Mai 1968 « LE FOOTBALL AUX FOOTBALLEURS »

mardi 24 mai 2022.
 

Du 22 au 27 mai 1968, les footballeurs occupaient la FFF (Fédération française de football) et accrochaient une banderolle à la fenêtre : « Le football aux footballeurs » ; ils diffusaient un texte distribué en tract.

1) "Le football aux footballeurs" : l’étonnant Mai-68 des joueurs de foot français

La puissante vague de contestation qui a gagné la France au printemps 1968 n’a pas épargné le football.

Sur les coups de 8 heures, ce 22 mai, une poignée de joueurs débarquent au numéro 60 de l’avenue d’Iéna, avec la ferme intention de prendre possession du siège de la Fédération française de football, et d’occuper les lieux. Dehors, des tracts sont distribués aux passants. A l’intérieur, les employés de la fédération sont rassemblés dans une salle de l’immeuble. Le secrétaire général de la Fédération, Pierre Delaunay, et Georges Boulogne, instructeur national, sont isolés dans un bureau. L’entrée de l’immeuble est barricadée, puis un drapeau rouge et deux banderoles sont déployées sur la façade. Avec deux slogans :

"Le football aux footballeurs"

"La Fédération, propriété des 600.000 footballeurs" (il s’agit à l’époque du nombre de joueurs français licenciés).

Si le personnel est rapidement "libéré", tout comme Georges Boulogne et Pierre Delaunay, qui quittent les lieux dans le milieu de l’après-midi, l’occupation de l’immeuble ne fait, elle, que débuter. Elle va durer plusieurs jours.

Beau jeu et lutte des classes

Qui sont donc ces joueurs, qui viennent de prendre d’assaut la FFF ? Et quelles sont leurs revendications ? "La quasi-totalité du groupe de contestataires appartenait à des clubs amateurs de la région parisienne", écrit l’historien du football Alfred Wahl, dans un article consacré à cet épisode méconnu. André Mérelle et Michel Oriot, les deux seuls joueurs professionnels qui participent à cette occupation, évoluent quant à eux au Red Star, le légendaire club de Saint-Ouen.

L’idée de ce coup d’éclat revient en réalité à des journalistes sportifs du mensuel "le Miroir du football", engagés à gauche. Proche de la mouvance communiste, cette revue milite pour le beau jeu, le jeu créatif plutôt que physique, et porte un discours très critique sur la société. Dans son viseur : le paternalisme et l’autoritarisme des "caciques" du football français, les "affairistes, les politiciens et les technocrates, toujours prêts à exploiter ou à manipuler les sportifs".

Le Red Star, derniers jours d’un club ouvrier

Ces idées et ce langage de lutte des classes transparaissent dans le manifeste distribué par les footballeurs contestataires le jour de l’occupation du siège de la FFF. Dans ce document, sous-titré "tract-programme du comité d’action des footballeurs", ils expliquent vouloir "rendre aux 600.000 footballeurs français à leurs millions d’amis ce qui leur appartient : le football dont les pontifes de la Fédération les ont expropriés pour servir leurs intérêts égoïstes de profiteurs du sport".

Dans ce document, la collusion des dirigeants du football avec le pouvoir politique est également dénoncée. Le sélectionneur Georges Boulogne est décrit comme le "chef de la Mafia des entraîneurs", qui "réserve à ses amis les postes les mieux rétribués". Quant à Pierre Delaunay, il est comparé à un "vulgaire Louis XVI", puisqu’il a "hérité" du poste de secrétaire général de la Fédération par son père. ""Pour que le football reste votre propriété, nous vous appelons à vous rendre sans délai devant le siège de la Fédération, redevenu votre maison. Tous unis nous ferons à nouveau du football ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : le sport de la joie, le sport du monde de demain que tous les travailleurs ont commencé à construire", concluent-ils. "

"Les fondements du football français ont été mis en place par Vichy"

Si ce coup d’éclat comporte une évidente dimension symbolique, les footballeurs qui y participent portent aussi des revendications très concrètes. Aux attaques personnelles portées contre les dirigeants de la fédération et à la remise en cause de la FFF, s’ajoute la critique virulente du "contrat à vie", qui lie à l’époque tout joueur professionnel à un club. Dénoncé par l’illustre Raymond Kopa dès 1963, ce contrat est qualifié d’"esclavagiste" et sa suppression est exigée.

