LE MONOPOLE DE LA VIOLENCE D’ETAT N’EST PAS TOUJOURS LEGITIME ET LEGAL

dimanche 25 mars 2018.
 

Texte de 2011

Des mouvements sociaux se soulèvent, une révolte populaire s’étend mondialement, de la place Tahir en Egypte, jusqu’à la Puerta del sol en Espagne, de même qu’en France et dans de nombreux pays d’Europe. Pour lutter contre ces mouvements porteurs de démocratie, la répression policière se renforce. Un des derniers exemple fut l’évacuation par la force et la violence, de milliers de manifestants pacifiques de la Place de Catalogne à Barcelone. De même à Paris, le 29 mai 2011 à la Bastille, les 8000 manifestants pacifiques réclamant une « démocratie réelle maintenant » ont été évacués par la force. La répression actuelle en Syrie s’inscrit dans le même registre, mais à un niveau très nettement supérieur, puisque des tortures et des assassinats sont commis par les forces policières.

Lorsque les dirigeants d’Etats sentent que leur pouvoir est menacé même pacifiquement, ils usent régulièrement de la violence. Généralement ils agissent dans le cadre de l’Etat de droit, dans ce cas c’est légal sans être toujours légitime. Mais parfois ceux qui sont censés faire respecter la loi, la violent eux-mêmes. Examinons à présent les formes d’action du pouvoir répressif dans sa dimension illégale.

Les polices d’Etat ne respectent pas toujours l’Etat de droit. La police nationale a pour mission de faire respecter la loi et de défendre les citoyens qui la respectent. Or, parfois cette police profite de la puissance pour agir en fonction de ses propres intérêts idéologiques ou politiques, à travers des provocations, des tortures ou des assassinats. Les 200 à 300 manifestants algériens en France tués par la police à Paris sous les ordres de Maurice Papon, durant la guerre d’Algérie, le 17 octobre 1961, en est un exemple (Einaudi, 1991) 2

17 octobre 1961 Massacre d’Algériens immigrés par la police parisienne

Dans certains Etats des pays en voie de développement, parfois des agents de police s’estimant insuffisamment rémunérés, arrondissent leur salaire, en demandant aux personnes arrêtées une commission (un pot de vin), pour être libérées, être relâchées plus rapidement, ou éviter une sanction plus lourde.

Durant le sommet du G8, à Gênes, en juillet 2001 la police italienne a enfermé, menacé, humilié, frappé, menacé des manifestants. Etant présent à Gênes, je peux témoigner de cette violence extrême. Presque chaque fois qu’un manifestant était attrapé par la police, il était entouré d’agents qui le frappaient jusqu’au sang, même lorsque celui-ci était au sol. Voici quelques témoignages qui illustrent jusqu’où peuvent aller, les policiers, surtout lorsqu’ils sentent que leur hiérarchie les appuie.

Voici quelques exemples de ce qu’ont dû subir des centaines de personnes, italiennes et étrangères, contraintes et soumises pendant de nombreuses heures à toutes sortes de violences et tortures dans la caserne de Bozanetto à Gênes pendant le G8. Hans Jürgen Schlamp dit que « ce fut une boucherie. Des mâchoires furent brisées, des bras et jambes cassés, des cuirs chevelus fendus. Des policiers italiens professionnels du corps à corps prirent d’assaut une école, dans laquelle des jeunes gens venus des quatre coins d’Europe allaient se mettre au lit. C’est la mairie qui les avait logés là. « On aurait dit des drogués“, déclare un jeune Allemand de 21 ans qui effectuait son service civil. « Ils étaient enragés et tapaient sur tout ce qui bougeait avec leurs matraques ». 93 hommes et femmes ont été empoignés et arrêtés. 62 ont dû être évacués en ambulance. Nombre d’entre eux, gravement blessés, ont dû être placés en réanimation (Hans Jürgen Schlamp, 02/09/02, Der Spiegel).

GENES 2001 Comment j’ai été tabassée dans les prisons italiennes

Gênes 2001 : La Cour européenne des droits de l’homme condamne l’Italie pour torture (video, arrêts et décisions)

Le chef de la police reconnaît des cas de «  tortures  » lors de la répression des anti-G8 en 2001 à Gênes

Enrica Bartesaghi (Presidente del comitato verità e giustizia per Genova) rapporte le témoignage de certaines personnes arrêtées :

- TORTUREE N° 81 : Elle subissait des menaces y compris à caractère sexuel par des personnes à l’extérieur " d’ici ce soir, nous vous dévoilerons toutes" ; des coups par les agents sur son passage dans le couloir ; frappée violemment à la nuque ; contrainte de signer les procès-verbaux de son arrestation (qu’elle ne voulait pas signer) en montrant les photos de ses enfants et en lui exposant quelle ne pourrait pas les revoir si elle ne signait pas.

- TORTURE N° 11 : Frappé à coups de pied et de poing dans le dos et insulté, contraint de rester couchée à terre, jambes et bras écartés et la tête contre le mur ; injurié par des phrases, refrains et épithètes à fond politique ("communistes de merde, "nous vous tuerons tous") ; frappé sur son passage dans le couloir et insulté aussi avec des crachats ; obligé de se mettre à quatre pattes par un agent qui lui donnait l’ordre d’aboyer comme un chien et de dire "Vive la police italienne".

- TORTUREE N° 21 : Frappée dans le couloir durant son accompagnement aux toilettes, ils lui tordaient le bras derrière le dos en la frappant avec des gifles et des coups de pied ; insultée avec des épithètes qui lui étaient adressés ainsi qu’aux autres femmes dans la cellule "truies, juives, putains" injures et crachats sur son passage dans le couloir ; menacée d’être violée avec la matraque et de coups ; contrainte à rester sans raison plausible debout pendant de nombreuses heures « Ces jours là ont été bafoués niés tous les droits que notre Constitution garantit aux personnes arrêtées et aux prisonniers. Aucun d’entre eux, italiens ou étrangers, n’a pu contacter un avocat, des parents, le consulat. Il ne fut communiqué à aucun d’entre eux le motif de leur arrestation, où ils se trouvaient, où ils seraient emmenés ensuite. Bien que nombre d’entre eux étaient blessés (68 d’entre eux venaient de l’Ecole Diaz), ils n’ont pas été soignés, ils ont du signer de fausses déclarations sous la contrainte et déclarer qu’ils ne voulaient pas contacter d’avocats ou leur consulat. Aucun d’entre eux n’a eu le droit de manger, boire, dormir, ils furent obligés de rester debout contre le mur, bras levés, pendant de nombreuses heures » (Enrica Bartesaghi ; 2002), (http://www.hns-info.net,).

