Ceux qui racontent qu’une victoire d’un soir, fût-elle électorale, résoudra tous les problèmes trompent les gens

samedi 23 avril 2016.
 

« 99 % », l’ouvrage publié par Pierre Laurent résonne puissamment avec l’actualité. Le secrétaire national du PCF, qui l’a conçu comme un outil de lutte et de décryptage, y énonce le désir d’un rassemblement de la majorité contre la petite minorité (1 %), détentrice des richesses. Un long chemin qui passe, selon le dirigeant communiste, par une première étape en 2017.

HD. Comment interprétez-vous le succès de la mobilisation contre la loi travail  ?

Pierre Laurent. C’est un mouvement extrêmement profond dans la jeunesse et dans tout le monde salarié. Le pays refuse une loi dont chacun a compris qu’elle allait généraliser, et pour longtemps, la précarisation de la vie et du travail. Les gens s’engagent dans le mouvement de manière croissante au fur et à mesure que le pays prend conscience du contenu du projet de loi, et ils sont déterminés à obtenir son retrait. Les mobilisations vont se poursuivre et s’inscrire dans la durée. Elles doivent maintenant tout à la fois mettre la pression sur le gouvernement pour retirer le texte et la pression sur le Parlement pour que personne à gauche n’accepte de voter ce projet. Au-delà, cette mobilisation cristallise une exaspération qui a gagné les forces populaires de la gauche qui ne supportent plus le mépris affiché par le pouvoir actuel à leur égard.

HD. 1 million de personnes contre un gouvernement de gauche sur des questions sociales, c’est inédit.

P. L. Effectivement, ce pouvoir est totalement isolé, il s’est coupé du peuple de gauche, auquel il a délibérément tourné le dos. Ces forces populaires sont en train de prendre conscience qu’elles ne sont pas condamnées à subir ce gouvernement au prétexte qu’il se prétend de gauche. Le pouvoir a dû renoncer à la révision constitutionnelle parce qu’elle allait à rebours de toutes les valeurs fondamentales de la gauche. C’est un encouragement. Le mouvement engagé est donc profond, et il peut gagner et ouvrir la voie à des prolongements pour construire une issue de gauche, une issue progressiste au piège dans lequel on essaye d’enfermer les Français pour 2017.

HD. Vous parlez du peuple de gauche mais votre livre, lui, s’adresse aux 99 %, pourquoi  ?

P. L. Pour moi, la gauche n’est pas un camp. Ce sont les forces qui ont fait des idéaux de liberté, d’égalité, de fraternité un projet pour la République tout entière. Or aujourd’hui nous vivons dans un système qui ne se préoccupe plus de l’intérêt général et n’est au service que d’une poignée de privilégiés. Nous en avons un exemple spectaculaire avec le scandale qui entoure la rémunération des deux PDG de Renault et PSA. Les actionnaires de ces groupes remercient de manière généreuse des patrons pour avoir organisé la croissance maximale des revenus de leurs actionnaires financiers contre, non seulement, les travailleurs de ces entreprises, mais, au fond, contre les intérêts du pays. C’est la nature de ce système qui produit des inégalités de plus en plus explosives et qui croissent de manière exponentielle. Le combat pour l’égalité, qui est le grand combat historique de la gauche, intéresse aujourd’hui directement les 99 % contre le pouvoir du 1 %. Servir uniquement les intérêts des 1 % est une impasse pour la civilisation tout entière.

HD. Mais comment s’en prendre à ces 1 %  ? Est-ce possible  ?

