Lettre d’Action Environnement (Aveyron) sur la sortie du nucléaire et réponse du PG

jeudi 2 juin 2011.
 

1) Lettre d’Action Environnement sur la Sortie du Nucléaire, adressée au Parti de Gauche

Madame, Monsieur,

La catastrophe nucléaire de Fukushima, au Japon, a sonné le glas du mythe de la sûreté nucléaire.

Ceux qui n’avaient pas entendu, ou pas voulu entendre, l’avertissement de Tchernobyl (1986) ne peuvent plus maintenant continuer à nier que le nucléaire est une industrie à très haut risque, que la sécurité absolue n’existe pas et qu’un accident majeur peut arriver n’importe quand, n’importe où, même dans des pays de haute technologie (cas du Japon et de la France), parce qu’il est impossible de tout prévoir et que l’erreur humaine est toujours possible.

En 1988, au cours d’un colloque, Pierre Tanguy, Inspecteur général pour la Sûreté et la Sécurité nucléaire à EDF, déclarait : "Je reconnais que nous ne sommes pas sûrs d’être absolument exhaustifs et que s’il doit se produire un accident, ce sera celui que nous n’aurons pas prévu."

Après la catastrophe de Fukushima, les plus hauts responsables de la sûreté nucléaire reconnaissent qu’un accident majeur peut arriver aussi en France. C’est ainsi que le président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), André-Claude Lacoste, déclare dans "Le Monde" du 31.03.2011 : "Personne ne peut garantir qu’il n’y aura jamais un accident grave en France. Il convient de faire deux choses : essayer de réduire la probabilité que cela arrive, ainsi que les conséquences, si cela arrive."

On peut en effet - et on doit - s’efforcer d’améliorer la sûreté nucléaire, faire des audits et des tests, renforcer la règlementation, tirer des enseignements des accidents survenus ailleurs, concevoir des réacteurs moins vulnérables ...

De ce point de vue, le programme de contrôle de l’ensemble des réacteurs nucléaires en fonctionnement dans l’Union Européenne (stress tests) annoncé récemment est une bonne chose et on peut espérer qu’il permettra d’améliorer la sûreté globale du parc nucléaire européen.

Cependant, premièrement, ces contrôles devraient concerner l’ensemble des installations nucléaires, et notamment les usines de retraitement du combustible usé, et pas seulement les réacteurs.

Deuxièmement, cette décision montre que la sûreté actuelle n’est pas aussi grande que ce qu’on nous affirmait puisque les tests vont concerner de nombreuses situations accidentelles ou préaccidentelles négligées dans la conception des réacteurs ou non prises en compte dans les scénarios de crise aujourd’hui en vigueur.

Troisièmement, on peut se demander sur quoi va déboucher ce programme de contrôle : fermera-t-on les réacteurs jugés insuffisamment sûrs ? construira-t-on des enceintes de confinement sur les piscines de désactivation, dont la vulnérabilité a été mise en évidence à Fukushima ? prendra-t-on en compte, et comment, la possibilité de la chute d’un avion de ligne sur une centrale ou sur les piscines d’entreposage du combustible usé à La Hague ? Enfin, il est évident que malgré tous les contrôles et toutes les éventuelles améliorations que l’on peut apporter, on n’arrivera jamais à tout imaginer et donc à tout prévoir.

On restera toujours à la merci d’une défaillance technique, d’un événement extérieur jugé si peu probable qu’il n’est pas pris en compte, d’un événement naturel plus important que prévu (séisme, inondation ...), d’un acte de malveillance ou de terrorisme, d’une erreur humaine et, pire que tout, d’un cumul d’aléas par définition imprévisible (par exemple, une défaillance technique suivie d’une erreur humaine).

Dans "Le Monde" du 06.04.2011, Jacques Repussard, directeur de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), déclare : "Mais à mon sens il faut dépasser ces débats d’experts, car quel que soit le tremblement de terre de référence que l’on retienne, le risque d’être pris de court par un séisme encore plus important existera toujours. C’est aussi vrai dans le cas d’une inondation. Il faut donc peut-être hausser la digue, mais aussi prévoir qu’elle peut de toute façon être submergée et se préparer à cette situation." Autrement dit, il faudrait prévoir l’imprévisible, ce qui est bien entendu impossible. J. Repussard ajoute plus loin que "sur le plan mondial, 14 000 années-réacteur sont déjà passées, et les statistiques montrent qu’on est à 0,0002 accident grave par an, soit vingt fois plus qu’attendu selon les études probabilistes, qui ne savent pas bien prendre en compte l’aléa naturel et le facteur humain."