Finalement, après le procès, qui s’est tenu la majorité des policiers incriminés n’ont pas été sanctionnés. « Le tribunal de Gênes a donné son verdict fin 2011, contre les 29 policiers qui ont fait irruption dans l’école Diaz (siège du Forum Social de Gênes) dans la soirée du 21 juillet 2001, la fin des manifestations contre le G8 à Gênes ; ils avaient tabassé, blessé et arrêté 93 manifestants pacifiques alors qu’ils dormaient : 16 policiers ont été acquittés, 13 condamnés à des peines de 1 mois à 4 ans de prison. Peines légères qui de toutes façons ne seront pas accomplies. Les 13 condamnés sont du "menu fretin" parmi les accusés : tout au plus ceux qui, obéissant aux ordres, ont frappé physiquement les manifestants. Les 16 acquittés sont ces cadres intermédiaires de la police qui furent responsables de la décision d’intrusion et du montage qui a permis d’accuser les manifestants de détenir des cocktails Molotov et de s’être opposés à la police »3.

Les violences policières spectaculaires de sommet du G8 à Gênes ne sont finalement qu’un développement d’un plus vaste mouvement de répression des luttes sociales (grève, syndicats, manifestations, mouvements sociaux...). Cette répression s’est accélérée en particulier après le 11 septembre 2001.

Les Etats dit démocratiques, pratiquent parfois la désinformation et leurs polices commettent aussi des assassinats. Des policiers disent que certains d’entre eux ont été tués et découpés à l’arme blanche à Ouvéa par des Kanaks (FLNKS) preneurs d’otages, afin d’obtenir l’indépendance de leur île. Le 22 avril 1988, Jacques Chirac, alors 1er ministre, tient un discours pour dénoncer ces "sauvageries". En réalité selon Drevillon, la population Kanak a été agressée, tabassée, menacée de morts par la police, afin de trouver où étaient les preneurs d’otages. La vingtaine de preneurs d’otages ont alors tous été exécutés (balles dans la tête), donc assassinés sans combat. Or, ils disaient vouloir négocier (l’indépendance de leur île), mais le gouvernement français ne le voulant pas, ces représentants préfèrent les faire tuer par la police. Le 28 avril 1988 Mitterrand est encore président de la république, et fait donc croire qu’il ne savait pas que le FLNKS voulait négocier (alors que le 20 avril c’était déjà dans les journaux) (Drevillon, 2008)4.

La police et l’armée font parfois usage de la torture et le cachent. L’usage de la torture figure parmi les moyens les plus puissants des dictatures, mais aussi des pays qualifiés officiellement de démocratie, tels les USA, ou la France : la torture durant la guerre d’Algérie par la France, la torture durant la guerre d’Algérie par la France, les tortures infligées aux prisonniers de Guantanamo par le gouvernement états-uniens, par les armées des dictateurs d’Amérique du Sud formées par la CIA, ou les anciens militaires français tel le Général Aussaresses.

Certains Etats dit démocratiques disposent de camps de détention illégaux et enlèvent des citoyens.

Plusieurs sources, tel le rapport parlementaire pour le conseil de l’Europe (Marty, 2007)5., affirment qu’il y a eu des enlèvements sans procès par les services secrets des Etats-Unis et de la France notamment et des détentions illégales dans des camps sur des bases secrètes. Par conséquent, ces prisonniers ne disposaient, au début, de quasiment aucune protection, ni d’aucun droit pour leur défense. Il s’agit donc d’un déni des droits de l’homme et de la démocratie.

En 2005, la presse américaine (le Washington Post de novembre 2005) et européenne, ainsi que l’ONG américaine Human Rights Watch ont révélé qu’il existait (en plus de Guantanamo), des camps de détentions illégaux et des enlèvements sans procès par les services secrets et des «  restitutions extraordinaires » aux Etats-Unis, en Europe, en Egypte, la Jordanie, le Maroc ou la Syrie. Certains des prisonniers y auraient été brutalisés ou torturés. « Restitutions extraordinaires  » est le terme employé officiellement par la CIA. En pratique cela consiste à séquestrer des personnes soupçonnées d’avoir un lien avec le terrorisme, sans que cette accusation ait pu être vérifiée par l’autorité judiciaire.

« L’hebdomadaire suisse SonntagsBlick du dimanche 8 janvier 2006, affirme détenir un fax du ministère des affaires étrangères égyptien à son ambassade de Londres prouvant qu’il existe des prisons secrètes de la CIA en Europe, où auraient été détenus et interrogés des sympathisants d’Al-Qaida. Ce fax affirme que la Roumanie avait permis à la CIA d’interroger sur son territoire, sur la base de Mihail Kogalniceanu, 23 citoyens irakiens et afghans. Les faits se seraient déroulés sur la, située à proximité de Constantza, un port au bord de la mer Noire. Ce Fax ajoute qu’il existe des centres d’interrogatoire semblables en Ukraine, au Kosovo, en Macédoine et en Bulgarie6.

« Selon Le Figaro, un biréacteur Learjet a décollé de Keflavik, en Islande, à destination de l’aéroport de Brest-Guipavas (ouest), d’où il serait reparti pour la Turquie, le 31 mars 2002. Le second vol est arrivé le 20 juillet 2005 à l’aéroport de Paris-Le Bourget en provenance d’Oslo, rapporte Le Figaro Il s’agissait d’un Gulfstream III »7.

