...

Que faire alors Monsieur Guéant ?

On est en droit de demander à monsieur Guéant des précisions sur les préconisations qu’il tire de sa vision du monde quant à la politique extérieure de la France. Avec un tel outillage idéologique, deux possibilités existent en réalité. Le maître de Claude Guéant a d’ailleurs parfaitement su puiser dans les deux registres depuis 2007, sans jamais se départir de son inféodation aux États-Unis via l’OTAN, bras armé de la « défense de l’Occident ».

Puisque monsieur Guéant et son camp politique semblent considérer que le rapport aux droits de l’homme de telle ou telle « civilisation » est inscrit dans « sa nature », donc inamovible, ils peuvent refuser toute idée de les promouvoir en dehors des limites de l’« Occident ». Ils se contenteront alors, par exemple en mettant notre savoir-faire policier à son service, de s’assurer du soutien de quelque autocrate dans la « défense-des-intérêts-de-l’Occident », tout en y glanant quelque chose pour la défense de notre « identité nationale », ici incarnée par telle ou telle multinationale.

Mais on peut tout aussi bien, comme l’a montré Nicolas Sarkozy en suivant docilement les USA dans l’une de leurs dernières « croisades pour la civilisation », tenter à leur côté d’imposer des droits de l’homme –rabougris à leur conception purement libérale- par le fer et le sang. Avec les brillants résultats que l’on sait.

Mais n’en déplaise à monsieur Guéant, qui prétend défendre « l’universalisme » contre la « gauche relativiste », ces deux postures sont relativistes. Elles confondent en effet, en conformité avec la vieille tradition coloniale, universalisme et impérialisme. La première sous-traite à de dociles alliés, par exemple vendeurs de pétrole qu’on ne cherchera pas à convertir aux droits de l’homme, la défense de la domination états-unienne et de son auxiliaire européen sur le monde. La seconde vise à aller prendre directement les ressources à la source, tout en prétendant défendre les droits de l’homme. Outre qu’il s’agit d’une conception dogmatique et particulariste des droits de l’homme conçus comme le produit instantané du plaquage de quelques institutions « à l’occidentale », on n’a de toutes façons jamais réussi à imposer des nouvelles pratiques, aussi positives fussent-elles, par la force brute.

Bref, dans cette histoire vous êtes le relativiste Monsieur Guéant !

Qu’il nous soit donc permis de vous donner quelques conseils dans votre louable combat pour défendre les Droits de l’Homme dans tout l’univers...

Internationalisme universaliste contre choc des civilisations relativiste

Rappelons d’abord que la notion de « civilisation » est une catégorie fourre-tout qui ne permet pas de comprendre le monde actuel. Les utilisateurs de cette notion s’imaginent, ou font mine de s’imaginer, qu’elle recouvre des entités homogènes et composées d’individus uniformément prédisposés à avoir tel ou tel rapport aux Droits de l’Homme. Elle sous-tend une conception d’un monde dont les dynamiques seraient religieuses, culturelles etc. Bref, tout sauf politiques et économiques. De la dépolitisation à grande échelle en quelque sorte.

Or les idées et pratiques réelles -et non les « valeurs », abstractions propres à toutes les manipulations- que l’on met sous l’étiquette universelle des Droits de l’Homme, sont tout sauf le produit automatique d’une culture qui les renfermerait dans sa nature. Elles ne sont pas réservées à telle ou telle « civilisation ». Mais cela ne veut pas dire que leur application s’apparente à du « café instantané », pour reprendre l’expression d’Hubert Védrine. Elles sont le produit de processus historique marqués par autant de luttes politiques, et supposent également des conditions de vie digne sur le plan socio-économique.

Historiquement, ces luttes ont eu lieu, et s’est toujours le cas actuellement, au sein des États-(nations) dans le cadre de solidarités internationalistes. A cet égard le Front de Gauche, qui a par exemple dès le premier jour soutenu les opposants à Ben Ali, n’a pas de leçon d’universalisme à recevoir du membre éminent d’un parti qui a cautionné la proposition d’une ministre de l’intérieur de défendre le dictateur contre son peuple révolté...

Ces produits d’une histoire et de luttes que sont les Droits de l’Homme sont toujours à défendre et à étendre. Par exemple, le Front de Gauche entend défendre bec et ongles la conception des Droits de l’Homme imposée par le Conseil National de la Résistance au sortir de la guerre, contre la politique de l’UMP et son idéologie réduisant les droits de l’homme à des libertés formelles (par ailleurs de plus en plus bafouées). Le CNR avait imposé une conception des Droits de l’Homme, élargis aux droits économiques et sociaux, qui n’est pas la vôtre et que vous combattez. Nous ne lâcherons rien là-dessus non plus !

Mais si monsieur Guéant veut vraiment défendre les Droits de l’Homme, il peut lire et s’inspirer du programme du Front de Gauche. S’il y consent, sa petite polémique qui en dit long sur la dérive de la droite dite « républicaine » n’aura alors pas été totalement négative. Car à la différence des vrais relativistes, nous croyons en la possibilité pour tout être humain de (re)prendre le chemin du combat pour le progrès humain après avoir été convaincu par la méthode du débat argumenté et rationnel.

*Union Nationale Inter-universitaire, principal syndicat étudiant de droite.

Arnaud Le Gall membre de la commission internationale du Parti de Gauche


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