Afghanistan : une conférence internationale indécente à l’heure du bilan

jeudi 15 décembre 2011.
 

Le 5 décembre 2001, lors de la conférence de Bonn, la « communauté internationale » accompagnée des nouveaux dirigeants de l’Afghanistan promettait aux afghans un avenir radieux. Les accords prévoyaient l’installation d’« institutions solides et durables » pour faire entrer le pays dans une « ère de paix et de reconstruction ». La semaine dernière, dix ans après jour pour jour, s’est tenue la conférence de Bonn 2, en vue de définir les modalités de l’aide internationale après le départ officiel des troupes étrangères prévu pour 2014. L’heure est au bilan en ce qui concerne l’aide au développement qui était censée accompagner la guerre. Il est sans appel.

Un bilan désastreux

Depuis dix ans cette aide s’est résumée à un fatras de « projets » sans plan d’ensemble, à hauteur de 57 milliards de dollars. Une somme ridicule par rapport au budget de la guerre, captée de surcroît à plus de 80 % par des chefs de guerre qui contournent l’État et se partagent en clientèles un peuple spectateur. Les institutions ont été plaquées dans la précipitation, sans tenir compte des réalités. La démocratie et les droits de l’homme n’existent que dans les rapports officiels.

Dernier exemple en date du sort réservé aux femmes : dans sa grande magnanimité le président Hamid Karzaï vient de faire libérer une femme de 19 ans, condamnée à 12 ans de prison pour avoir eu une relation sexuelle hors mariage... dans le cadre d’un viol, à condition qu’elle épouse son violeur. Certes on nous dira qu’il y a là un progrès par rapport à la lapidation, qui d’ailleurs perdure dans certaines campagnes, mais on est loin des promesses faites la main sur le cœur avant une intervention censée entre autres « libérer les femmes afghanes ».

Quant à l’accès à une scolarité digne de ce nom, aux soins, à l’électricité, etc., il ne concerne que quelques privilégiés. La majorité des Afghans vit avec moins de un dollar par jour. Kaboul est cerclée de baraquements de fortunes construits par les paysans qui fuient des campagnes où règne l’insécurité. Le trafic de drogue représente 60 % du PIB. L’État est aux mains des anciens chefs de guerre qui agissent comme autant de forces centrifuges. Ayant le « choix » entre ces chefs honnis, dont un président Karzaï qui a le népotisme pour seule ligne, et les talibans redoutés, qui contrôlent désormais plus des deux tiers du territoire, les afghans n’ont plus aucune confiance dans les acteurs internationaux.

Devant un tel bilan on est en droit de demander : derrière les discours officiels y avait-il un autre objectif pour les USA et leurs alliés que celui de s’implanter militairement en Asie centrale, zone stratégique à la confluence de la Russie, de la Chine, du Pakistan et de l’Iran ?

Une conférence stratosphérique

Il y avait en tous les cas quelque un étalage indécent de bonne conscience à déclarer lundi que la « communauté internationale n’abandonnera pas l’Afghanistan après 2014 ». Chacun y est allé de sa formule creuse. Il est ainsi prévu que Nicolas Sarkozy signe en janvier prochain avec son homologue afghan un « traité d’amitié et de coopération centré sur l’aide civile, la formation, l’éducation, la santé et l’économie ». Hilary Clinton a elle déclaré : « nous resterons aux côtés des autorités afghanes, mais elles devront prendre en main la défense du pays et assurer la démocratie ». Mais personne n’a pris le moindre engagement chiffré...

Tout le monde sait pourtant que l’insécurité persistante est un obstacle majeur à toute tentative de reconstruction du pays, et que les forces de police et l’armée afghanes seront, sauf changement majeur de stratégie et volonté réelle d’y mettre les moyens, incapables d’assurer une élémentaire stabilité après 2014. D’ailleurs les traités signés avec Karzaï, dont le seul objectif est de se maintenir au pouvoir après 2014 quitte à violer la constitution, prévoient le maintien de bases de l’Otan. A l’encontre de la volonté du peuple afghan qui a violemment manifesté contre cette décision il y a quelques mois. Enfin, après l’Irak l’Afghanistan est le nouvel eldorado des sociétés militaires privées, dont l’une d’elles conseille le président dans son projet de bâtir sa propre compagnie.

Comme si tout ceci ne suffisait pas à rendre surréalistes les déclarations tenues à Bonn, il faut préciser que le Pakistan, acteur incontournable du conflit, étaient absent de cette conférence. Officiellement pour protester contre le raid de l’Otan qui a récemment tué 28 de ses soldats, mais aussi parce que le régime pakistanais veut bloquer tout construction d’un Afghanistan stable susceptible de s’allier avec l’Inde tant qu’il n’aura pas obtenu quelques garanties sur ce point.

Comme en écho à ces billevesées, trois attentats ont fait 78 morts dans les deux jours qui ont suivi la conférence. Deux d’entre eux, attribuables à une organisation terroriste islamiste basée au Pakistan et distincte des talibans, visaient pour la première fois des chiites afghans en raison de leur appartenance confessionnelle. Le spécialiste de l’Afghanistan Gilles Dorronsoro estime qu’il y a désormais « un véritable risque de guerre confessionnelle ».

Sauver ce qui peut l’être

Devant une telle situation, il est urgent pour la « communauté internationale », et d’abord pour les occidentaux, de revenir à un peu plus d’humilité. Ceci suppose d’en finir avec les séances d’autosatisfaction du type Bonn 2, qui au regard du sort réel réservé au peuple afghan sont indécentes.Bonn 2 ne restera qu’un exemple parmi d’autres de ces rencontres déconnectés des réalités. L’ONU, qui est censée coordonner l’aide au développement sur place, mais dont les agents doivent parfois payer de leur vie l’écart entre les promesses et les réalités, n’a pas à endosser le rôle de supplément d’âme des guerres impérialistes. Ceci tend à la discréditer. Pourtant une ONU renforcée, réformée et rendue plus indépendante des intérêts financiers liés à la reconstruction serait la seule à même de coordonner une stratégie internationale réellement au service du peuple afghan.

Surtout, il est urgent d’organiser comme le propose par exemple Karim Pakzad, chercheur à l’IRIS, "une conférence régionale en présence de ceux qui ont des intérêts directs avec l’Afghanistan". En clair il faut réunir les conditions pour mettre ou remettre dans la partie le Pakistan, la Chine et la Russie sans qui rien ne pourra se faire. Quant à la France, elle doit retirer ses soldats et tenter de peser sur la situation en conditionnant toute aide au rétablissement de la paix à l’élaboration d’un plan cohérent élaboré sur la base d’une prise en compte de la situation réelle.

Arnaud Le Gall


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message