Human Rights Watch précisait de plus que ces centres de détention se trouvaient en Pologne, en Roumanie et en Europe orientale. Certains pays, tels la France, l’Islande, la Norvège et certains Etats d’Europe, ont accepté que ces prisonniers transitent par leur aéroport ou survolent leur pays. Ils se sont donc rendus coupables de complicité avec ces actions illégales, car contraire à la Convention européenne des droits de l’Homme et commises par des Etats dit démocratique. 4 DREVILLON Elisabeth , 8 mai 2005, reportage télé "grotte d’Ouvéa :autopsie d’un massacre", France 2 et CAILLETET Marie, Documentaire d’Elizabeth Drévillon (France, 2008) Télérama, Samedi 3 mai 2008. 5 MARTY Dick (Rapporteur), 7 juin 2007, Rapport sur les détentions secrètes et transferts illégaux de détenus impliquant des Etats membres du Conseil de l’Europe : 2e Assemblée parlementaire, Commission des questions juridiques et des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Bruxelles. 6 LE MONDE, La Suisse aurait la preuve de prisons de la CIA en Roumanie, 09.01.2006. 7 LE MONDE, "Il est tout à fait possible qu’il y ait eu des vols" de la CIA en France, selon le Quai d’Orsay, 02.12.2005 En 2007, Dick Marty, était membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dont il préside la Commission des Affaires juridiques et des Droits de l’Homme. Il a été chargé par cette dernière d’établir un rapport sur les allégations concernant l’existence de prisons secrètes de la CIA en Europe. Dans ce rapport il affirme que les gouvernements européens ont signé des accords secrets avec les États-Unis, vraisemblablement à la suite de la grande émotion suscitée par les événements du 11 septembre. De même la Confédération Suisse a autorisé le survol de la suisse, alors même qu’elle savait que des avions de la CIA avait très vraisemblablement abusé de cette concession en transportant Abu Omar, enlevé à Milan, à travers l’espace aérien helvétique ; ce qui constitue un acte criminel ». D’autres personnes tel Khaled El-Masri, Maher Arar ont aussi subit des ’’ restitutions’’ secrètes via l’Europe poursuit Dick Marty8. Ce dernier affirme donc qu’il y a eu des enlèvements sans procès par les services secrets des Etats-Unis et de la France notamment et des détentions illégales dans des camps sur des bases secrètes. Par conséquent, ces prisonniers ne disposaient, au début, de quasiment aucune protection, ni d’aucun droit pour leur défense. Il s’agit donc d’un déni des droits de l’homme et de la démocratie. Jean-Jacques Bozonnet souligne que « vingt-six agents américains de la CIA et plusieurs membres des services secrets militaires italiens (Sismi) sont accusés par les tribunaux milanais, d’avoir enlevé, le 17 février 2003, à Milan, un ressortissant égyptien soupçonné de collusion avec des réseaux terroristes. Ex-imam de la principale mosquée de la capitale lombarde, Oussama Moustafa Hassan Nasr, plus connu sous le nom d’Abou Omar, avait été transporté dans une camionnette jusqu’à la base américaine d’Aviano, près de Venise. De là, il avait été transféré, via l’Allemagne, dans une prison en Egypte »9. Ilich Ramirez Sanchez dit « Carlos » Carlos avait lui aussi été enlevé en août 1994, au Soudan par les services secrets français pour y être jugé en France. Le ministre français de l’Intérieur Charles Pasqua avait négocié cette arrestation avec son ami, le leader islamiste soudanais Hassan El-Tourabi, et que l’opération avait été dirigée par le préfet Philippe Parent. "Retourner" les opposants ou les assassiner permet aux Etats de briser les contre-pouvoirs. Une pratique fréquente dans les dictatures, mais qui existe aussi dans les pays dits démocratiques consiste à "retourner" les opposants ou à les assassiner. Un certain nombre d’opposants ont été assassinés ou ont été suicidés : Ben Barka, André Kiefer en Côte d’Ivoire, le juge Borrel à Djibouti, Sylvanus Olympio en 1963, Thomas Sankara en 1988, Modibo Keita en1968, Amani Diori en 1974, le ministre Robert Boulin (qui s’est soit disant suicidé), Jean Claude Mery (Affaire des HLM d’Ile de France), etc. Thomas Sankara, que l’on qualifie parfois, de Che africain, était un grand espoir pour une renouveau socialiste en Afrique. Il est officiellement décédé de mort naturelle. Or, il fut assassiné le 15 octobre 1987, de 12 balles, dont deux dans la tête par des hommes au service de Brice Comporé, son frère adoptif. Il semble qu’F. Houphouët-Boigny, le président de la Côte d’Ivoire, à l’époque est coordonné l’opération, initiée par les services secrets français. A cette époque de guerre, la guerre froide sévissait encore, même de manière plus discrète. Le fait que le Burkina Faso, dirigé par Sankara, revendique une filiation avec le communisme, des alliances avec Cuba, des idées socialistes et un discours anti-néo-colonialiste, dérangeait fortement. Les plus importants services secrets mondiaux, les anglais, Mossad (Israël), CIA (Usa), DGSE (France), KGB (Urss) et les services de renseignements du Vatican, étaient présents sur le sol burkinabé, afin de veiller à la bonne marche de leurs intérêts. La CIA proposa au Vatican d’échanger ses informations au Burkina, en échanges de données sur les théologiens de la libération, les prêtres catholiques qui luttaient contre les dictatures 8 MARTY Dick (Rapporteur), 7 juin 2007, Rapport sur la détentions secrètes et transferts illégaux de détenus impliquant des Etats membres du Conseil de l’Europe : 2e Assemblée parlementaire, Commission des questions juridiques et des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Bruxelles. 9 BOZONNET Jean-Jacques, 7 juin 2007, « A Milan, ouverture du procès des agents italiens et américains », Le Monde. en Amérique Latine. Ces prêtres étaient trop radicaux, selon du Vatican. Pour parvenir à "retourner Brice Compaoré", un des quatre leaders de la révolution au Burkina Faso, on lança l’opération "pot de miel". C’est à dire que la nièce F. d’Houphouët-Boigny, fut chargée de séduire Compaoré. Elle réussi à le marier, et progressivement à l’éloigner de Sankara. Les ennemis de Sankara, appuyèrent sur la jalousie de Compaoré, de n’être qu’un second et lui promirent leur soutien s’il renversait Sankara. Ce qui fut fait10. Ce fut pour des raisons relativement proches qu’au Congo Belge, Patrice Lumumba, a été assassiné, le 17 janvier 1961, afin de briser un mouvement socialiste qui risquait de se propager à toute l’Afrique 11. La militante Dulcie September a elle aussi été assassinée dans des circonstances analogues. Mais « aujourd’hui, la France officielle n’a toujours pas fait la lumière sur ces évènements. Pour s’être mise sur le chemin de cette honteuse collaboration franco/sud-africaine au temps de l’apartheid, Dulcie l’a payé de sa vie. 