Mondialisation Démondialisation (12 Les grands principes de la "démondialisation", Arnaud Montebourg)

vendredi 22 juillet 2011.
 

La France a pris, dans la crise, conscience de ce qu’est la mondialisation, cette inacceptable mise en concurrence des systèmes productifs, des protections sociales, des niveaux de salaires, et l’obligation de renoncement aux choix politiques libres des peuples. Elle nous est présentée comme un fait alors qu’il s’agit de choix que les gouvernements ont faits à l’insu des populations.

Plutôt qu’évoquer la peur - assez partagée dans les pays européens - face au processus de globalisation, on devrait plutôt mesurer les dégâts concrets que les Français ont pu subir de ces choix contraires à nos intérêts : désindustrialisation, délocalisations, pression à la baisse sur les salaires, distribution délirante de dividendes pendant que ceux qui n’ont que que leur travail pour vivre, se serrent la ceinture de plus en plus durement. A bien des égards, l’explosion des inégalités dans notre pays, lequel exprime une persistante et historique préférence pour l’égalité, résume l’expérience concrète et difficile pour notre Nation de la mondialisation.

Mettre de la politique dans l’économie

Ainsi, le remplacement du capitalisme industriel par un capitalisme patrimonial de prédation a durablement modifié les équilibres internes de la société française. Ses profits récents - 35 milliards de dividendes distribués pour les entreprises du CAC 40 en 2010 – démontrent que l’actionnariat va beaucoup mieux que le salariat.

En France en effet, le phénomène de « déclassement » a durement frappé les familles. Bien souvent les parents ont vu leurs revenus stagner ou baisser. Ceux qui ont consenti d’énormes sacrifices pour les études de leurs enfants les voient peiner à trouver un emploi stable. Entre 2003 et 2005, c’est à dire avant la crise, une moitié de Français ont vu leur niveau de vie baisser. 76% des Français sont désormais convaincus que leurs enfants vivront moins bien qu’eux. Les inégalités ont explosé et la désindustrialisation a miné à la fois notre appareil productif et le moral du pays. Il est urgent de mettre de la politique dans l’économie, avant que celle-ci n’achève de nous dissoudre ou de nous détruire comme peuple ayant choisi de vivre selon ses lois propres et non selon celles imposées par d’autres.

Le développement d’un libre-échange sans aucune limite a précipité les Français – et l’Europe en général – dans une concurrence sans fin. 60% des exportations chinoises sont le fait des seules entreprises européennes ou nord-américaines qui assemblent dans « l’Empire du Milieu » des biens qu’elles réexportent ensuite vers nos pays. Le déficit commercial vis-à-vis de la Chine a explosé depuis l’entrée de la Chine dans l’OMC en 2001. La question du protectionnisme européen comme outil de reconstruction de notre économie, doit être assumée et posée nettement.

A ces réalités financières et commerciales qui nous affaiblissent, correspond une autre réalité. Des pays comme l’Inde ou la Chine ont des stratégies de développement de leur recherche, de leur enseignement supérieur. Louis Gallois a par exemple expliqué que l’industrie aéronautique était obligée d’aller chercher en Inde les 3000 ingénieurs dont elle manque annuellement en Europe. Dans le même temps, nous avons envoyé un très grand nombre de nos ingénieurs, en théorie chargés de l’innovation industrielle, dans les salles de marché où ils ont développé les modèles mathématiques qui ont provoqué les krachs boursiers que nous avons connus. L’Occident, l’Europe, la France acceptent mal de perdre leur hégémonie passée dans les domaines du savoir. Cela implique de développer un nouveau projet collectif à notre pays, notamment dans le domaine de la recherche, de l’industrie et de l’innovation. J’appelle à l’alliance des producteurs, qu’ils soient entrepreneurs, salariés, chercheurs, contre les rentiers et actionnaires dont les profits sont aussi indécents qu’inutiles.

Réorienter l’Union européenne

L’Europe, en théorie chargée de défendre les Européens dans la mondialisation, est apparue, hélas, comme une machine plus obsédée par l’augmentation aveugle de sa propre mise en concurrence, pour ne pas dire son autodestruction, plutôt que sa construction extérieure. Hubert Védrine a raison de souligner que « l’Europe ne doit plus se mettre les peuples européens à dos, mais rassembler leur énergie politique et économique et leurs espérances ».

Il faut donc réorienter l’Union européenne, notamment en politisant – enfin ! - le droit européen de la concurrence et en discutant avec l’Allemagne d’une stratégie industrielle commune, coeur d’une stratégie commune de l’Europe dans la mondialisation.

Enfin, admettons que les « réformes structurelles » promues par les néolibéraux n’ont pas rendu nos pays compétitifs. Ces « ajustements » ont, en outre, créé une défiance endémique dans le tissu social, dont nous mesurons les conséquences par les taux d’abstention et le vote extrémiste. Ce double sentiment d’incapacité du politique à affronter les problèmes et le dédain pour la parole du citoyen a créé une ambiance délétère dans notre pays. Je ne me résigne pas à cet affaiblissement.

Les grands principes de la "démondialisation"

Je propose un autre chemin au pays pour relever la France et renouer avec sa tradition productive : la démondialisation. C’est un processus politique visant à reterritorialiser l’économie en rapprochant les lieux de consommation et de production.

L’impératif de lutte contre le changement climatique y trouvera son compte, en surtaxant les transports mondiaux de marchandises, pour rendre plus compétitifs les produits fabriqués en Europe plutôt qu’à 20 000 kilomètres. C’est un processus économique visant à tirer à nouveau les salaires à la hausse, au nord comme au sud, à l’est comme à l’ouest pour favoriser le dynamisme des marchés intérieurs, plutôt que les économies de dumping qui surproduisent sans distribuer les salaires correspondants, tout en détruisant sans retenue les ressources naturelles.

Utiliser les critères de l’Organisation internationale du Travail pour infliger des taxes extérieures sur les produits industriels contenant du dumping social, et des taxes carbones extérieures sur les produits contenant du dumping environnemental nous permettra de renouer avec la puissance du politique pour discipliner à nouveau l’économie.

Je propose de créer une agence française sanitaire, sociale et environnementale chargée de calculer le coût écologique et social des produits fabriqués hors d’Europe, qui servira de base à l’engagement de la responsabilité sociale et écologique des entreprises. Ce sont là quelques-unes de mes propositions pour rendre confiance aux Français dans leur représentation politique.

La « démondialisation », c’est l’assurance d’un développement harmonieux et juste des sociétés humaines, qu’elles se situent au Nord ou au Sud, en Occident ou en Orient, c’est aussi, pour paraphraser Habermas, la meilleure façon de redonner « du pouvoir d’achat au bulletin de vote ».


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message