Pour Ramdane Hakem, aspiration démocratique et revendication sociale sont indissociables dans les soulèvements populaires que connaissent l’Afrique du Nord et le monde arabe.
Quelle est la place de la question sociale dans les soulèvements populaires au Maghreb et dans le monde arabe ?
Ramdane Hakem. Elle est au cour des soulèvements populaires en Tunisie, en Égypte et en Algérie. Vie chère, absence de revenu, précarité des emplois, de l’habitat, système de santé déficient. Tous ces problèmes sont à l’origine d’une demande sociale devenue impérieuse. En Égypte, plus de 40 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. En Tunisie, le point de départ des manifestations populaires a été l’acte désespéré du jeune Mohamed Bouazizi. Mais si la revendication sociale constitue sans aucun doute l’énergie de la révolte, l’intervention des classes moyennes dans les luttes a tendance à la reléguer au second plan. Ainsi, en janvier 2011, l’Algérie a été embrasée par des manifestations contre la vie chère, à la suite d’une augmentation importante et subite des prix des produits de base. La demande sociale s’est alors exprimée par des jacqueries. Puis les émeutes populaires ont été relayées par des manifestations à Alger, à l’initiative d’acteurs se réclamant de la modernité et de la démocratie. La manifestation du 12 février 2011 exigeait « la levée de l’état d’urgence, l’ouverture du champ politique et médiatique et la libération des personnes arrêtées pour délit d’opinion » : les revendications sociales ont disparu. (voir aussi à ce propos notre enquête dans l’Humanité du 18 février). En fait, « l’affichage » des revendications sociales dépend du niveau d’organisation des premiers concernés, de la possibilité pour eux d’avoir des représentants qui comptent dans les instances dirigeantes de la révolte. La situation diffère d’un pays à l’autre. Alors que les structures intermédiaires de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) ont joué un rôle essentiel dans le soulèvement tunisien, l’Union générale des travailleurs algériens (Ugta), caporalisée, reste inféodée au système.
Les effets de la crise globale du capitalisme sont-ils en cause ?
Ramdane Hakem. Avec la mondialisation, le fonctionnement du capitalisme au centre impose à la périphérie une contrainte d’efficacité telle que rares sont les sociétés qui parviennent à en relever le défi. Ces pays en développement, dont la Tunisie, souvent citée comme exemple d’adaptation réussie d’un pays du Sud à la mondialisation, ne parviennent à maintenir leur compétitivité qu’au prix d’une détérioration importante des conditions de vie et de travail. Avec la crise économique mondiale, la Tunisie et l’Égypte ont vu leurs exportations vers l’Union européenne (UE) et leurs recettes liées au tourisme s’effondrer. L’instabilité du marché international des matières premières alimentaires, en agissant sur les prix intérieurs des produits de base, vient détériorer davantage les revenus des familles les plus fragiles.
Comment expliquer le chômage massif structurel des jeunes ?
Ramdane Hakem. Divers facteurs sont en cause. D’abord, la mise en concurrence mondialisée des travailleurs et des entreprises. En Tunisie et en Algérie, l’abandon des activités agricoles a grossi l’exode rural et la masse des jeunes sans emploi dans les villes. Les dépenses de ces États sont étroitement surveillées par le FMI. L’endettement extérieur de la Tunisie (12 à 14 milliards de dollars) lui impose une saignée annuelle sous forme de service de la dette (remboursement d’une partie du capital et des intérêts) qui absorbe les faibles surplus dégagés par la surexploitation.
Au-delà des réformes démocratiques, quelles transformations pourraient répondre aux aspirations des populations ?
Ramdane Hakem. Comment donner plus de travail aux gens, créer des emplois, sachant que ces pays ont le plus grand mal à s’adapter à la contrainte d’efficacité que leur impose la compétition mondialisée ? C’est le cour de la question. L’issue pour les pays du Maghreb pourrait se trouver dans la formation d’un ensemble régional adossé à l’Europe. Avec la création, pourquoi pas, d’une fédération nord-africaine qui se réapproprierait ses racines berbères (au lieu du chimérique projet d’unification du monde arabe), capable de conclure une alliance stratégique avec l’UE. Cela ouvrirait la voie à un rééquilibrage de la construction européenne, un projet centré sur l’Allemagne, de plus en plus tourné vers l’Est et dans lequel de grands pays comme la France, l’Espagne et l’Italie se trouvent rejetés à la périphérie.
Entretien réalisé par Rosa Moussaoui, L’Humanité
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