Une éducation populaire, hors du cadre scolaire, tout au long de la vie

lundi 11 juillet 2011.
 

Le savoir serait-il devenu une marchandise comme une autre  ? La réforme des lycées et des universités, l’évacuation des questions sociétales des programmes, la lente transformation de l’université en entreprise, l’avènement du « marché de l’éducation » et de l’« économie de la connaissance » nous amènent inévitablement à nous questionner sur le rôle attribué aux savoirs dans notre société (marchande). Il ne faudrait pas que la réflexion vienne gêner la rentabilité attendue d’un diplôme. Penser par soi-même, à quoi bon  ? Cela ne figurera pas sur votre CV.

Mais le savoir n’est pas seulement celui de la « recherche et développement », celui des sciences exactes et concrètes, aux débouchés industriels évidents. C’est aussi une question éminemment politique. Le savoir est un pouvoir social. Au même titre que le capital économique, les savoirs permettent d’évoluer au sein de la hiérarchie sociale. Ainsi, les savoirs que fait valoir un individu et le rapport qu’il entretient avec eux dénotent de sa position sur l’échelle sociale  : amour des savoirs, connivence, malaise ou défis, il n’y a pas de hasards à cela.

Certains pensent qu’ils sont « naturellement » faits pour penser, d’autres que le savoir n’est pas fait pour eux, voire que c’est uniquement l’affaire des experts et des intellectuels. Et derrière ces histoires manquées, ces peurs d’anciens cancres questionnés quant à ce qu’ils « vont faire de leur vie », on trouve des personnes qui sont dans la dévalorisation d’elles-mêmes et l’autocensure constante. « Qui suis-je pour penser  ? » sonne alors comme l’énonciation de toute la violence implicite des rapports individuels aux savoirs.

Pourtant, nous sommes tous des puits de connaissances aux capacités incroyables. Les savoirs s’étendent bien plus largement que leur acception commune  : savoir-faire et savoir-être, témoignages et vécus, intuitions et ressentis, nous agrégeons tous une quantité incroyable d’informations et ce tout au long de notre vie. Nous avons tous, par exemple, un témoignage authentique à livrer émanant de nos expériences de vie uniques constituant un savoir des plus précieux, un savoir rare, furtif, un savoir illégitime.

Mais alors, pourquoi militer sur le terrain des savoirs  ?

Dans une société où les richesses sont concentrées et les pouvoirs confisqués, investir le terrain des savoirs peut être un premier pas vers les réappropriations collectives. Il faut être conscient que vouloir diffuser le savoir en dehors des institutions « consacrées » peut menacer la hiérarchie sociale dans ses fondements mêmes. Il s’agit de se réapproprier les savoirs afin que chacun apprenne à jouir de son autonomie intellectuelle dans la recherche de la liberté individuelle et collective. Pour autant, les savoirs ne sont pas émancipateurs par nature. On peut être très instruit, avoir lu Kant du début à la fin, discuter histoire de l’art entre le plat et le dessert et pour autant être l’instigateur de massacres.

Eichmann en sera le représentant désigné lors de son procès à Jérusalem, convoquant la philosophie de Kant pour justifier l’extermination prévue par la Solution finale. C’est pour ça qu’il faut faire de l’éducation populaire, une éducation qui s’étale tout au long de la vie, une éducation qui sorte du cadre normatif et évaluatif scolaire, une éducation éminemment politique, qui crée des espaces d’expression libres et collectifs. Questionner collectivement les règles qui nous régissent et les préjugés qui nous hantent.

Ainsi, cette éducation-là ne peut se contenter uniquement de reproduire les formes de transmission universitaires en dehors de celle-ci. L’université populaire de Bordeaux milite pour la réappropriation des règles et des formes de débat conventionnel aujourd’hui figées. La conférence-débat classique, actuellement hégémonique, n’est pas suffisante. Il est bien évidemment important de relayer les paroles savantes, de donner accès à des réflexions profondes et érudites, mais il s’agit surtout de transformer les représentations des personnes vis-à-vis de leurs propres capacités.

Oui, votre parole est intéressante, oui, vous êtes capable d’être créatif, original et sensé  ; oui, vous êtes vous aussi détenteur d’énormément de savoir. En bref, il s’agit de relégitimer les personnes, les paroles et les savoirs populaires, pour qu’enfin le peuple réclame la place centrale qui est la sienne dans « les affaires de la cité ».

En la matière, la forme est aussi importante que le fond.

Pour la conférence, il y a confrontation. S’il y a un maître, il y a un élève  ; s’il y a un sachant, il y a un ignorant. Le rapport de transmission est ici inégalitaire. Il faut donc veiller à ce qu’à aucun moment la parole savante, pour justifier sa place sociale, exclue le reste de la salle. La conférence peut susciter l’exclusion de la réflexion. Et si le savoir partait d’en bas  ? Si l’on passait d’un rôle passif, de spectateur aux paupières lourdes assis au fond de la salle, à celui d’acteur de la construction du savoir  ? S’il s’agissait d’animer une dynamique de réflexion collective et pas de professer une bonne parole  ? S’il s’agissait de rassurer pour libérer la parole et la pensée  ? Que se passerait-il alors et comment  ? Ceci est une autre histoire…

À l’heure où l’éducation populaire institutionnalisée est financièrement assassinée, ne serait-il pas temps de reprendre le maquis à la recherche des chemins de traverse  ? Pour être enfin à la hauteur des enjeux de notre temps.

Hugo Fourcade


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