Débats et foot sauvage

Au cours de ces six jours d’occupation, l’ambiance est à la fête, avenue d’Iéna. "On installe des lits de camp, on festoie allègrement dans les salons huppés de la Fédération et l’on scrute depuis les combles tout mouvement suspect", raconte le journaliste Mickaël Correia, dans son livre "Une histoire populaire du football". "Mai 68 est alors à son paroxysme : le 24 mai, la capitale est le théâtre de rudes batailles de rue entre manifestants barricadés et forces de police, la Bourse de Paris est incendiée. Le siège occupé de la FFF bat au rythme tumultueux du mouvement en cours et se transforme en agora démocratique".

""Les débat enflammés autour d’un autre football et les projections de films de matches internationaux vont bon train, le tout entrecoupé de parties de foot sauvage sur la très pimpante avenue d’Iéna.""

La fête prend fin le 27 mai, dans le calme. Les footballeurs décident de quitter les lieux après un vote en assemblée générale, alors que syndicats et organisations étudiantes entament des négociations avec le gouvernement, qui aboutiront aux fameux accords de Grenelle. Les footballeurs estiment avoir atteint leur objectif, à savoir médiatiser leur combat.

Les présidents et le sport : qui imagine De Gaulle en short ?

La lutte ne s’arrête pas pour autant. Dans la foulée, le "comité d’action des footballeurs", à l’initiative de cette occupation, se transforme. Il devient l’Association française des footballeurs, une entité présidée par Just Fontaine, ancien buteur de Reims et des Bleus. C’est à elle que revient désormais la responsabilité de porter les revendications du mouvement.

Une simple farce ?

Quelle place et quelle importance faut-il attribuer à cette épisode ? Faut-il n’y voir qu’une simple farce ? Contrairement à celui des étudiants et des ouvriers, le "Mai 68" des footballeurs n’a pas été un mouvement de masse. Il est essentiellement resté cantonné à Paris, et même à l’avenue d’Iéna. Dans le reste du pays, quelque 200 joueurs se sont réunis à Saint-Brieuc, mais c’est à peu près le seul écho rencontré par le mouvement en dehors de la capitale.

Limité, ce mouvement ne saurait pourtant être réduit à un événement uniquement folklorique. "Par sa pratique et par ses revendications, le ’Mai des footballeurs’ se trouve au carrefour du mouvement étudiant et du mouvement syndical", analyse Alfred Wahl.

""Relativement proche du mouvement des étudiants par le rêve d’un football plus ludique, les rêves de démocratie directe et le rejet de toute hiérarchie, il l’était davantage de celui des ouvriers par les revendications catégorielles précises.""

Pour l’historien, cet épisode, bien que modeste, a suffi à ébranler l’édifice du football français. "Quant aux acquis, on observe les mêmes caractéristiques que dans les autre secteurs : des concessions immédiates, un processus de réaction, mais aussi des départs significatifs à plus ou moins brève échéance parmi les anciens responsables (de la FFF) et enfin, un train particulièrement dense de réformes réalisées dans les mois et les années ultérieurs, plus ou moins en rapport avec les revendications de Mai 68", écrit-il.

Mai-68, c’est aussi la plus grande grève de l’histoire de France

Un certain nombre d’avancées ont ainsi été obtenues, à commencer par l’abolition, dès 1969, du fameux "contrat à vie", remplacé par un contrat à durée librement déterminée. Alors que des présidents de club tentent en 1972 de remettre en cause cette avancée, une grève des joueurs est déclenchée et parvient à le consolider. Autre changement notable : la démission, au lendemain du mouvement de 68, du très contesté Pierre Delaunay, jusqu’alors secrétaire général de la Fédération.

"J’étais le gauchiste !"

Ébranlé, l’édifice de la Fédération a néanmoins résisté à la tempête. "Alors même que, dans les autres sphères sociales, nous assistons à une remise en cause de la notion d’autorité, alors même qu’à l’école, l’université, des orientations nouvelles se font jour, le football reste le domaine d’autocrates non éclairés", constatait avec regret André Mérelle, l’un des rares footballeurs pro à s’être joint au mouvement."J’ai eu des difficultés à retrouver un club. J’étais le gauchiste !", ajoutait-il.

Les instances ont également cherché à éloigner des terrains les contestataires amateurs. "La ligue de Paris a suspendu un temps nos licences. Elle voulait nous empêcher de débuter la saison 68-69", a raconté Serge Aurer, un autre participant, cité par le journaliste Mickaël Correia, dans son livre "Une histoire populaire du football"

Georges Boulogne reprend la main

Cette révolte n’a pas non plus empêché Georges Boulogne, pourtant dans le viseur des contestataires, d’être nommé l’année suivante sélectionneur de l’équipe de France, puis directeur national du football en 1970, et de devenir l’un des piliers de la fédération.