20 ans après, se souvenir de son combat, c’est aussi réclamer la vérité en France sur son assassinat, c’est aussi se souvenir de ce dont sont capables, hier comme aujourd’hui, les réseaux français en Afrique » (Alain, mars 2008)12. Les réseaux qui ont assassiné Dulcie September « s’appuyaient sur le milieu mercenaire de Bob Denard qui régnait à l’époque sur les Comores, et ne faisait jamais rien sans l’aval des services de l’État français. Le chef des « escadrons de la mort » sud-africains, Eugène De Kock, affirmera en 1998 devant la commission « Vérité et Réconciliation » en Afrique du Sud que « les deux hommes qui ont appuyé sur la détente étaient des membres de la garde présidentielle des Comores, l’un étant Jean Paul Guerrier » (Karl Laske, 19/02/2000)13. L’étendue des connexions franco/sud-africaines est attestée dans plusieurs enquêtes, tournant notamment autour d’un « homme d’affaire » français installé en Afrique du sud, Jean Yves Ollivier, au milieu d’une série de trafics d’armes entre Paris, Pretoria et les Comores, approvisionnant les guerres en Angola, puis plus tard le régime de Sassou N’Guesso au Congo, ou le régime rwandais du génocide, (Verschave, 2000 : 137 et 2003 : 199). Le conflit Chirac Giscard à aboutit à l’assassinat de Robert Boulin. Selon Benoît Collombat. pour défendre Giscard contre les attaques de Chirac avant l les élections présidentielles de 1981, le ministre de Giscard Robert Boulin menace alors de sortir certains dossiers, tel celui des avions renifleurs d’Elf et des fausses factures dans le financement des partis politiques. Il est alors assassiné par les hommes du SAC, notamment au service de Chirac. Officiellement il s’est suicidé entre le 29 et le 30 octobre 1979, et a été retrouvé dans une mare de la forêt de Rambouillet (Collombat, 2007)14. Jacques Paquet ancien chef de cabinet de Robert Boulin témoigne de menaces très précises venant de membres du SAC (dirigé par notamment pas Pasqua), lors du passage de Boulin au ministère de l’Economie et des Finances (mars 1977-mars 1978) (Collombat, 2007 : 326). Un ancien collaborateur de la société SGE ayant rapporté son témoignage par écrit à Fabienne Boulin raconte que, quelques jours avant la mort du ministre, le RPR Jean de Lipkowski a sablé le champagne « à la disparition prochaine de Robert Boulin » (Collombat, 2007 :367-368). Thierry Imbot, travaillaient pour l’entreprise Brenco, appartenant à la famille Falcone, dont le fils Pierre, a été condamné dans le cadre du procès de l’Angolagate. Mais Imbot en savaient sans doute trop. Il est décédé le 10 octobre 2000, il s’est officiellement suicidé en se jetant par une fenêtre (Verschave, 2001 : 137). Ces pratiques criminelles et anti-démocratiques, ne se déroulent donc pas seulement dans les PED, telle l’Afrique, mais dans les pays industrialisés dits démocratiques, telle la France, sans parler de l’assassinat des présidents des Etats Unis JF Kennedy ou de Abraham Lincoln. 10 AFRIQUE EDUCATION, "La fin de Sankara", bimensuel international , juin 2007. 11 . BRAECKMAN Collette, 2002, Lumumba un crime d’Etat, Eden. 12. ALAIN Mathieu, mars 2008, Il y a 20 ans Dulcie September était assassinée à Paris, Afriques en Lutte. 13. LASKE Karl, 19/02/2000, « Des mercenaires français ont-ils tué &Dulcie September ? », Libération. 14 COLLOMBAT Benoît, 2007, Un homme à abattre. Contre-enquête sur la mort de Robert Boulin Fayard, 490 p. Ottenheimer explique que « la solidarité entre franc-maçons est un des principes clés. Peut-être pour y avoir manqué, nombre de maçons sont ’’disparus de manière curieuse’’. Ottenheimer et Lecadre en dressent une liste : Claude Bez, P-D.G. de la société Century ; Marc Delachaux, mort « d’une crise cardiaque en plongeant de son bateau », puis son associé Glenn Souham, « assassiné devant son domicile » ; le policier Daniel Voiry, pilote d’un énorme système de corruption à la préfecture de police de Paris (“suicidé” sur un parking d’Intermarché) ; Roger Loebb, Vénérable de la Loge Jérusalem, fréquentée par Flatto Sharon ; Louis Sidéri, Grand Trésorier de la GLNF, lui-même « suicidé au cyanure » en 1996 ; Pascal Sarda, impliqué dans le scandale de l’ARC, victime d’un « malencontreux accident de voiture » ; René Lucet, « suicidé de deux balles dans la tête en 1982 ; le ministre Robert Boulin, « suicidé » en 1979 ; Joseph Fontanet, retrouvé mort devant son domicile en 1980, une balle dans le dos ; Joseph Doucé, retrouvé mort dans la forêt de Rambouillet en 1990 ; Jean-Claude Méry, victime d’un cancer fulgurant ; Michel Baroin ; Roger-Patrice Pelat ; François de Grossouvre... »15. Les grandes puissances dites démocratiques soutiennent parfois militairement les dictatures auxquelles elles sont alliées. Les républiques qui disent faire la promotion de la démocratie dans le monde, n’hésitent pas à appuyer les dictatures, lorsque leurs intérêts sont en jeu. Pendant les huit ans du règne Habré, la France n’a pas cessé d’accroître son aide financière et militaire à un régime qui préférait investir toutes les ressources du pays dans des dépenses militaires inconsidérées, à l’encontre des besoins fondamentaux de la population, comme la santé ou l’éducation. L’armée et l’administration "d’Hissène Habré engloutissaient chacune en moyenne 200 à 250 millions par an d’aide française L’armée française a enfoui ses possibles états d’âme face aux 40 000 personnes exécutées, 50 000 personnes emprisonnées et 200 000 personnes dépossédées de leurs biens pour cause d’opposition au régime d’Hissein Habré” (Calatayud, 1992)16. Or Idriss Déby, vainqueur des Libyens, a dû son ascencion en servant fidèlement Hissen Habré et à sa proximité avec des officiers français. “Il n’y eut donc pas de problème de transition lorsque, l’officier de la DGSE Paul Fontbonne précipita en 1990 son remplacement par Idriss Déby, à la tête de la tribu Zaghawa” (Calatayud, 1992). François Xavier Verschave à été inculpé par Idriss Déby, car il dénonçait. le fait que ce dernier bénéficiait depuis longtemps du soutien de l’Elysée et des réseaux françafricains (Verschave, 1998)17 : élections truquées avec bourrage des urnes ou inversion des résultats ; répression de toute forme d’opposition démocratique et de presse libre. Cependant Déby a perdu son procès, ce qui valide la thèse de Verschave (2000)18. Au Tchad « les élections présidentielles de mai 2006 ont été boycottées par des groupes d’opposition et largement ignorées par les Tchadiens qui estimaient que la corruption et la mauvaise gestion sous Deby, au pouvoir depuis 16 ans étaient insupportable. Idriss Déby a été réélu en 1996 et 2001, les deux fois dans des conditions irrégulières. Au printemps 2005, la Constitution a été modifiée pour permettre au président de se représenter en 2006 » (Petite, 2006)19. Cela s’explique notamment par le fait que, selon l’ONG Transparency International le Tchad est toujours en tête de l’indice annuel des gouvernements les plus corrompus au monde. Les milices privées permettent notamment de faire la guerre par procuration. Lorsqu’une armée ne veut pas faire la guerre directement, elle peut s’appuyer sur différents moyens. En faisant appel à des milices privées, ou des mercenaires, l’armée officielle ne peut être tenue pour responsable 15 OTTENHEIMER Ghislaine et LECADRE Renaud, Les frères invisibles in François-Xavier Verschave, Noir Chirac, les Arènes, 2002, pp. 68-87. 