Un an pour un vrai changement (par Denis Sieffert, Politis)

mardi 12 avril 2011.
 

Cette fois, c’est fait ! Quatorze mois avant l’échéance, nous voilà plongés dans la campagne présidentielle. Certes, on n’en sort jamais vraiment de cette élection gloutonne qui tyrannise notre vie politique et jette une ombre de suspicion sur chaque fait et geste des candidats et autres candidats à la candidature. Mais, depuis dimanche, nous y sommes. Et peu importe que l’on ne connaisse pas la distribution, et encore moins la situation dans laquelle se déroulera ce scrutin ! Au contraire ! Moins on en sait, et plus les hypothèses sont nombreuses, et plus ça fait causer ! Avec DSK, sans DSK, avec Aubry, sans Aubry, avec Hollande, avec Ségolène, avec ou sans Villepin, avec ou sans Morin, avec ou sans Borloo. Avec Hulot, avec Eva Joly… On se gardera ici de faire le compte des différentes combinaisons.

Observons seulement que ces anticipations ne sont pas neutres. À gauche comme à droite, les sondages militent objectivement pour ce qu’on appelle « le vote utile ». Si vous voulez vraiment, et à n’importe quel prix, vous débarrasser de Sarkozy, nous suggère-t-on, votez DSK. Si vous craignez un nouveau 21 avril, sacrifiez le candidat qui correspond à vos convictions sur l’autel de l’efficacité. Oubliez Eva Joly, Mélenchon et Besancenot, votez socialiste dès le premier tour. En nous parlant du second tour bien avant que le premier ait eu lieu, les sondages créent deux catégories de candidats : ceux qui visent sérieusement l’Élysée, et les autres, invités à faire diversion. En cela, ils sont de redoutables instruments de conservatisme.

Il est donc urgent d’oublier ces jeux de l’esprit qui répondent à une impatience collective tellement de notre époque. Vouloir savoir avant qu’il soit temps incite à la résignation. Car c’est avec les rapports de force d’aujourd’hui que nous construisons nos fictions. Et c’est le temps du combat politique qui est nié. Or, c’est de changement dont nous avons besoin. Sans aller jusqu’à suivre l’exemple des révolutions arabes, l’actualité nous confirme ces jours-ci que le plus improbable est parfois possible. L’imposante manifestation de Londres, samedi, contre les baisses de salaires et les réductions d’effectifs dans les services publics, témoigne aussi d’une volonté de rupture que l’on retrouve dans d’autres pays européens. Depuis 1979, les Britanniques ont expérimenté à leurs dépens, et plus durement que tous leurs voisins européens, les variantes du néolibéralisme. Mais ce qu’ils appellent de leurs vœux, le bipartisme ne le leur offre pas. Nos concitoyens aussi, si l’on en juge par le résultat des cantonales, veulent le changement. Pour le meilleur et parfois pour le pire. Le pire, c’est évidemment le Front national. On le croyait moribond il y a quatre ou cinq ans, le voilà régénéré.

Il l’a été par la droitisation de l’UMP. L’un des conseillers les plus influents de l’Élysée, Patrick Buisson, ancien journaliste à Minute, grand nostalgique de l’Algérie française, se veut l’inlassable artisan d’un rapprochement UMP-FN. À force de campagnes obsessionnelles contre les immigrés, les Roms, et de stigmatisation de l’islam, il parvient à ses fins. Mais le rapprochement ne s’opère pas vraiment au profit de Nicolas Sarkozy. Dans cette histoire de diable et de grande cuiller, on ne sait qui fait le Malin. Depuis dimanche, la stratégie de M. Buisson ne convainc plus que ses partisans idéologiques : Claude Guéant et Jean-François Copé, par exemple. À droite, le développement de la crise ajoute une nouvelle inconnue à la campagne. Les sondeurs vont bientôt devoir explorer d’autres pistes : avec ou sans Sarkozy, avec ou sans Fillon… Non seulement, le fameux débat sur l’islam n’affaiblit pas le FN, mais il brise l’amalgame idéologique réussi par Nicolas Sarkozy en 2007. Gardons-nous cependant d’expliquer la remontée du Front national uniquement par ce jeu sordide avec les idées de l’extrême droite. La gauche est loin d’être exempte de responsabilités. Bien entendu, elles ne se situent pas au même niveau. C’est surtout sur le plan économique et social que le PS a failli. On ne refera pas l’histoire.

Mais, depuis 1983 et le fameux tournant de la rigueur, les socialistes ont accompagné sans trop résister une idéologie qui a massivement déplacé la richesse du travail vers le capital, ruiné les salaires et les services publics pour enrichir la finance. Ils ont approuvé à chaque étape de sa construction une Europe néolibérale qui semble avoir eu pour fonction de rendre inéluctable ce qui devait être objet de débats. En quelques circonstances – au début du gouvernement Jospin, par exemple, en 1997 – ils ont certes manifesté des velléités de résistance. Mais, bon an mal an, c’est l’impression d’une indifférenciation gauche-droite qui s’est installée dans l’opinion. À quoi naturellement les citoyens répondent par l’indifférence. D’où l’abstention record, et le peu d’appétence à voter socialiste, même quand la droite est honnie.

Il ne s’agit donc pas seulement de combattre le Front national sur le terrain de la morale, mais de refonder une politique de justice sociale, et de convaincre que l’on va changer réellement la condition des gens. Sans préjugés mais sans illusions, nous examinerons la semaine prochaine les fameuses « propositions » du Parti socialiste. Mais le paysage change à gauche. En peu de temps, les écologistes et le Front de gauche ont marqué leurs territoires. Ils ont un peu plus d’un an pour que la présidentielle ne ressemble pas à un sondage… vieux d’un an.


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