Réputé dogmatique, cet homme aux idées résolument conservatrices, voire réactionnaires, a eu après 68 les coudées franches pour façonner à sa guise la formation des entraîneurs et des joueurs français. Plutôt que de le faire évoluer, il s’est alors efforcé de consolider le système extrêmement vertical, inspiré du fonctionnement militaire, qui avait été mis en place par Vichy. Des principes et un fonctionnement archaïques, bien éloignés des revendications et de l’esprit festif qui animaient les footballeurs contestataires du printemps 68, et dont le football français reste en partie imprégné aujourd’hui encore.

Par Sébastien Billard

Source : https://www.nouvelobs.com/societe/m...

2) 1968 2018 Qu’en est-il aujourd’hui ?

Le foot est mis en scène comme sport de compétition, aux enjeux financiers d’importance, les clubs comme les joueurs étant vendus, achetés, marchandise comme une autre. C’est pourtant un sport populaire, pratiqué massivement car demandant un faible investissement, joué sur des terrains vagues, de larges trottoirs. Là aussi, la domination du capital et de la financiarisation n’est pas irrésistible. Dans les clubs « amateurs » certes, et jusqu’au sein même des grandes équipes, comme de grands clubs, ça branle dans le manche. Là, comme ailleurs, il peut devenir insupportable de subir les changements de propriétaires, qui décident eux-mêmes de la désignation des entraîneurs, choisissant eux-mêmes les joueurs sans en informer, encore moins consulter, les supporters, les joueurs.

En 2007, ce sont les dirigeants du FC Barcelone qui, « s’en remettant à l’autogestion des joueurs », selon les termes employés par le directeur sportif Txiki Begiristain lors d’une conférence de presse, suite à la demande de l’entraîneur Frank Rijkaard qui avait demandé qu’il n’y ait pas de sanctions « parce qu’il a confiance dans l’autogestion du groupe ». Peut-on dire qu’en 2013 c’en est fini de cette autogestion ? En tous cas, avec le Real Madrid, l’Athletic Bilbao et le Club Osasuna, le FC Barcelone fait partie de ces quatre clubs qui ont refusé de suivre l’obligation de se transformer en sociétés commerciales comme l’avait imposé à la fin des années 1990 le gouvernement socialiste de Felipe Gonzales ainsi que le rappelle Le Monde diplomatique de juin 2014.

A Genève, des « prises de pouvoir » par des joueurs ou des membres des clubs qui en deviennent entraîneurs ou présidents amène à un rajeunissement.

En 2009, les décisions de la Fédération française de football qui avait décidé de plusieurs matches, dont un France-Espagne contre l’avis des joueurs, était mise en cause. Lors d’un stage à Tignes, Evra, très représentatif de la plupart de ses coéquipiers, avait ainsi protesté contre le fait que le successeur de Domenech ait été choisi avant ce mondial. C’est dans ces conditions que Le Figaro avait pu titrer un article « Les Bleus en autogestion » lors de la coupe du monde en Afrique du sud en 2010, quand le public apprenait que Les Bleus « ne voulaient plus de Robert Duverne et de son staff à la suite d’une l’altercation avec le capitaine », Patrice Evra, tenant réunion dans leur bus, au bord du terrain d’entraînement.

Un modèle est sans aucun doute le club FC Sankt Pauli situé dans un quartier populaire de Hambourg. Loin du modèle « traditionnel » de clubs machistes, et loin du « foot business », le FC Sankt Pauli est dirigé par un homme de théâtre homosexuel, selon ses statuts mêmes il s’affirme comme club antiraciste antifasciste, et les militants de gauche et d’extrême gauche qui y sont liés assurent leur présence dans les tribunes, y faisant vivre une culture populaire, antifasciste avec chants et banderoles.

On ne peut évidemment terminer sans parler de Socrates. Le Sport Club Corinthians Paulista est l’un des plus grands clubs de Sao Paulo. En accord avec le directeur sportif de l’équipe, Atilson Monteiro Alves, Socrates et ses coéquipiers inventent une démocratie participative : toutes les grandes décisions stratégiques du club seront mises au vote. La « Démocratie Corinthienne », est née.

Par Robi Morder


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message