16 CALATAYUD Roger-Vincent, Rapport de la mission d’observation au Tchad, d’Agir ensemble pour les droits de l’homme et de la FNUJA, du 4 au 11/02/1992. 17 VERSCHAVE François Xavier, La Françafrique, Stock, 1998. 18 VERSCHAVE François Xavier, Noir Silence, Les arènes, 2000. 19 PETITE Simon, Le courrier, Genève, Samedi 07 Janvier 2006. des actes illégaux commis (Renou, 2005)20. Les armées privées (appelées "sous-traitants" par le Pentagone) représentent 10% des effectifs américains envoyés en Irak. En France, pour les projets liés à la France Afrique, on privatise temporairement des membres de l’armée ou des services secrets, afin de dégager notre pays de ses responsabilités. En louant les services d’armées privées, les états n’auront plus besoin d’entretenir en permanence une armée nationale dont l’utilisation effective n’est que ponctuelle. Avec la croissance de l’insécurité se banalise l’existence de polices et milices privées, pour les résidences ou les quartiers les plus riches. Le développement de l’économie libérale contribue à présenter l’idée d’armées privées comme un moyen de diminuer le coût des armées tout en améliorant leur efficacité. Cela permettra aussi aux grandes multinationales (Total, Shell...) de défendre directement leurs intérêts dans le monde. Il y a souvent de fortes collusions entre les intérêts des industriels de l’armement, l’armée et les services secrets. CS est une firme spéciale, où ont “pantouflé” d’anciens hauts responsables de la DST (l’ancien n° 2 Raymond Nart et son adjoint Jacky Debain) (Verschave, 2001 : 145). C’est-à-dire que des anciens membres des pouvoirs publics continuent leur carrière dans le secteur privé, avec le risque d’une perte de l’indépendance de l’Etat et donc de l’intérêt général. Le brillant stratège du Secrétariat général de la Défense nationale, le général de division Claude Mouton deviendra en juillet 2000, directeur général de Brenco-France, l’entreprise de l’entrepreneur Pierre Falcone. « Quand il était au sein de Communication et systèmes, a expliqué Falcone aux policiers, il recevait les Angolais qui étaient en formation chez CS, je proposais des espèces pour s’occuper [d’eux] ». L’intitulé du compte de Mouton ? “Panurge” (Lhomme, 24/01/2001)21. A Pékin, Brenco est représentée par Thierry Imbot, il est un ancien membre des services secrèts, le fils de l’ancien patron de la DGSE et fournit des équipements militaires d’Europe de l’Est au Vietnam et en Birmanie. « Imbot était durant la fin des années 90, chargé d’opérations de change – de francs CFA en dollars – pour des chefs d’État africains comme le président congolais Sassou II, grand ami du président angolais » (LDC, 14/12/2000) 22. Grâce à ses « appuis au sein de la DST ou dans des groupes comme Thomson, le Giat ou la Compagnie des Signaux », Falcone est devenu « l’un des plus grands marchands d’armes du monde » (Routier, 28/12/2000)23. En 1997, les sociétés Simportex et Kopelipa ont acheté en Europe de l’Est pour quelque 3 milliards de francs d’armes, munitions et fournitures diverses. Heureux courtiers : Pierre Falcone et Arcadi Gaydamak ( ce qui conduit le fisc français à leur réclamer 1,25 milliards de francs. 24 (Verschave, 2001 : 143). Brenco en avait déjà équipé la narcodictature birmane, en affaires avec Total. Le tout « a été vendu au moins quatre fois le prix habituel du marché pour de tels matériels ! (Demonpion, 05/01/2001)25. Un article de M. Karl Laske dans "Libération" du 21 juillet 1998 intitulé "La chute d’une barbouze", évoque l’existence de documents saisis par la justice, lors d’une perquisition au siège d’Elf, par la juge Eva Joly, le 15 mai 1998. Les documents démontreraient les liens entre les services de sécurité d’Elf, des membres de réseaux et le président Sassou N’Guesso. Trois ONG françaises, "Agir ici", "Frères des Hommes" et "Survie" ont écrit aux membres de la mission parlementaire, le 10 septembre 1999 « En effet, les Transall de l’armée française n’ont cessé de livrer des armes à la faction au pouvoir, - à savoir le président Sassou N’Guesso (Aubert, 1999)26. 20 RENOU Xavier, La privatisation de la violence, Dossier noir n° 21, Agone, 2005 21 LHOMME F., L’enquête sur l’Angolagate dévoile l’ampleur du “système Falcone”, Le Monde, 24/01/2001. 22 LDC, France : “Affaires africaines” d’État ? 14/12/2000 23 ROUTIER Airy, Enquête sur une affaire d’État, Le Nouvel Observateur, 28/12/2000 24 Stephen Smith et Antoine Glaser, Les hommes de l’“Angolagate”, Le Monde, 13/01/2001. 25DEMONPION Denis, GUISNEL Jean, Les mauvaises fréquentations de Mitterrand l’Africain, Le Point, 05/01/2001, (Verschave, 2001 : 144). 26 AUBERT Marie-Hélène, BRANA Pierre, BLUM Roland, 13 octobre 1999, Rapport d’information de la commission des affaires étrangères sur le rôle des compagnies pétrolières dans la politique internationale et son impact social et environnemental, On observe donc de nombreux points communs entre les dessous du procès Elf et celui de l’Angolagate et d’autres affaires. Il y a, dans les deux cas, un lien fort entre le marché du pétrole et de l’armement, car ce dernier sert aussi à préserver les intérêts pétroliers. Mais aussi, on relève aussi une collusion entre les services secrets et les intérêts économiques privés, en particulier l’industrie privée de l’armemement. Maurice robert, était chef de la sécurité d’Elf et ancien chef des services secret français en Afrique, pivot du reseau Foccart-Chirac (Verschave, 2001, 32). Ainsi, à l’exception de Gaydamak ,ex-colonel des services secrets russes (KGB), tous les personnages clés suivants ont été aussi membres des services secrets français : Étienne Leandri, Alfred Sirven, Pierre Lethier, Jean-Yves Ollivier. Certains protagonistes clés, tels le général Mouton, ou l’agent secret Thierry Imbot passant du service de l’Etat à celui des entreprises privées d’armement. Finalement, les intérêts des membres de l’appareil répressif d’Etat (l’armée) et des grandes entreprises convergent, car fondamentalement, elles visent assurer les profits des élites au pouvoir, fussent-ils au détriment des peuples. Le