Capitalisme : LE COMMENCEMENT DE LA FIN (d’après l’économiste Frédéric Lordon)

dimanche 25 septembre 2011.
 

Pour l’auteur, directeur de recherches au CNRS, la certitude de la catastrophe finale commence à se profiler. Le néolibéralisme, en effet, est un régime d’endettement généralisé : ménages, institutions financières, États. La crise menace de mettre à bas tout le système des institutions financières, car si la puissance publique a pu sauver les banques de la crise de la dette privée, il n’est pas certain qu’elle puisse y parvenir pour les dettes publiques.

Les agences de notation font de la politique. Car ce que l’agence Standard & Poor’s a noté, ce n’est pas la solvabilité des États-Unis dont chacun sait qu’ils règleront leurs dettes. Ce que cette agence a noté, c’est le dissensus politique aux États-Unis sur la question de la dette. Autrement dit, le fait de ne pas être d’accord politiquement, entre la Maison blanche et le Congrès, devenait un problème pour cette agence. D’ailleurs, contrairement à ce qui se passe habituellement, les taux d’intérêt des titres de l’État Americain n’ont pas augmenté, ils ont baissé après cette dégradation !

La dégradation de la note des États-Unis, qui étaient la meilleure signature du monde, va être interprétée par les marchés comme le fait que toutes les autres signatures sont moins bonnes. Dans ce cadre, le candidat le plus sérieux à la prochaine dégradation est la France.

Le système européen actuel touche à l’absurde. D’un côté, les marchés financiers, pour être « rassurés », exigent l’austérité pour que toutes les sources des pays leurs soient versées au travers du remboursement des dettes ; mais d’un autre côté, l’austérité empêche la croissance qui seule peut générer les recettes fiscales permettant de rembourser les dettes… Les plans européens continuent à fabriquer des surendettés futurs pour « sauver » les surendettés présents. Deux sérieux candidats s’avancent au guichet : l’Espagne et l’Italie. Avec 440 milliards d’euros, l’EFSF ne fait pas le poids puisqu’il faudra au minimum 800 milliards d’euros.

Les euro-réjouis, ceux-là mêmes qui ont répété pendant deux décennies que l’Europe n’avait rien de libéral, qu’elle était même le bouclier contre la mondialisation, que jamais main de l’homme n’avait produit construction institutionnelle si merveilleusement agencée, fondent leurs derniers espoirs d’éviter la ruine finale sur un miraculeux sursaut politique qui au tout dernier moment accoucherait enfin du « fédéralisme ». Mais cet espoir-là ne vaut pas mieux que tous ceux qui avaient précédé. Car le fédéralisme politique sera encore très incomplet – le plus probablement consistera-t-il en la fusion des dettes publiques européennes, ou d’une part d’entre elles, en eurobonds communs et indifférenciés.

Mais c’est faire l’hypothèse peu vraisemblable que les marchés oublieraient instantanément que sous la surface commune des eurobonds se tient toujours une pluralité d’émetteurs d’inégales signatures.

Mais surtout : pour que le « saut fédéral » soit à la hauteur du problème, il faudrait bien davantage, et notamment une intégration si poussée qu’elle ne laisserait aux nations membres qu’une importance financière résiduelle, le poids relatif de l’État fédéral et des États fédérés basculant jusqu’à atteindre des proportions équivalentes à celle des États-Unis, ou de l’Espagne dans ses rapport avec ses régions. Qui peut imaginer le surgissement d’un État fédéral européen pesant budgétairement autant que les États-membres réunis (comme aux États-Unis) avec tout ce qu’il appelle de « progrès » politiques : de vraies institutions politiques fédérales, la constitution d’une citoyenneté politique européenne unique, primant sur les citoyennetés nationales, etc., seules avancées capables de soutenir une politique financière commune ? Ou, plus exactement, qui peut imaginer qu’un authentique processus constituant puisse survenir avant que nous ne finissions au milieu des ruines fumantes ?

Il n’y a plus qu’une voie de recours : on ne sortira de pareil effondrement que par une gigantesque opération de création monétaire. Incapables de faire face à leurs engagements de paiement interne, les États qui sont en déficit se tourneront vers la banque centrale pour financer leur solde. Mais, sans même s’attarder à la lettre des traités, la BCE est-elle capable de répondre favorablement à une demande de ce genre ? Poser la question c’est y répondre. Tout l’habitus du banquier central européen s’y oppose. Dans ces conditions, les pays concernés reprendront barre sur leur banque centrale nationale, de fait extraite du SEBC (le Système Européen de Banques Centrales), pour lui faire émettre des euros en quantité ad hoc. A ce moment précis, constatant l’apparition dans la zone euro d’une source de création monétaire anarchique, affranchie des règles du SEBC, donc susceptible de mélanger ses euros impurs aux euros purs (et par là de les corrompre), l’Allemagne considérera que le point de l’intolérable a été atteint et, faute d’avoir les moyens d’exclure le(s) contrevenant(s), jugera que sa propre conservation monétaire lui fait devoir de quitter les lieux. Fin du voyage pour l’euro, en tout cas dans sa forme originelle.

Le néolibéralisme pourrait donc bien mourir par sa dénégation préférée : la dette – dont il n’a cessé de crier les dangers… quand tous ses mécanismes conduisaient à son emballement généralisé. Jamais un groupe d’intérêt aussi puissant que celui qui s’est constitué autour de la finance ne renoncera de lui-même au moindre de ses privilèges, seuls peuvent le mettre à bas la force d’un mouvement insurrectionnel – puisqu’il est bien clair par ailleurs qu’aucun des partis de gouvernement, nulle part, n’a le réel désir de l’attaquer –, ou bien la puissance dévastatrice d’une catastrophe que son système aura lui-même engendré.

Sur les ruines, enfin, tout rebâtir.

Pour accéder au texte intégral et original de Frédéric Lordon, cliquer sur l’adresse URL portée en source (couleur rouge, en haut de page)


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