Les études ne servent donc à rien. Le risque échappe à toute modélisation et à toute prévision.

C’est pourquoi on peut "essayer de réduire la probabilité que cela arrive", pour reprendre les paroles d’ A-C. Lacoste, mais on ne pourra jamais parvenir à la sûreté absolue et infaillible, et cela d’autant plus que les centrales vieillissent et deviennent donc plus sujettes à des défaillances de tel ou tel matériau ou composant.

Bien entendu, la probabilité d’occurence d’un accident majeur ou d’une catastrophe est relativement faible. Mais la gravité de l’accident peut être extrêmement grande pour ce qui concerne l’impact sanitaire à court, moyen et long terme et pour ce qui est de la contamination radioactive des sols, de l’eau et de la chaîne alimentaire sur des décennies. Et c’est cela qui est inacceptable.

De même qu’on peut s’efforcer d’améliorer la sûreté sans pouvoir parvenir à la sûreté absolue, on peut essayer de réduire "les conséquences, si cela arrive" (citation d’ A-C. Lacoste ci-dessus), sans être certain qu’elles ne seront pas bien plus importantes que prévu.

Un autre problème majeur du nucléaire est celui des déchets radioactifs, et en particulier celui des déchets à très longue durée de vie, héritage empoisonné légué à des centaines de générations futures. Le démantèlement des installations nucléaires, dont le coût sera énorme, génèrera des quantités considérables de déchets dans les décennies à venir.

Après Tchernobyl et Fukushima, aucun élu, aucun responsable politique, aucun gouvernement, aucun responsable de la production d’énergie, ne peut refuser de voir la réalité en face et ne peut continuer à soutenir et à développer une forme d’énergie aussi dangereuse et imprévisible.

Persévérer dans le nucléaire, c’est courir le risque de la contamination radioactive de dizaines de milliers de kilomètres carrés avec ses conséquences économiques, sociales et sanitaires désastreuses.

Il est donc temps d’appliquer les principes de prévention et de précaution inscrits dans le Code de l’Environnement (art. L.110-1), de mettre en oeuvre le développement durable énoncé dans notre législation et d’abandonner le nucléaire.

Ce qui nécessite de redéfinir totalement notre politique énergétique, laquelle doit aussi bien entendu inclure la réduction des émissions de gaz à effet de serre, responsables du dérèglement climatique.

Le nucléaire occupe certes, en France, une grande place dans la production d’électricité, mais il représente seulement 18 % de notre consommation finale d’énergie (11 % pour les énergies renouvelables).

Il est faux de prétendre que le nucléaire - qui ne participe que pour 3 % à la consommation totale d’énergie dans le monde - est irremplaçable et indispensable, et d’ailleurs beaucoup de pays européens ne possèdent aucune centrale nucléaire (Albanie, Autriche, Croatie, Danemark, Estonie, Grèce, Irlande, Italie, Lettonie, Luxembourg, Moldavie, Norvège, Pologne, Portugal, Serbie ).

On ne peut évidemment pas sortir du nucléaire en quelques mois. Des années seront nécessaires, mais c’est possible, à condition d’en avoir la volonté politique.

Des scénarios énergétiques alternatifs existent, qui incluent la fermeture progressive des centrales nucléaires. L’un des plus élaborés et des plus crédibles est celui de l’association NEGAWATT, "Scénario négawatt 2006 pour un avenir énergétique sobre, efficace et renouvelable", dont vous pouvez prendre connaissance sur le site www.negawatt.org . Une nouvelle version actualisée sera publiée à l’automne 2011.

Nous demandons qu’une nouvelle politique énergétique comprenant la sortie du nucléaire soit élaborée, débattue, adoptée et mise en oeuvre dans les meilleurs délais.

Dans l’immédiat, nous demandons :

- l’arrêt de la construction du réacteur EPR à Flamanville (Manche),

- l’abandon de tout projet de construction de nouveaux réacteurs nucléaires,

- la fermeture des réacteurs les plus âgés,

- l’arrêt définitif de la vente à l’étranger de réacteurs, d’équipements et de technologies nucléaires,

- l’abandon du projet ITER à Cadarache,

- des moyens considérablement accrus pour renforcer la sûreté de toutes les installations nucléaires,

- la révision complète de la règlementation relative aux situations de crise et aux mesures préventives, en prenant en compte la possibilité d’un accident grave ou d’une catastrophe pouvant affecter n’importe quel point du territoire français, et étendant à l’ensemble de la population l’information préventive, les mesures d’urgence et la distribution de comprimés d’iodure de potassium,

- la réorientation de la recherche vers l’efficacité énergétique, la sobriété énergétique (habitat, transports ...) et les énergies renouvelables,

- un soutien financier accru pour le développement des énergies renouvelables, notamment le bois, le solaire thermique, le solaire photovoltaïque, la géothermie et les énergies de la mer (y compris l’éolien off shore),

- l’interdiction du chauffage électrique dans les logements neufs.

