Les valeurs du rugby, un cliché ou une réalité  ?

jeudi 20 octobre 2011.
 

Face-à-face :

- Jean-Pierre Ellisalde, ex-international et entraîneur, consultant pour la chaîne Canal Plus,

- Raphaël Poulain, 
Ex-joueur du Stade français*.

Le rugby, école de la vie, c’est ce que clame la Fédération française de rugby à travers une campagne de promotion. Pourtant, le parcours en Coupe du monde du Quinze de France, 
la vitrine de l’Ovalie française, 
ne plaide pas en faveur des valeurs que ce sport revendique. 
Est-ce symptomatique d’un malaise dans le rugby  ?

Jean-Pierre Elissalde. Pour moi, non. Les valeurs du rugby n’ont pas changé. En revanche, celles autour du rugby ont beaucoup évolué. La pratique de ce sport implique toujours sur le terrain et par nature d’être solidaires entre joueurs, de travailler dans la discrétion pour les avants, dans la lumière pour les arrières. La volonté, la solidarité sont les valeurs du rugby. Elles n’ont pas d’âge, ni de niveau. Des cadets à la quatrième série jusqu’à l’équipe de France, elles sont nécessaires à la pratique. Sans elles, l’équipe devient friable, comme les Bleus face aux Tonga. Ce sont les valeurs du rugby et peut-être de beaucoup d’autres sports.

Raphaël Poulain. Oui, pour moi, il y a bien un problème. Mais il ne concerne pas que les joueurs. D’ailleurs, il faut arrêter de tirer à vue sur eux. On les encense un jour. On les descend un autre. C’est le grand jeu des médias. Mais ça n’avance à rien car on ne s’attaque pas au problème de fond. À mon sens, après cette Coupe du monde, il faut que le rugby français réponde enfin à cette question  : que veut-il faire de son sport  ? Il faut tirer les leçons des quinze années de professionnalisme. Aujourd’hui, on réduit la pratique à des contingences technico-tactiques. Mais où est le joueur dans tout cela  ? Qui prend en compte l’individu  ? Cette discipline sportive n’est pas une science, comme voudraient le faire croire certains entraîneurs. J’en ai assez que les clubs veuillent des joueurs petits soldats. Marc Lièvremont, lui, est allé à l’encontre de tout cela en demandant à ses joueurs qu’ils s’impliquent humainement. Mais il a face à lui une autre génération  : des professionnels. Les valeurs que pouvait véhiculer le rugby s’effritent. Soit on continue comme ça et on foncera dans de nouveaux murs. Soit on change. Tous les acteurs du rugby doivent se mettre autour de la table pour arrêter la marche folle du rugby français.

Faut-il changer les règles 
du professionnalisme  ?

Raphaël Poulain. Peut-être. L’argent est arrivé. Les médias ont fait des joueurs des gladiateurs. Il ne reste donc que la valeur de combat, si c’en est une. Mais les jeunes joueurs ont plus de mal à fusionner au sein d’un groupe. Même en amateur, cela se ressent. Peut-être les pros ne montrent-ils pas le bon exemple. Peut-être que l’argent et la starification ont fait du mal. Certains viennent maintenant au rugby avec pour objectif d’en faire un business individuel, en niant la dimension de groupe et l’humanité de la pratique sportive. En fait, il y a quelques années, on ne communiquait pas sur ces valeurs, on les vivait. Maintenant, on ne fait qu’en parler dans les médias.

Jean-Pierre Ellisalde. Le professionnalisme a beaucoup fait évoluer les valeurs autour du rugby. Depuis quinze ans, il y a eu tellement de mouvements parmi les joueurs, les équipes, les clubs, que l’on arrive à perdre les notions d’identité et d’attachement. Auparavant, le président du club était une personne référente localement. Les joueurs faisaient leur carrière au sein d’un même club. Mais avec ces mouvances, plus les joueurs passent, plus les clubs trépassent. Il ne faut pas que le rugby prenne le chemin du foot. Je me demande d’ailleurs ce que deviendra le Paris Saint-Germain quand son nouveau propriétaire qatarien partira  ? Moins le club a d’identité, plus il a besoin d’argent pour faire venir de nouveaux joueurs. C’est en ce sens que les valeurs autour du rugby ont beaucoup changé. C’est sans doute sur cet aspect qu’il faut travailler.

Les amateurs ne sont-ils pas finalement devenus les garants 
des vertus de ce sport  ?

Raphaël Poulain. Cela pourrait être le cas. Mais dans la réalité, même chez les amateurs, au plus bas niveau, le rugby est en difficulté. J’ai vu des formateurs dire à des gamins de huit ou neuf ans de casser la bouche de leurs adversaires. Les amateurs suivent les évolutions des pros. Quel que soit le niveau, on veut faire de certains gamins de futurs Sébastien Chabal.

Jean-Pierre Elissalde. Non, je ne crois pas. Il ne faut pas opposer les niveaux. Les amateurs aussi rencontrent des difficultés. La solution est plus transversale.

Justement, quelles solutions 
faut-il trouver pour préserver 
le rugby  ?

Jean-Pierre Ellisalde. Si un joueur en Top 14 comme en Fédérale passe par quatre clubs, comment peut-il s’investir là où il se trouve  ? Il n’y a qu’une solution à ce problème  : que ce joueur aime le rugby pour lui-même et par-dessus tout le reste. Jouer au rugby n’est pas un métier. S’investir dans le rugby ne doit pas être un moyen de se mettre en valeur, de valoriser son image, ni être un levier politique. D’accord pour que les joueurs changent de clubs, de pays, mais à condition qu’à la base, ils aiment le rugby et respectent les valeurs intrinsèques de ce jeu. Même chose pour ceux qui prennent des responsabilités dans ce sport. Les valeurs refuges du rugby sont là. Il y a soixante ans, mon père me disait déjà  : aime ton club, mais surtout aime le rugby. Il avait tout compris.

Raphaël Poulain. Pour moi, il faut tout remettre à plat. Tout n’est certes pas à jeter. Si les joueurs de l’équipe de France alignent trente-cinq matchs par an et sont encore sur le terrain, c’est qu’ils incarnent certaines de ces valeurs, comme la longévité, l’effort, le travail, la patience. L’argent ne remplace pas un groupe. Car il lui manquera toujours une dimension essentielle  : celle du plaisir, qui n’est plus souvent mise en avant. On forme nos jeunes à devenir de bons techniciens. On oublie de former des êtres humains. Notre sport n’échappe pas aux problèmes de nos sociétés. Il faut mettre l’homme au milieu de tout, le responsabiliser. Pour moi et dans un monde idéal, les valeurs du rugby devraient recouvrir le plaisir de se retrouver, l’optimisme et le partage, l’importance de s’accomplir dans le groupe. Tout le reste, tous les chiffres, les statistiques, je les jetterais à la poubelle.

(*) Auteur de Quand j’étais 
Superman « splendeurs
et misères d’un rugbyman », 
Éditions Robert Laffont.

Entretiens croisés réalisés
par Stéphane Guérard


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