Le peuple syrien paie chèrement le soutien occidental à Israël

dimanche 22 mai 2011.
 

Intouchable Syrie

Par Denis Sieffert, Politis

À combien de morts en sommes-nous en Syrie ? Six cents, huit cents ? La plus improbable des révolutions arabes, en raison du caractère ultrapolicier du système, sera peut-être la plus meurtrière. À l’instar de Kadhafi en Libye, Bachar Al-Assad a choisi la stratégie de la terreur.

Vendredi, des chars ont pris position à Homs, troisième ville du pays. Quelques jours plus tôt, c’est Deraa, à la frontière jordanienne, d’où était partie la contestation, le 15 mars dernier, qui avait été quadrillée par les tanks et les blindés de l’armée. Les rares images qui nous parviennent montrent aussi des snipers tirant sur des passants depuis les toits. Pour le régime, la rue doit être un lieu de totale insécurité. Les organisations des droits de l’homme évaluent à huit mille le nombre des personnes interpellées en deux mois.

Malgré cela, le peuple ne renonce pas, témoignant d’un incroyable héroïsme. Lundi, à Banias, dans le nord-ouest du pays, ce sont des centaines de femmes qui ont bravé la répression pour exiger la libération de leurs proches arrêtés par les autorités. À peu de chose près, les revendications des Syriens sont les mêmes qu’à Tunis, au Caire ou à Bahreïn : la liberté et le refus de la corruption. Cette corruption, symbole de l’injustice sociale, n’est pas incarnée par Bachar lui-même, mais par son frère Maher, chef de la sinistre Garde républicaine, et par le clan Makhlouf, la famille de la veuve d’Hafez Al-Assad. Ce sont ces personnages que visent en premier lieu les sanctions décidées par les États-Unis puis par l’Union européenne. On doute cependant que l’on aille très loin dans cette voie. Rami Makhlouf, cousin de Bachar, n’est-il pas l’intermédiaire obligé de tous les investisseurs étrangers en Syrie ?

Le gel des avoirs, quelques interdictions de visas et un tardif embargo sur les armes risquent donc d’être peu de chose face à la détermination sanguinaire d’un régime qui n’a jamais reculé devant la pire répression. Nul n’a oublié qu’en 1982 Hafez, le père de l’actuel Président, avait fait anéantir près du dixième de la population de Hama, l’une des principales villes du pays. On avait alors dénombré vingt-cinq mille morts dans une agglomération de 250 000 habitants. Cela, dans une sorte d’indifférence générale. Or, aujourd’hui comme hier, la communauté internationale semble impuissante. Le 27 avril, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est même montré incapable de condamner la répression, du fait de l’opposition de la Chine et de la Russie. Quoi qu’il en soit, il se serait agi d’une condamnation de pure forme. C’est que la Syrie a un statut à part dans le monde arabe, qu’elle tient de sa position dans le conflit israélo-palestinien. À la différence de l’Égypte de Moubarak et de la Jordanie de la dynastie hachémite, Damas n’a jamais signé de paix avec Israël. La capitale syrienne abrite toujours le chef du Hamas, Khaled Mechaal. Et elle entretient les meilleures relations avec le Hezbollah libanais ainsi qu’avec l’Iran d’Ahmadinejad. Mais la famille Al-Assad sait aussi parfois courber l’échine quand ses intérêts vitaux sont menacés. En 1991, Hafez, le père, s’était placé du côté américain contre le frère ennemi irakien Saddam Hussein. Et, en 2005, soupçonné d’avoir commandité ou couvert les commanditaires de l’assassinat du Premier ministre libanais Rafic Hariri, Bachar, le fils, avait retiré précipitamment ses troupes du Liban, occupé depuis vingt-sept ans. C’est ce savant dosage de fermeté par rapport à la question palestinienne et de souplesse diplomatique par ailleurs qui a fait de Damas un lieu stratégique majeur pour la région.

Les États-Unis d’Obama y ont rouvert récemment une ambassade, et on se souvient que Nicolas Sarkozy avait invité Bachar le 14 juillet 2008 sur les Champs-Élysées. Grâce à ce double jeu, la Syrie a su devenir un intermédiaire indispensable entre les Occidentaux et l’Iran. Elle offre aussi la garantie d’une « paix armée » avec Israël. Le gouvernement de M. Netanyahou ne manque pas de jouer de cette ambiguïté dans son discours de politique intérieure, faisant régulièrement valoir une menace de guerre imaginaire avec la Syrie chaque fois qu’il a besoin de reprendre en main son opinion publique. La Syrie serait presque devenue l’ennemie idéale si elle ne facilitait pas l’approvisionnement en armes du Hezbollah. Pour toutes ces raisons, Bachar Al-Assad ne risque pas de subir le sort de Kadhafi, qu’il domine en intelligence stratégique. Et voilà pourquoi l’ONU est muette, comme aurait dit Molière. Ce qui confirme une évidence dont on ne se sort pas dès que l’on parle de cet « Orient compliqué ». Deux facteurs commandent tout : le pétrole et le conflit israélo-palestinien. En l’occurrence, c’est surtout le second qui détermine la prudence des grandes puissances. On savait déjà que les Palestiniens payaient très cher ce froid calcul des États-Unis et de l’Union européenne. On découvre aujourd’hui que le peuple syrien le paye aussi de son sang.


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