Il est possible que ce changement radical de paysage énergétique entraîne une hausse du coût de l’électricité. Cependant, d’une part, une nouvelle tarification incitant aux économies d’énergie pourrait éviter ou limiter cette hausse pour les petits consommateurs (avec un tarif bon marché pour un volume d’électricité de base et des tarifs progressifs au-delà) et, d’autre part, nous estimons que la sécurité et la vie n’ont pas de prix et que l’Etat se doit d’en faire des priorités absolues même si certains coûts risquent d’augmenter.

Quant à la question de l’indépendance énergétique censée être procurée par le nucléaire, nous pensons qu’il s’agit d’une contre vérité flagrante puisque, d’une part, la quasi-totalité des matières fissiles entrant dans la fabrication du combustible nucléaire est importée (aucune extraction d’uranium en France) et que, d’autre part, malgré la production électronucléaire, la consommation française de pétrole, presque totalement importé, au lieu de diminuer, a augmenté de 7,7 % entre 1985 et 2009 (1985 : 75,1 millions de tonnes par an - 2009 : 80,9 millions de tonnes par an), accroissant ainsi notre dépendance à l’égard des pays producteurs.

Nous sommes à votre disposition pour échanger plus longuement avec vous sur ce sujet.

Dans l’attente de votre réponse et en espérant qu’il ne faudra pas attendre un grave accident en France pour enfin décider de sortir du nucléaire, nous vous prions d’agréer,

Madame, Monsieur, l’expression de notre considération distinguée.

Le président, Jean - Louis BUGAREL

2) Réponse du Parti de Gauche à Action Environnement

Voici la réponse du Parti de Gauche, rédigée par Corinne Morel Darleux, secrétaire nationale à l’écologie du Parti de Gauche.

Bonjour,

Nous avons bien reçu votre courrier et vous en remercions. Voici des précisions sur les propositions de notre parti, le Parti de Gauche, au sujet du nucléaire, ainsi que sur les grands enjeux sanitaires, climatiques et écologiques. Ces éléments de réponse permettront je l’espère de vous éclairer sur notre projet.

Le Parti de Gauche a dès sa création pris clairement position en faveur d’une décision immédiate de sortie du nucléaire (progressive et maîtrisée) et contre tout projet de nouveau réacteur (EPR, ITER et autres projets éventuels). Pour assurer la transition énergétique en prenant également en compte la nécessité de diviser par 4 nos émissions de gaz à effet de serre, nous nous sommes basés notamment sur le scénario Negawatt, mettant en avant la nécessaire transition énergétique, basée sur la réduction de nos consommations d’énergie (sobriété et efficacité énergétique) et sur le développement des énergies renouvelables pour les consommations restantes – ce qui permettra de fermer en priorité les centrales les plus anciennes, comme Fessenheim et Tricastin, et toutes les autres ensuite au fur et à mesure de leur arrivée en fin de vie. Un Forum national du PG a été consacré à cette question en décembre 2009, en parallèle du sommet de Copenhague.

Nos engagements sur ces questions sont publics, et rassemblés, de façon non exhaustive, dans la « Proposition de Programme Partagé » du Parti de Gauche et plus particulièrement dans les fiches 100, 101, 102, 103, 173 et 175 dans lesquelles nous proposons une nouvelle politique énergétique :

* Une décision immédiate de sortie progressive et raisonnée de l’électronucléaire

* La transformation de l’actuel CEA en commissariat aux économies et à la production d’énergie propre

* Une pédagogie de réduction de consommation de l’énergie

* La recherche et l’utilisation d’énergies renouvelables

En plus des questions relatives au nucléaire civil, nous prenons position sur les aspects nucléaires militaires :

* La réduction de la dissuasion nucléaire militaire (notamment aérienne) pour créer de réelles conditions d’une paix mondiale, pour une organisation de sécurité collective et pour le désarmement, dans le cadre d’une politique de défense souveraine.

