Jean-Luc Mélenchon en meeting à Brest

samedi 3 décembre 2011.
 

Brest – 13H30

La petite équipe partie ce matin de Montparnasse arrive à Brest après 4H30 de voyage. Première surprise pour nous qui avons quitté Paris sous la grisaille : il fait ici un grand soleil.

Si nous sommes ici c’est que nous accompagnons Jean-Luc qui doit rencontrer cet après-midi les salariés de la Sobrena, première entreprise de réparation navale civile française. La réparation navale, c’est une tradition ici. Dès les années 1950, les brestois réparent les plus grands pétroliers du monde. Depuis les années 1990, Brest est même devenu le premier port français pour la réparation.

Sobrena est l’entreprise championne en la matière. Elle répare en moyenne quarante navires par an notamment des pétroliers, des méthaniers et des ferries.

Mais depuis 2008, l’entreprise fait face à des difficultés. Elles sont relatives : l’entreprise a encore engrangé des bénéfices l’an dernier. Pourtant, les salariés, 250 personnes, sans compter les 800 emplois qui dépendent indirectement de l’activité de la Sobrena, sont menacées de licenciements à court terme. Le groupe Meunier SA, propriétaire de la Sobrena, envisage en effet le dépôt de bilan depuis le 15 Septembre. Les commandes sont moins nombreuses. L’entreprise a récemment dû faire face à deux mois d’inactivité.

La principale explication : la Sobrena souffre de la concurrence organisée par l’Union Européenne. De plus en plus de compagnies se tournent vers la main d’œuvre moins coûteuse des pays de l’Est. Des intérimaires polonais surexploités viennent ainsi travailler à bas coût sur le chantier brestois, comme ce fut le cas en 2009 quand la Sobrena s’est rapprochée de l’entreprise écossaise Harry Pye. La concurrence ne vient pas que de l’Est. Les chantiers asiatiques se tournent désormais vers la réparation et non plus seulement vers la construction. Et en vertu du droit européen, toute aide d’Etat est interdite pour ne pas fausser la sacro-sainte concurrence libre.

Ici les salariés sont mobilisés depuis deux mois. Le 19 Novembre dernier pas moins de 2500 personnes manifestaient dans les rues de Brest à l’appel de la CGT.

Brest – 15H

On se retrouve tous à l’hôtel le Vauban, un café concert en plein centre de Brest, à deux pas de l’Hôtel de ville. Une première rencontre s’improvise au bar à l’arrivée de Jean-Luc. Jean-Luc n’a pas mangé. En deux temps trois mouvement, un repas s’improvise et le repas est avalé. Record de rapidité battu pour Jean-Luc.

La rencontre formelle se fait dans une grande salle rouge. Les représentants syndicaux se présentent et expliquent la situation. L’un d’entre-eux explique que le patron, Monsieur Meunier, avait un accord avec la Shell jusqu’en 2008. Selon lui, le patron n’a pas fait beaucoup d’efforts pour chercher d’autres marchés. Et quand en 2008, la Shell a demandé d’augmenter le niveau de sécurité suite à une série d’accidents, rien n’a été fait. La Shell a dénoncé l’accord et mis la Sobrena en difficulté.

Principal problème pointé, en dehors de ce manque de volonté du patron : la concurrence libre et non faussée notamment avec les travailleurs espagnols et polonais qui coûtent moins chers, notamment parce que les infrastructures sont mises à disposition des armateurs gratuitement.

Jean-Luc s’intéresse à la question des qualifications des salariés. Ici les travailleurs sont formés sur le terrain. Pas de diplômes, pas de validation d’acquis. Difficile de retrouver un emploi derrière. Leur savoir-faire est pourtant reconnu et l’industrie de réparation indispensable. Les langues se délient : "C’est des métiers durs" explique le responsable de la CGT. "Quand un bateau arrive, on vous dit quand il doit repartir, et le travail doit être fait", "on a énormément de polyvalence pour réussir à tout faire" dit un autre. Sobrena est un fleuron de la réparation navale. Sa disparition signerait la fin de la réparation navale française. Elle obligerait en outre à délocaliser toute cette activité nécessaire en dépit de toute considération écologiste, de tout respect de l’intérêt général, questions sur lesquelles Jean-Luc insiste.