financement des services secrets s’avère parfois illégal, même dans les Etats de droit. Les services secrets français et états-uniens notamment, souhaitent souvent disposer de budget plus conséquent. Or, les gouvernements et les parlements ne sont pas toujours disposés à répondre à leur requête. De plus, certaines actions, du fait qu’elles sont classées « secret défense » (de manière légitime ou non) peuvent difficilement être rendues publiques et défendues auprès des parlementaires. Ainsi, Verschave explique qu’une partie des actions des services secrets français notamment est financée par du commerce illégal d’armes, de pétrole, de drogue. Par ailleurs, certains présidents africains ont été chaperonnés par un colonel de la DGSE, soi-disant chargé de sa sécurité, et de multiples conseillers français. Par exemple, tous les conseillers du « président » ivoirien Houphouët-Boigny étaient français (Verschave, 2000). Les services secrets de l’Etat luttent parfois entre eux pour protéger les corrupteurs influents Le 6 décembre 1998, le fisc perquisitionnait chez Brenco ( 6 jours avant la police). Mais quelques heures plus tard, une visite inattendue dans leurs locaux, celle de plusieurs hommes se présentant comme des fonctionnaires de la DST.Ceux-ci sélectionnent certains des documents saisis et les emportent » ( Guisnel, 12/01/2001)27, afin de protéger Falcone et Gaydamak. Ce dernier a été « protégé au-delà de toute prudence par la DST, en raison des portes qu’il lui ouvrait en Russie (Guisnel, 22/12/2000)28 ». « Falcone fut longtemps intouchable ». « Le fait que la DGSE ait pu communiquer à la justice ses synthèses sur Gaydamak et Falcone, traduit le lâchage conjoint de Charles Pasqua par l’Élysée et Matignon » (Verschave, 2001 : 149) Le secret de la raison d’Etat est la boite de Pandore contre la transparence démocratique. Au-delà du financement des services secrets, les Etats, sous le motif de la raison d’Etat, classent « top secret » certaines affaires. Le fait qu’il faille parfois, pour des raisons de défense nationale invoquer le « secret d’Etat », ou « le secret défense » engendre un biais très préjudiciable dans la transparence de la démocratie. Si au départ, les motifs sont légitimes, ensuite, la pratique se développe et les élus, ou les administrateurs de l’Etat utilisent le motif de la raison d’Etat pour dissimuler des éléments dont leurs citoyens devraient légitimement être informés. En 1989, par exemple, sous les motifs officiels de ne pas inquiéter la population, les français n’ont pas été informés à temps des retombées du nuage radioactif de Tchernobyl. En réalité, on peut supposer que le lobby militaro-industriel du nucléaire n’avait pas intérêt à laisser se développer une psychose autour du danger des centrales nucléaires. Assemblée nationale, Documentation franÿaise. 27 GUISNEL J., Quand la DST couvait Arcadi Gaydamak, Le Point, 12/01/2001. 28 GUISNEL J., Le début d’une nouvelle affaire d’État, Le Point, 22/12/2000. Le juge d’instruction, Marc Trévidic a publié un ouvrage où il dénonce notamment les limites démocratiques, lorsque les parlementaires, de même que les juges, n’exercent pas leur rôle de contrepouvoir, dans le cadre de la séparation entre le pouvoir exécutif d’un côté et le pouvoir législatif et judiciaire de l’autre. Ce qui engendre des dérives inexorables, en particulier avec l’argument du « secret défense » et de la « raison d’Etat » utilisé par l’exécutif (gouvernement, service secret, armée...)29. Le juge Trévidic dénonce le fait que « le dispositif sur le secret défense n’est pas constitutionnel » 30. Il estime ainsi que « le Parlement a abdiqué ses responsabilités sur la question du secret défense. La mission parlementaire sur l’attentat de Karachi s’est ainsi vu refuser des documents classifiés sans s’indigner outre mesure, excepté l’un des membres de cette mission. Je suis sidéré par cette situation ! Quant à la commission chargée d’examiner les demandes des juges, elle donne un simple avis. Elle ne dispose d’aucun pouvoir d’investigation, ni d’injonction. La décision relève du seul ministre. La création d’une "juridiction du secret défense" est plus que jamais nécessaire. Composée de magistrats extérieurs au dossier, elle serait chargée de déterminer la pertinence de la demande des juges »31. Concernant le rôle du juge d’instruction Marc Trévidic souligne : « La police qui interpelle et le parquet qui poursuit dépendent du même pouvoir exécutif. S’il y a un attentat demain en France, il faudra à tout prix des résultats... et vite. Moi, quand j’étais au parquet et que ma hiérarchie me donnait l’ordre de déférer quelqu’un, j’obéissais, et ce n’était que l’application logique du système hiérarchique légalement prévu. La loi m’interdit de donner ma position et d’argumenter. Les parties civiles, elles, ont le droit de s’exprimer et de rapporter ce que leur a dit le juge. Le seul à pouvoir communiquer reste le parquet, hiérarchiquement dépendant du pouvoir. Mais cette communication officielle s’apparente parfois à une communication à la soviétique »32. On ne compte d’ailleurs plus le nombre d’affaires impliquant les élites politiques et économiques, classées sans suite, par le parquet. De plus, on observe parfois une collusion entre les services secrets et les intérêts économiques privés. Maurice Robert, était chef de la sécurité d’Elf et ancien chef des services secret français en Afrique, pivot du réseau Foccart-Chirac (Verschave, 2001, 32). Créer de faux motifs permet de discréditer un adversaire et de lancer des actions agressives ou répressives. Les stratèges de certains gouvernements vont parfois jusqu’à créer des faux attentats, ou de fausses preuves, afin de discréditer un individu, un Etat, ou groupe d’opposants au régime en place, ou pour justifier ce qu’ils qualifient de « guerre punitive », ou « préventive ». Le cas récent le plus connu fut les fausses preuves inventées (photos truquées usines de fabrication d’armes nucléaires) du gouvernement des Etats Unis devant l’ONU, pour obtenir leur accord afin d’envahir l’Irak de Saddam Hussein. Ainsi, le pétrole irakien est passé sous le contrôle des Etats-Unis et l’Irak sous le pouvoir de l’armée. La technique du « falshflag » du faux drapeau fut aussi utilisée par Hitler, lors du faux attentat du Reichstag. La CIA a fomenté le renversement de Mossadegh en Iran, en 1953, par une succession d’attentats contre des ecclésiastiques. Le président Johnson s’est appuyé sur un faux incident dans la Baie du Tonkin contre deux destroyers US ,en 1964, pour légitimer les bombardements de Hanoi (Petras, 2001). Utiliser la dette des Etats donne l’occasion d’opprimer une population (dettes d’oppression). « Les dettes d’oppression résultent de prêts contractés pour financer des activités humiliantes, agressives criminelles contre la population qui s’est endettée Il s’agit par exemple de prêts utilisés pour installer de facto, maintenir ou renforcer un régime dictatorial ou répressif, de fonds destinés à l’achat 29 Marc Trévidic, Au coeur de l’antiterrorisme, Jean-Claude Lattès, 402 p., 2011. 