* La promotion de la disparition progressive et réciproque des armes NRBC etc. De nombreuses autres fiches, notamment dans le chapitre « Planification écologique », décrivent les mesures thématiques (transports, aménagement du territoire, tarification progressive, maîtrise publique du secteur de l’énergie etc…), que nous proposons pour mettre en oeuvre concrètement la transition énergétique, et en particulier :

* La gratuité des premiers kWh d’électricité, assortie de prix progressifs (dissuasifs du gaspillage), qui répond à votre souci « d’augmentation probable du tarif de l’électricité » : l’augmentation moyenne des tarifs est effectivement probable, mais elle ne doit à aucun prix empêcher les familles les plus modestes de vivre dans de bonnes conditions.

* La catastrophe de Fukushima fait apparaître que la privatisation de l’énergie aggrave les risques déjà existants, l’entreprise privée japonaise TEPCO ayant visiblement opéré à des « économies de maintenance » pour augmenter ses bénéfices, et refusé d’utiliser l’eau de mer pour refroidir les réacteurs les premiers jours de la catastrophe, « pour ne pas endommager la centrale ». Sachant de plus que les arrêts de réacteurs français pour effectuer les opérations de maintenance ne sont plus que de 15 jours alors qu’ils étaient de 3 mois lorsque EDF était une entreprise publique… Nous nous prononçons pour la renationalisation d’EDF, GDF et AREVA et la nationalisation de TOTAL, certains que c’est l’une des conditions indispensables à la « réduction de la probabilité des risques » que vous évoquez. Nous sommes également persuadés que seule la remise sous contrôle public du secteur de l’énergie permettra de planifier dans le temps la nécessaire reconversion de l’énergie française depuis le nucléaire vers les économies d’énergie et les renouvelables.

* Nous nous permettons d’observer que dans les énergies renouvelables que vous citez, le bois pose quelques problèmes : production de CO2, et risque de surexploitation des forêts. Sans être contre son utilisation, nous prônons la modération en la matière. Au-delà de l’éolien et du solaire, de nombreuses autres sources d’énergie sont aujourd’hui sous-exploitées : biomasse, cogénération, géothermie… C’est la diversité de ces sources qui garantira la qualité du bouquet énergétique pour couvrir nos besoins.

* Le chauffage électrique pose aujourd’hui, parce qu’il est essentiellement d’origine nucléaire, d’importants problèmes propres au nucléaire, mais aussi à son faible rendement et au coût qu’il fait supporter aux familles. Nous nous sommes prononcés en faveur d’un renforcement des normes énergétiques des bâtiments neufs, ainsi que pour un plan de financement public massif de l’isolation des logements existants (largement rentable à moyen terme, et à la fois environnementalement et socialement positif).

* En ce qui concerne les aspects démocratiques et financiers, nous préconisons la planification écologique, un processus démocratique, inscrit dans le long terme et préservé des intérêts marchands. Un exemple : la mise en place de « Parlements de l’Énergie », associant tous les acteurs sur le modèle des « Comités de Bassin » existant en France depuis 1964, c’est-à-dire la mise en place, pour l’énergie, d’organes de planification démocratiques et décentralisés, dans le cadre de plans nationaux pluriannuels, disposant d’une part de ressources financière propres – dans le cas de ces « Parlements de l’eau » existants, ce sont 2,2 milliards qui sont financés par une taxe pollueur-payeur. En étendant ce système de planification démocratique, dont les résultats en termes de reconquête de la qualité des eaux sont si phénoménaux que repris dans plus de 50 pays dans le monde, au secteur de l’énergie mais aussi des déchets, de la biodiversité et de l’aménagement du territoire, nous disposerons d’un outil financier et démocratique puissant pour mener à bien la reconversion énergétique que le peuple français appelle de ses voeux.

Nous en avons les compétences, les savoirs, et les moyens. Ne manque que la volonté politique.

En conclusion, nous partageons bon nombre des préoccupations et propositions exprimées dans votre courrier. Nous souhaitons y répondre de manière efficace et concrète, car notre but est la mise au point d’un programme applicable dès notre arrivée au gouvernement. Pour vous en assurer, nous vous invitons à prendre connaissance de l’ensemble de nos orientations, soit dans notre proposition de programme, soit par les prises de position publiques sur le sujet depuis la création du PG. Nous poursuivons notre réflexion sur l’ensemble de ces thèmes, n’hésitez pas à nous solliciter et à y participer. Je reste naturellement à votre disposition pour de plus amples informations.

Bien cordialement,

Corinne MOREL DARLEUX,

Secrétaire nationale à l’écologie du Parti de Gauche


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