Brest – 16H

On se rend tous sur la place de la Liberté où les salariés en mouvement ont ramené la proue d’un bateau rebaptisé "l’espoir" pour l’occasion. Cette proue est tout un symbole. Elle a été construite dans les années 1990 à l’époque de "Brest debout", mouvement civil et militaire contre la fin annoncée des activités de construction, d’entretien et de réparation de bateaux qui avaient mobilisé des dizaines de milliers de personnes et permis de continuer l’activité d’entretien et de réparation des navires à Brest.

Jean-Luc y lit à haute voix la lettre ouverte au patron de la Sobrena, Monsieur Meunier, d’une "femme de sobréniste" comme elle signe elle-même. Moment d’émotion. La lettre parle des sacrifices qu’ont fait les familles pour Sobrena, de ceux qui sont morts pour elle, de ceux qui mourront de l’amiante dont son victimes les salariés de Sobrena. "Ce ne sont pas des emplois que vous supprimez. C’est des familles que vous trahissez" explique-t-elle. Ici on écoute la larme à l’oeil.

Autour de nous les gens se pressent. Certains se désespèrent. "Tu entends ce qui se dit un peu ?" Il faut dire qu’il n’est pas facile d’approcher Jean-Luc. Les journalistes se piétinent pour l’enregistrer. Si on ne veut pas jouer des coudes, mieux vaut laisser tomber.

Une jeune fille, sourire aux lèvres arrive. Elle arbore fièrement un drapeau de la CGT Finistère. Elle est du centre de tri de la Poste d’à coté qui est en grève depuis mardi. "Viens on va faire un peu de mise en scène" lui dit un de ses collègues. Ils se plantent derrière Jean-Luc, très vite suivis d’autres cégétistes. Tous ont le sourire aux lèvres et écoutent (où essaient d’écouter) ce que Jean-Luc dit face aux caméras. "Tu entends quelque chose ?"

Je parviens à me rapprocher. Jean-Luc parle de la défense du SMIC, du système capitaliste qui ne marche pas. Il incite les travailleurs de la Sobrena à ne pas lâcher. Les questions cessent. Jean-Luc va saluer les militants.

Les salariés du centre de tri de la Poste en grève viennent à la rencontre de Jean-Luc. Ils expliquent ce qui se passe "On en est rendu à un point où on ne remplace plus les absences". "On n’embauche plus de fonctionnaires, même les directeurs sont des contractuels", "On nous annonce qu’on ne traitera plus tout le courrier du jour. Nous on n’est pas d’accord, on estime qu’on a une mission de service public" explique un postier.

L’heure tourne. Les postiers prennent une photo avec Jean-Luc, drapeaux et sourires déployés. Il est déjà temps de partir vers la rencontre suivante. La troupe repart d’un bon pas vers l’hôtel Vauban.

Brest – 16H50

Nous retournons à l’hôtel le Vauban où Jean-Luc rencontre les salariés de l’arsenal DCNS, c’est-à-dire les salariés de la base navale de Brest.

Brest est aujourd’hui, avec Toulon, la principale base navale française. Elle occupe un rôle stratégique particulier dans le dispositif de défense du pays et reste de loin le premier pôle d’activité de la région brestoise.

Cette base, comme la plupart des bases navales, assure deux fonctions : une fonction de service de défense et une fonction industrielle. Cela représente aujourd’hui environ 20 000 emplois.

L’activité industrielle de la base porte essentiellement sur l’entretien et la réparation des navires de surface et des sous-marins. La construction, autrefois dominante, n’occupe plus désormais qu’un peu moins de 10% de l’activité. Cette activité est conduite à titre principal par l’entreprise publique DCNS qui sous-traite une partie du travail. Environ un ménage brestois sur quatre dépend aujourd’hui économiquement de l’activité de la base navale.

La rencontre se fait dans des conditions épouvantables. On ne s’entend pas ! Un groupe répète en même temps juste en dessous de nous. La musique couvre les paroles des salariés et celles de Jean-Luc qui a l’air de réussir à suivre. Moi, derrière la table, j’ai du mal. Je retranscris ici à partir des bribes que j’entends.

