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Comment réagissez-vous à la proposition du gouvernement d’inscrire dans la Constitution la maîtrise des déficits publics ?
Jacques Généreux. C’est tout à la fois une atteinte gravissime à la démocratie et une erreur économique grossière et dont l’objectif réel est de constitutionnaliser une politique de régression sociale. Dans un pays démocratique, la Constitution ne peut avoir pour autre objet que de fixer les droits fondamentaux des citoyens et le fonctionnement des institutions, et en aucun cas de déterminer à l’avance ce que seront les priorités et les contenus des politiques publiques. Sinon, les votes des citoyens sont sans objet.
Vous parlez d’erreur économique, pourquoi ?
Jacques Généreux. Parce que c’est une ineptie qui repose sur l’idée fausse que faire des déficits serait un mal en soi. Les déficits, ou plutôt l’endettement, sont indispensables pour financer les investissements nécessaires au développement des services publics et de notre pays pour compenser les chocs des crises. Il en va de l’État comme de n’importe quelle entreprise, les investissements de long terme sont toujours financés par l’endettement. Par contre, il y a les mauvais déficits, ceux qui alimentent les cadeaux fiscaux aux plus hauts revenus, ceux qui viennent au secours des spéculateurs. Selon la Cour des comptes, ils se montent, en France, à 150 milliards d’euros l’an dernier.
Quel est l’objectif du gouvernement à travers ce projet ?
Jacques Généreux. Le but, déjà poursuivi par l’Europe libérale, est de renforcer la contrainte sur notre politique budgétaire en ne laissant au gouvernement, comme seul instrument politique pour faire face à la crise ou à la concurrence internationale, que le dumping fiscal et social, la baisse des salaires, la remise en cause de la protection sociale, la privatisation des biens publics. À un an de la présidentielle, la droite cherche à encadrer la politique des futurs gouvernements quels qu’ils soient.
Entretien réalisé par M. S.
Le président de la République relance son projet d’inscrire dans le marbre de notre Constitution la maîtrise des déficits budgétaires et, par là même, le cadre de sa politique libérale. La gauche, qui peut battre ce projet, sera jugée aux actes.
Le président de la République trouvera-t-il une majorité qualifiée de parlementaires, soit trois cinquièmes des députés et des sénateurs, ce qu’il n’a pas aujourd’hui avec ses propres troupes, pour faire adopter son projet d’inscrire dans notre Constitution « le principe de la maîtrise des déficits » ? Autrement dit, de faire figurer dans notre texte fondamental la rigueur budgétaire, pour ne pas dire l’austérité.
L’enjeu est de taille. Déjà, les forces libérales et sociales-démocrates européennes ont, en adoptant le traité de Maastricht, inscrit dans les textes européens l’obligation pour chaque pays de contenir leur déficit public sous la barre des 3 % du produit intérieur brut (PIB). Au-delà du fait que nombre de ces pays, dont la France, ne respectent pas ces règles, une telle contrainte a servi de justificatif aux politiques d’austérité qui touchent durement les peuples et ont interdit, en revanche, le développement de politiques de relance favorables à l’emploi.
Avec le projet de Nicolas Sarkozy que sa majorité, à l’image du patron de l’UMP, Jean-François Copé, soutient bruyamment, il s’agit d’appliquer une fois pour toutes cette règle à la France. L’argument utilisé pour la justifier, c’est l’ampleur des déficits : 148,8 milliards d’euros en 2010, soit 7,7 % du PIB. Dès lors, fixer « une règle d’or » dans la Constitution d’un niveau de déficit indépassable obligeant à le réduire à 2 % en 2014 comme le prévoit le gouvernement peut apparaître comme louable.
Impasse sur les causes des déficits
Seulement, c’est faire l’impasse sur les causes de celui-ci. Ainsi, qu’en est-il des 73 milliards d’euros d’exonérations sociales dont ont bénéficié les entreprises en 2009 selon la Cour des comptes ? Qu’en est-il des centaines de milliards d’euros de recettes perdues par l’État du fait que le capital est moins taxé que le travail, que les taux d’imposition sur les hauts revenus sont passés de 60 %, il y a quelques années, à 41 % cette année ?
Par contre, la baisse des dépenses publiques qui frappe les services publics comme l’éducation ou la santé, la diminution des moyens pour les collectivités locales dangereuses pour les services publics de proximité, le développement économique et l’emploi, sont autant de mesures mises en œuvre par le gouvernement pour faire payer aux Français sa politique libérale.
Constitutionnaliser la maîtrise des déficits, c’est constitutionnaliser la politique libérale mise en œuvre par la majorité présidentielle actuelle. Donc ne pas s’attaquer aux causes mêmes des déficits, et ce pour aujourd’hui, mais aussi dans l’avenir.
Une mobilisation forte de la gauche peut gagner
À douze mois de la présidentielle, ce débat vise aussi, pour Nicolas Sarkozy, à accoler à la gauche, en cas de refus de sa proposition, l’accusation de « laxisme » face à l’ampleur des déficits. Quelques parlementaires de gauche tomberont-ils dans ce piège, comme ce fut le cas lors du vote du traité de Lisbonne, qui fut ratifié grâce à quelques voix et abstentions d’élus PS ?
Ce projet de Sarkozy peut être battu, moyennant une grande clarté sur les choix politiques de la gauche et une mobilisation sans faille de ses parlementaires lors d’un prochain congrès à Versailles. Pour l’heure, Martine Aubry (PS) s’est déclarée « opposée à cette réforme » et Pierre Laurent (PCF) dénonce de son côté « une réforme inacceptable », rappelant « qu’il y a de bons et de mauvais déficits… Tout dépend les intérêts qu’ils servent ». Dans cette affaire, la gauche, dans sa diversité, sera jugée aux actes.
Max Staat, L’Humanité
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