P. L. C’est possible parce, que face à ces 1 %, l’intérêt qui unit l’immense masse de la population est lui aussi puissant. Mon livre est en quelque sorte un message de confiance dans la force du nombre des 99 %. Mais pour que cette force puisse trouver un chemin, elle doit prendre conscience de la nature des obstacles auxquels elle a à faire face. Devant l’injustice du système actuel, beaucoup de gens sont révoltés, mais beaucoup attribuent le blocage du système à l’incapacité de tel ou tel dirigeant politique, à ses renoncements, à ses trahisons… sans comprendre les mécanismes qui font système. Mon livre est une contribution pour les décrypter. Nous sommes face à un système qui a organisé les pouvoirs pour maintenir son hégémonie, y compris sur les consciences. La mobilisation des 99 % doit se construire et s’organiser autour d’objectifs précis de reconquête de ces pouvoirs  : les pouvoirs de la finance, le pouvoir des actionnaires, le pouvoir médiatique et les pouvoirs politiques.

L’identification des responsabilités et des solutions est essentielle dans la bataille politique et idéologique. C’est pour cela que je n’ai pas fait un livre d’un candidat qui fait des promesses comme on en lit tant. Nous avons besoin d’un débat politique plus profond que le choix d’un homme ou d’une femme pour 2017. Nous avons besoin d’un débat sur la nature du système et la nature des solutions pour s’attaquer à la reconquête du pouvoir.

HD. Mais ces 99 % croient-ils vraiment que l’élection de 2017 peut changer les choses  ?

P. L. La situation est en réalité très ouverte. Personne ne peut dire comment se dénouera la crise politique que connaît le pays dans les échéances politiques de 2017. Nous sommes dans un paradoxe. D’un côté une colère profonde et massive, une rupture du pays avec les dirigeants actuels mais aussi avec ceux qui ont dirigé dans le quinquennat précédent. Mais cette colère très profonde n’a pas encore trouvé les chemins d’une solution politique de progrès. Pour cela, je pense que nous avons besoin d’un très grand débat populaire et citoyen. Si nous y parvenons, je suis certain que les forces capables de se lever et de s’unir sur un tel projet sont considérables…

HD. Comment les faire se lever  ?

P. L. D’abord en leur donnant la parole. Tout est fait pour verrouiller le débat politique et mettre sur pied un casting présidentiel qui prive la grande majorité des Français, et singulièrement ceux attachés aux valeurs de gauche, d’un choix correspondant à leurs idées. On veut enfermer les Français dans un choix qui sera dès le départ un choix par défaut. Si la grande masse des Français veulent garder la possibilité d’intervenir dans le débat politique, ils doivent d’abord imposer, non pas tel ou tel candidat, mais les thèmes de la discussion et du projet. Les jeunes qui sont dans la rue actuellement devraient pendant leur mouvement se réunir en AG dans les facs et les lycées, avec les salariés, pour dire  : « Voilà ce que nous voulons pour la sécurisation de l’emploi et la formation des jeunes. » Les salariés, les syndicalistes devraient écrire noir sur blanc les plateformes politiques qu’ils attendent pour le pays, pour redresser l’industrie, développer les services publics… Il faut aider le mouvement populaire à s’imposer dans le débat politique de 2017.

C’est dans ce but que le PCF a décidé de lancer une consultation citoyenne dont l’outil de contact sera un questionnaire personnalisé pour aller à la rencontre de 500 000 personnes. Nous rendrons publics les résultats de cette enquête. Cela nous permettra d’imposer les attentes populaires sur les solutions à la crise dans le débat public. Le processus central pour moi doit être un débat populaire de masse sur les solutions à apporter à la crise, sur le chômage, la construction libérale de l’Europe, la mondialisation qui tire vers le bas, la question écologique, etc. C’est une révolution démocratique qu’il faut faire dans la préparation de 2017. L’année 2016 doit être consacrée non à départager les candidats, mais à construire, de manière inédite, une mobilisation politique populaire. Départager les candidats, ça viendra après.

HD. Vous évoquiez, en début d’année, une primaire pour « débloquer la situation », vous dites aujourd’hui qu’elle est ouverte, est-ce que cela change votre réflexion  ?