Réunis en table ronde autour de Jean-Luc, les salariés expliquent qu’ils ont des inquiétudes sur les coupes budgétaires annoncées par l’Etat et celles qui suivront. Ils sont par ailleurs très critiques avec la politique de DCNS, dont l’Etat est pourtant toujours majoritairement actionnaire (80 %), visant à tout miser sur l’export et sur la rentabilité. Ils nous expliquent aussi que DCNS a mis en place un plan d’indemnité de départs volontaires. Les salariés sont inquiets de cette diminution des effectifs. "On était 6000 personnes on n’est plus que 2700". Ils craignent aussi la fin programmée des activités de construction : "On n’a pas envie de devenir à Brest un garage à sous-marins, on veut maintenir une activité de construction" s’exclame l’un d’eux.

Puis ils reviennent sur leurs conditions de travail. La discussion est animée : "Certains font 40 à 50h par semaines. On travaille à l’objectif selon les méthodes japonaises". "A DCNS c’est pas l’humain d’abord, c’est l’humain après" déplore l’un des salariés."Ils sous-traitent à des entreprises qui font venir des salariés étrangers" explique un autre.

Puis on discute des énergies marines renouvelables. Brest a participé à la construction du premier prototype d’hydrolienne. Les salariés voient dans ces "EMR" une chance pour l’avenir. Mais ils ont leurs craintes. Ils craignent notamment que l’industrie d’hydrolienne parte à Cherbourg et que l’éolien flottant, qui peut être aussi une solution pour l’emploi à Brest, soit transféré à Saint-Nazaire.

La question du rôle de l’énergie nucléaire dans la propulsion de certains navires militaires et des sous-marins nucléaires est aussi soulevée. Les salariés s’interrogent sur une éventuelle sortie du nucléaire, dossier sur lequel ils sont partagés. Ils veulent être sûrs qu’une telle sortie s’accompagnera d’évolution des énergies marines renouvelables. Ils sont d’autant plus interrogatifs que, depuis un an, la construction d’une centrale nucléaire sous-marine est en projet. Les brevets sont déjà déposés nous explique-t-on. Nous sommes tous interloqués. Rien de tel n’est parvenu au parlement de l’Assemblée Nationale. Jean-Luc rassure sur l’intention d’investir dans un pôle énergétique public axé sur les énergies renouvelables, à commencer par l’énergie de la mer et la géothermie. Il rappelle que les savoirs-faire seront nécessaires pour travailler sur les nouvelles énergies.

Autre question importante soulevée : celle de la déconstruction de bateaux en fin de vie. Pour les salariés, c’est inadmissible qu’on les fasse déconstruire ailleurs, en Inde notamment, alors qu’on pourrait le faire en France.

La discussion dure, entrecoupée d’interludes musicaux particulièrement rock-and-roll. Difficile à suivre. Je retiens surtout l’inquiétude des salariés pour leurs emplois et pour la Défense nationale qu’ils ne veulent pas voir bradée ou entretenue par d’autres. Ils nous ont par exemple cité l’entretien d’hélicoptères militaires français réalisé au Portugal. Impensable pour eux qui veulent une Défense relocalisée et qui luttent contre la privatisation de DCNS annoncée comme inéluctable.

Brest – 19H

Moment convivial. Nous rejoignons des militantes et des militants du Front de Gauche autour d’un buffet. Les discussions vont bon train. On parle des rencontres de l’après-midi et de la campagne présidentielle. On raconte à Jean-Luc les luttes sociales passées et présentes à Brest. Un beau moment en toute simplicité entre pain au blé noir, beurre salé, andouille de Guéméné et autres charcuteries bretonnes.

Brest – 20H

A notre arrivée, la petite salle est comble. L’assistance applaudit l’arrivée de Jean-Luc. Il n’y a pas que des brestois. Certains sont venues de Carhaix pour voir Jean-Luc !

C’est Jacqueline, membre du Parti Communiste Français et candidate Front de Gauche pour Brest-ville qui prend la parole la première. Elle présente le Front de Gauche en repartant de la campagne du NON au traité constitutionnel européen et du lancement de l’assemblée citoyenne de Brest, le 14 Novembre dernier. Vient ensuite le tour de Bertrand, membre du Parti de Gauche et candidat du Front de Gauche pour Brest-rural. Il revient sur les inégalités sociales, le chantage à la dette et fustige les plans de rigueur du gouvernement. Puis il présente les candidat-e-s du Front de Gauche aux législatives présent-e-s dans la salle avant de passer la parole à la salle.