30 Fabrice Arfi et Fabrice Lhomme, « Le dispositif sur le secret défense n’est pas constitutionnel », Médiapart, 24 février 2011. 31 Pascal Ceaux, Eric Pelletier, Jean-Marie Pontaut : Marc Trévidic "C’est nous qui avons fabriqué l’islamisme", l’Express, 09/02/2011. http://www.lexpress.fr/actualite/so... 32 Pascal Ceaux, Ibid., 09/02/2011. d’armes pour réprimer des soulèvements de l’opposition, de fonds destinés à la construction ou à l’intendance de centre de détention et de tortures ou de camps de concentration, de fonds destinés à la formation ou à l’entretien de corps militaires spécialisés entrainés à ces fins, etc. » (Ramos, 2008, 79). Par exemple en Afrique du Sud à Sharpeville, en 1960, les forces de police ont réprimé une manifestation, ce qui se solda par 69 personnes noires mortes, 400 blessés et 11727 arrestations (Ramos, 2008, 81). L’année de la célèbre répression contre la manifestation étudiante de Soweto en 1976 qui fit 200 morts, le FMI, appuyé par la Grande Bretagne et les Etats-Unis, fit un prêt de 464 millions de $, soit l’équivalent des ses dépenses d’équipement militaire durant cette année la (Rudin, 2003). L’Afrique du Sud, entre 1948 et 1991, a ainsi, mené une politique d’apartheid, c’est-à-dire qu’elle prônait la suprématie de la race blanche et exerçait sa domination et sa répression sur la population non blanche. Entre 1980 et 1993, on a calculé que les bénéfices légués aux entreprises étrangères qui ont commercé avec ce régime, notamment pour réprimer la population, s’élève à 41 milliards de $ (Rudin, 2003)33. Parfois les banques n’hésitent pas à financer illégalement la répression des populations et le soutien aux dictateurs. Bien que dès 1973, les Nations-Unies aient qualifié l’apartheid, de crime contre l’humanité, la communauté financière a continué à concéder des prêts au gouvernement sudafricain. C’est majoritairement les fonds publiques, mais par l’aide bilatérale qui ont financé l’Afrique du Sud, en 1993, l’Afrique du Sud devaient 90% de ses aides extérieures à long terme à quatre pays : Etats-Unis, la France, l’Allemagne et la Suisse. « Durant toute la période d’apartheid, au moins 30 grandes banques et 230 de moindre envergure furent engagées pour financement du régime » (Ramos, 2008, 82-83). Cette aide financière était réalisée en parallèle au soutien des Etats-Unis, via la France, à la création de la bombe nucléaire sud africaine. L’appui des banques fit l’objet de plaintes, notamment à New York, par les victimes de ce régime d’apartheid, en 2002, par l’apartheid Kumlumani Support Group. La plainte portait contre 21 banques et entreprises étrangères. Parmi ces banques on compte Barclay National Bank, Crédit Suisse, Deutsche Bank AG, Ford, J.P Morgan Chase (Bank) et parmi les entreprises BP, Chevron Texaco, Shell, et Total Fina-Elf pour la France. Une autre plainte avait été déposée pour le même motif, dès 1992, par d’autres victimes (Ramos, 2008, 84). Les banques soutiennent souvent les marchands d’armes, les guerres et la dette de guerre. « Les dettes de guerre considérées comme illégitimes dérivent de prêts qui ont financé des plans belliqueux à des fins impérialistes (étendre la domination d’un pays sur un autre par la force) » à des fins d’annexion ou de conquête d’un pays, par le moyens d’opération de guerre (Ramos, 2008, 86). L’invasion du Timor oriental par le dictateur indonésien Suharto (1965-1998) fit 60 000 morts en 1976, puis 200 000 morts en 1979,près du tiers de la population du Timor Oriental (Le monde diplomatique, 2008)34. Cette invasion a été soutenue financièrement par les Etats-Unis et leurs alliés (Australie, Grande Bretagne…) et la Banque Mondiale. Les Etats –Unis quadrupla son aide économique durant cette période (Toussaint, déc. 2004)35. Les guerres servent souvent les intérêts des entreprises nationales. Officiellement, le départ pour la guerre contre une nation adverse est toujours légitimé par des mobiles vertueux, de hautes valeurs morales : la défense de la liberté, de la démocratie, de la justice. Mais derrière ces nobles motifs, les véritables motivations sont parfois moins claires. 33 RUDIN Jeff, 2003, “Odious debt revisited” in Jubilee South Journal V1, n°1. 34 LE MONDE DIPLOMATIQUE, mardi 29 janvier 2008, « Suharto, le dictateur canonisé ». 35 TOUSSAINT Eric, déc. 2004, « La politique du FMI à l’égard de l’Indonésie de 1947 à 2003 », http://www.cadtm.org/imprimer. php3 ?id_article=709. Les guerres permettent de contrôler économiquement un pays afin de permettre aux entrepreneurs privés d’une nation de s’accaparer les richesses (pétrole, uranium, minerais...) ou humaines du pays, Le Chili aura été terrain d’expérimentation des théories libérales de Milton Friedman consistant à mettre sous tutelle les pays producteurs de matière première (énergie, métaux, nourriture...) afin de garder la maîtrise de l’économie mondiale. Cela supposait de briser les gouvernements et l’économie de ce type de pays (Petras, 2001 : 114). La colonisation de l’Asie, de l’Amérique Latine et de l’Afrique sous le couvert d’apporter la civilisation visait d’abord cela. La traite négrière en Europe et en Amérique du Nord a servi cet objectif. La guerre des Etats-Unis contre l’Irak a permis à l’industrie pétrolière américaine de faire main basse sur les hydrocarbures du pays. Si la France s’est opposée à cette guerre, ce n’est pas seulement pour défendre l’Etat de droit, mais pour défendre les échanges privilégiés de ses industries avec l’Irak. Ce fut le cas par exemple de la Guerre du Biafra, dans laquelle la France soutenait les rebelles afin de récupérer le pétrole pour ses transnationales (Elf) (Verschave, 1999). La guerre accroît les dépenses de l’Etat et les profits des entreprises. Elle permet la prédation des richesses d’un autre Etat, d’une autre région ou d’une autre ethnie. Le génocide des juifs a permis au régime nazi de s’accaparer les richesses des familles déportées. La guerre des Etats-Unis contre l’Irak a accru les bénéfices de l’industrie privée d’armement des Etats-Unis notamment. Le financement des deux camps de la guerre civile par Elf au Congo-Brazzaville, en Angola, a accru les profits de marchands d’armes (tel Falcone) (Verschave, 2001). La vente d’arme par la France et les Etats Unis notamment aussi bien à l’Iran qu’à l’Irak, durant leur longue guerre, a permis aux vendeurs d’armes de