P. L. Je crois plus que jamais que si nous étions capables, ce qui n’est pas acquis aujourd’hui, d’imposer une primaire réellement citoyenne où prévaudrait un débat sur le projet, des forces considérables s’investiraient dans un tel processus. Le scepticisme qui existe est naturel si les gens ont le sentiment que nous allons vers un processus confisqué d’avance par quelques formations politiques et, parmi elles, celles qui enfoncent le pays dans la crise. La question est de savoir si nous sommes capables de construire, avec le périmètre de toutes les forces populaires qui sont actuellement en lutte contre la loi El Khomri ou qui l’ont été sur la déchéance, une primaire citoyenne qui leur permette de s’unir non pas pour témoigner dans l’élection présidentielle, mais en être le centre de gravité. Ce processus est une bataille, elle n’est pas gagnée d’avance. Ce qui a changé, c’est qu’il devient de plus en plus évident pour des millions de gens que François Hollande, ou tout autre candidat qui assumerait les choix de son quinquennat, est disqualifié pour représenter la gauche dans cette élection. Je pense que le chemin de l’émergence d’une candidature de large rassemblement est celui qui peut soulever le plus d’espoir.

HD. Les doutes existent jusque dans votre propre parti  : pétitions, textes alternatifs… On a l’impression que le débat ne se pose pas sur les bases que vous nous exposez.

P. L. Je crois que les communistes, comme l’ensemble des forces de gauche qui cherchent une solution, sont en réflexion, et c’est parfaitement normal et justifié. Il est légitime de vouloir se prémunir contre un processus qui nous conduirait dans une impasse. Mais je dis à tous ceux qui cherchent cette solution, et évidemment aux communistes, que nous avons deux défis devant nous à relever  : le premier est évidemment de construire une candidature qui ait des chances de figurer à un haut niveau, et pour cela rassembler les forces de gauche en rupture avec les politiques gouvernementales actuelles. Ces forces ne trouveront le chemin de leur unité qu’à condition que des initiatives politiques soient prises en ce sens, et le PCF est aujourd’hui une des rares forces qui peut prendre ces initiatives. Le second, c’est qu’une candidature en rupture avec la politique gouvernementale est effectivement une condition nécessaire mais elle n’est pas suffisante. Il faut donc qu’elle s’appuie sur un socle populaire le plus large possible si elle ne veut pas participer à un scénario qui conduise à l’élimination de toute candidature de gauche au second tour de la présidentielle et dans un grand nombre de circonscriptions législatives. Le processus à construire doit être aussi exigeant sur son contenu que sur son ambition unitaire.

HD. Faire émerger un mouvement populaire, n’est-ce pas ce que veut faire Jean-Luc Mélenchon  ?

P. L. Il y a beaucoup de forces qui sont nécessaires pour cette construction et Jean-Luc Mélenchon fait partie de ces forces. Je pense que la désignation d’un candidat quel qu’il soit, même communiste ou du Front de gauche, ne fait pas tout. La construction du processus, qui va permettre à des millions de nos concitoyens de l’investir dans la durée, est l’essentiel.

HD. L’exemple grec n’est-il pas la démonstration qu’un gouvernement porteur d’une alternative contre le 1 % peut être contraint de céder, pourquoi en serait-il autrement en France  ?

P. L. L’exemple de la Grèce montre que, pour changer l’Europe, il faudra combiner la bataille à l’échelle nationale et à l’échelle européenne pour progressivement changer les rapports de forces. La situation grecque montre que c’est le chemin de la lutte pour changer l’Europe entrepris par ce peuple qui est le chemin qui doit être poursuivi, en faisant converger les luttes de plusieurs pays européens. Le chemin de la transformation sociale sera un processus de luttes acharnées pour reconquérir progressivement les pouvoirs qu’on nous a confisqués. Et tous ceux qui racontent qu’une victoire d’un soir, fût-elle électorale, résoudra tous les problèmes trompent les gens. C’est pour cela que nous voulons construire un mouvement populaire qui s’approprie un programme et des objectifs avant et après une échéance électorale.


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