Le premier intervenant remercie Jean-Luc d’avoir écouté les travailleurs de la Sobrena et invite l’assemblée à lire la lettre que Jean-Luc a lue à haute voix cet après-midi. L’intervenant suivant veut parler du breton. "Moi j’ai eu honte de ma langue maternelle, j’ai appris le français". "Le breton est vivant" s’exclame-t-il avant d’interroger la position de Jean-Luc sur le sujet. Puis c’est un employé d’une entreprise qui risque de fermer, Jabil, qui prend la parole pour témoigner. Il y a déjà eu 700 licenciements dans cette entreprise. Jabil a délocalisé en Chine. Le patron de l’entreprise explique aux 200 employés encore en activité à Brest qu’ils coûtent trop cher.

Jean-Luc prend finalement la parole. La salle est très attentive. Je ne vais pas ici me lancer dans un résumé d’un discours de Jean-Luc. L’exercice est trop périlleux, le discours trop fourni. Mais ce que je peux en dire c’est qu’il a fustigé ceux qui, à l’instar de Barroso, Van Rompuy, Sarkozy, Merkel, Zapatero, Rajoy, pensent qu’un retour à la normalité du monde d’avant crise est possible. "C’est radicalement impossible" a-t-il asséné. Puis il a expliqué que si Papandréou n’avait pas cédé en 24h face à de telles officines, elles n’auraient pas le pouvoir qu’elles ont aujourd’hui. Il a aussi rappelé les pouvoir accrus donnés aux agences de notation par l’UE depuis juin dernier avant d’indiquer que ces mêmes agences sont responsables des fermetures chez Arcelor-Mittal ou PSA, victimes d’une mauvaise note des agences de notation. Eh oui ! Ces agences notent aussi et surtout des entreprises. Puis il est revenu sur l’exemple portugais et le cercle vicieux des plans d’austérité et des notes des agences de notations en baisse qui les suivent inévitablement, l’activité et les rentrées fiscales baissant. Un "terrible engrenage" dans lequel "Fillon a mis le doigt". Il est vrai qu’on en est déjà au second plan d’austérité…

Il a ensuite dénoncé le coup d’Etat des financiers, du G2 de "Merkozy" qui convoque les premiers ministres et installe "des suppôts de la Goldmann & Sachs et de la BCE" à la tête des Etats. Il a fustigé les nouvelles règles de la gouvernance économique européenne, son semestre européen, négation du pouvoir parlementaire, ses sanctions économiques en cas d’écart de conduite vis-à-vis des règles économiques que concluent les sommets de la zone euro. "C’est la dictature" crie quelqu’un au premier rang.

Jean-Luc est bien sûr revenu sur la question de la réparation navale. Il a expliqué que si le chantier de Brest disparaissait il n’y aurait plus aucun point de réparation des navires sur le littoral français, que les méthodes écologiquement responsables mises en oeuvre par les employés de la Sobrena ne devaient pas être perdues. Approbation générale.

Revenant à la campagne en cours, il a dénoncé le "vote utile", cette "atrophie de la pensée politique" : "ceux qui abandonnent leurs convictions à la porte du bureau de vote ne doivent pas s’étonner de ne pas les retrouver à la sortie". Et de rappeler le programme d’austérité d’Hollande, ses 50 milliards d’économies supplémentaires, sa volonté d’arriver au sacro-saint équilibre budgétaire en 2017 en passant par un déficit à 3% du PIB en 2013.

Il a encore appelé à réaliser des assemblées citoyennes où l’on s’éduque les un-e-s les autres, dans le respect de chacune et de chacun, avec application et sérieux.

Pour finir, répondant à la question sur les langues régionales, Jean-Luc a rappelé qu’il n’avait rien contre les langues régionales, qu’au contraire il souhaitait qu’elles soient enseignées dans l’éducation publique. Il a expliqué combien il souffre au Parlement européen de l’uniformisation du tout anglais. Il a, par contre, expliqué qu’il n’était pas d’accord avec l’enseignement des langues par immersion en général, que ce soit pour l’anglais, le breton ou l’espagnol ou pour toute autre langue.

Je vous ai retranscris ce qui a le plus attiré mon attention. J’attire la votre sur le fait que le discours de Jean-Luc a traité de bien d’autres sujets, beaucoup trop pour que je puisse vous en transmettre la teneur.

La réunion s’est terminée sur une internationale chantée poing levé. Quelques minutes auparavant, dans son discours, Jean-Luc avait rappelé la symbolique du poing fermé "tous différents et tous unis". Un message bien compris ce soir.


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