s’enrichir. De manière générale, l’extension des conflits dans le monde profite aux vendeurs d’armes. Ainsi, la carrière politique de Jacques Chirac a été lancée par le marchand d’armes Marcel Dassault (Verschave, 2003). La guerre extérieure vers un Etat étranger visent généralement des objectifs géostratégiques. Les guerres ont parfois un motif économique et politique indirect. Lorsque les gains économiques ou politiques directs sont très faibles, alors les opérations humanitaires par les armées sont quasiment inexistantes. Le nombre de conflits inter-étatiques entre 1990 et 2001 a augmenté : le monde a été frappé par 57 conflits majeurs sur 45 territoires distincts (Mampaey , 2004)36. De très nombreux conflits et massacres des populations sont commis dans des dizaines de pays, sans même que l’opinion publique mondiale soit informée. Par exemple au Congo-Brazzaville, cette guerre a fait des centaines de milliers de morts et officiellement la France n’était pas présente et les médias n’ont quasiment pas fait part de cette guerre (Verschave, 2001). La France conserve une base militaire au Tchad qui est, lui aussi, situé au coeur de l’Afrique et qui permet d’accéder à de nombreux pays connexes, comme le Soudan (le pétrole du Darfour), le Cameroun (bois), la Centrafrique... En 2008, durant la tentative de coup d’Etat, elle a donc soutenu militairement le dictateur Idriss Déby, afin de conserver notamment cette situation (La croix, 2008). Certains nations disposent d’une importance géo-stratégiques importantes. En 1997, la ’’doctrine Brzezinski » affirme que celui qui contrôle le Moyen Orient contrôle le monde, dans le mesure ou ce secteur est situé au milieu des autres continents (Europe, Asie, Afrique)37. La guerre de l’Irak, n’avait donc pas que des objectifs et pétroliers, économiques variés (vente d’armes, reconstructions...). S’il n’y a pas de motif économique, il est rare qu’il n’y ait pas un motif politique. Soutenir un pays, c’est aussi s’assurer un allié supplémentaire dans les organisations internationales, son vote à 36 MAMPAEY Luc et SARFATI Claude, in François Chesnais, La finance mondialisée. Racines sociales et politiques, configuration, conséquences, La Découverte, 2004. 37 BRZEZINSKI Zbigniew, Le Grand échiquier, L’Amérique et le reste du monde, Paris, Bayard, 1997. l’Assemblée générale de l’ONU et dans d’autres de ses agences. De plus les guerres et le développement du terrorisme permet aux puissances militaires dominantes (USA, OTAN, France...) de pénétrer des zones et de s’y installer durablement, afin d’y consolider leur influence et leur maîtrise. Créer une fausse révolte populaire nationale peut permettre de cacher un coup d’Etat par un gouvernement étranger. En prenant l’aspect d’une rébellion classique, les mercenaires jettent le doute sur la légitimité de tel ou tel gouvernement et introduisent l’idée que le régime est précaire et n’a pas le soutien de toute la population et donc doit être condamné. Cela contraint donc le gouvernement à entrer en conflit et il devient alors l’agresseur aux yeux de la communauté internationale. De nombreux, putschistes et mercenaires sont financés par un Etat ou une entreprise étrangère, afin de servir leurs intérêts. Ainsi si le coup d’Etat réussit, ces derniers seront proches d’un pouvoir qui servira leurs projets économiques ou politiques. Si le coup d’Etat échoue, compte tenu du fait qu’ils ne sont pas les acteurs de ce coup de force, ils ont peu de chance d’être inquiétés. Lorsqu’un Etat A ne sert pas ou plus les intérêts des entreprises d’un Etat B, le gouvernement de ce dernier use parfois du coup d’Etat pour placer de nouveaux dirigeants au pouvoir, qui seront plus à même de servir leurs intérêts. Ce fut le cas, avec le gouvernement français qui décida de mener un coup d’Etat, via des rebelles locaux et / ou des mercenaires, notamment au Tchad, aux Comores (avec Bob Denard),... Là encore, l’Etat agresseur peut les utiliser sans être mis en cause, comme lors du coup d’Etat aux Comores en 1995 ou Bob Denard arrive avec 33 hommes pour monter à l’assaut du palais présidentiel de Saïd Djohar. L’Etat français intervient et arrête les mercenaires qui seront emprisonnés sauf Bob Denard, évacué par un appareil de l’armée française (Caminade, 2003)38. “La tentative de coup d’Etat contre le régime tchadien de Déby, le 13 avril 2006, aurait été contrecarrée par 1.300 soldats français stationnés dans le pays, craignant que le pouvoir ne soit transféré à des rebelles secrètement soutenus par le Soudan (Mekay, 2006)39. Auparavant, “le Tchad était la chasse gardée de la France. Celle-ci le fit comprendre au colonel Kadhafi dans les années 80, quand une livraison massive de missiles Milan arrêta net les blindés libyens. A l’intérieur, aucun président ne pouvait régner longtemps sans l’aval de l’Elysée et du ministère de la Défense. Quand le chef de l’Etat ne plaisait plus, on aidait, discrètement mais fermement, à son éviction. En 1990, Hissène Habré fut jugé coupable de sentiments proaméricains. La DGSE ouvrit un couloir à son ancien chef d’état-major, Idriss Déby, réfugié au Soudan” (Prier, 2006)40. Le plus célèbre dirigeant des escadrons de la mort en Bolivie fut Klaus Barbie avec sa milice los novios de la muerte qui sévit pendant les années 1970. Elle fut financée par la CIA et les narcotrafiquants boliviens et prendra part au coup d’Etat qui installe le gouvernement de Luis Arce- Gomez avec une répression qui fera 25000 disparus (Levine, 1996).41 Les Etats Unis firent de même au Chili contre Salvador Allende pour y placer le Général Pinochet. Le 11 sept 1973 au Chili : un coup d’Etat militaire aura été le début de la conquête Etats-uniennes, néolibérale, impérialiste et militaire, de l’Amérique latine, puis du monde. La CIA a ainsi été l’instigatrice, d’autres coups d’Etats (Argentine, Brésil, Uruguay..) visant à placer au pouvoir des dirigeants d’extrême droite bénéfiques aux intérêts états-uniens (Petras, 2001 : 114)42. 38. CAMINADE, 2003, Comores-Mayoette, une histoire néocoloniale, Marseille, Agone. 39 MEKAY Emad, “Le Tchad tient la Banque mondiale à sa merci”, Washington, 8 mai 2006, Inter Press Service News Agency. 40 PRIER Pierre , “Le Tchad, laboratoire de l’après « Françafrique »”, Le Figaro, 15/04/2006. 41 LEVINE Michaël, KAVANAU Laura, 1996, Blancs comme neige, La drôle de guerre de la cocaïne, Dagorno,. 42 PETRAS James, VELMEYER Henry, 2001, La face cachée de la mondialisation, L’Impérialisme au XXIe siècle, Parangon 282 p.

Thierry Brugvin

Docteur en Sociologie

Notes

1 Thierry Brugvin, Les mouvements sociaux face au commerce éthique, Hermès, 2007. 2 EINAUDI Jean Luc, La Bataille de Paris, Seuil.


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