Vénézuéla : le calme avant le vote

lundi 4 décembre 2006.
 

Le calme est une obsession ici. Ce midi j’ai été invité à déjeuner par des amis vénézuéliens.. Dès notre entrée dans le restaurant le chef de rang qui nous installait nous a catéchisé : « nous sommes dans la phase finale ! Demain votons ! Il faut que règne la tranquillité et l’amour. » Quelqu’un a dit à ce garçon « merci ; on en tient compte ! Et vous ça va ? » Et l’autre a répondu : « oui merci ; au village tout est calme grâce à dieu. Les gens sont sereins et tranquilles. Tout va bien se passer ».

C’est toute une ambiance. Ainsi, au moment de commander la boisson : « ley secca ! » La loi sèche. « Quoi ? Qu’est ce que c’est ? » Mines navrées autour de moi. Cela signifie qu’il est interdit de vendre de l’alcool depuis la veille du scrutin jusqu’à la fermeture des bureaux de vote. C’est une contribution à la « sérénité, l’amour... » et ainsi de suite ? Pas du tout. C’est une tradition dans toute cette région de l’Amérique latine. Pas moyen d’y couper.

Le contrôle social mutuel est total. Un serveur distrait, en revenant compléter notre commande, nous demande ce que nous boirons. Quelqu’un dit en espagnol : « du rouge ! ». Aussitôt à la table voisine une dame bien mise fulmine : « vous n’avez pas le droit ! » Puis se tournant vers le serveur : « vous n’avez plus le droit de proposer de l’alcool depuis midi pile ! Il est treize heures ! Comment pouvez vous l’oublier ! » Et lui mi embarrassé mi exaspéré : « je n’ai pas oublié ! Je suis désolé ! Excusez moi ! Mais avant, depuis toujours, on interdisait à partir de quatre heures de l’après midi et maintenant on a mis ça à partir de midi ! » « Tachez de ne plus l’oublier » lui jette la dame avant de se remettre au dépeçage de son savoureux mérou à la plancha.

Même ambiance en se levant de table au moment de quitter l’établissement. « Faisons notre devoir demain ! » nous dit le maître d’hôtel. « Et pensons à préserver la paix et la tranquillité ! ». On promet, chemin faisant. En ce moment, au Vénézuéla il y a une véritable compétition à propos de la dose d’amour indispensable à la bonne marche de la société. Chavez a fait une lettre où il évoque poétiquement son amour du pays et du bien public et celui qu’il invite chacun à avoir pour ses semblables.

De son côté, son opposant « Manuel Rosalès » fait couler un fleuve de bons sentiments affectueux dans sa propagande et affiche de puissants symboles d’osmose avec le discours papal et le catholicisme officiel à propos de l’amour du prochain. Dans cette ambiance, la presse de droite (un quasi euphémisme ici aussi) est complètement métamorphosée par rapport aux précédentes campagnes électorales. Hier elle appelait au boycott des « soi disantes élections du tyran ». Aujourd’hui, bien sûr, elle ne manque pas les occasions de lourdes attaques sans nuance.

Ainsi ai-je lu, dans le quotidien que l’hôtel glisse sous ma porte le matin, cette accroche tout en finesse du compte rendu de la conférence de presse de Chavez hier : « au cours de sa campagne le président Hugo Chavez a clairement laissé entendre à ses partisans que son éventuel triomphe électoral signifierait l’instauration d’une économie socialiste, la création d’un parti unique et l’approbation de la réélection indéfinie ». Mais pour le reste : miel et sucre.

La presse invite désormais sans relâche à participer sérieusement et massivement au vote. Tant mieux pour ce pays. Du coup nouvelle compétition de zèle pour mobiliser les électeurs. On annonce que le clairon sonnera à trois heures demain matin pour appeler au vote dans les quartiers populaires. Je suppose que les quartiers bourgeois pour leur part seront régalés d’un nouveau feu d’artifice. A moins qu’ils n’en soient déjà gavés comme je le suis depuis deux jours que j’en entends et voit se tirer chaque nuit et au petit matin...

Dans cet hôtel Gran Melià Caracas, il y a foule d’observateurs de toutes sortes et de toutes nationalités. La commission nationale électorale a déployé un bataillon de jeunes étudiants pour aider tout un chacun. Observateur et agent de la commission ont tous le même équipement : casquette grise et blouson multi poche somme toute assez seyant. Du coup on se croirait en uniforme. Pour l’instant je préfère en rester à mon deux pièces cravate de sénateur français... J’ai toujours eu du mal avec ces sortes de communion vestimentaire sous d’autres attributs que ceux de mon pays.. Pour les manifestations du dixième anniversaire de la révolution sandiniste, en 1989, le PS m’avait délégué à Managua au Nicaragua. J’ai préféré rester seul nu tête pendant quatre heures sous le soleil plutôt que de mettre un chapeau de paille aux armes du comité local de célébration... Là c’est autre chose, je le sais bien. Mais j’ai quand même du mal, par principe. Mon idée est que je suis un élu du peuple français et dès lors, quelles que soient les circonstances je me sens d’abord son représentant. Je n’aimerais pas qu’on puisse penser autre chose. Je reconnais que c’est un peu particulier comme sentiment. Mais je préfère le dire comme je le sens depuis toujours.

Une question revient ici à propos de la qualité du déroulement des élections. C’est que l’armée est réquisitionnée pour garantir la tranquillité autour des bureaux de vote. La réserve est également convoquée. Elle aussi sera armée. Cette situation provoque des protestations dans certains secteurs de l’opposition. En fait elle est totalement habituelle. Il en a été ainsi depuis toujours. Raison pour laquelle l’état major des armées s’agace de se voir soupçonné d’intentions malveillantes.

Wilfredo Silva, son chef, demande pourquoi c’est un problème aujourd’hui et ça ne l’était pas avant , pour les mêmes, en 1978 par exemple, quand il y a participé pour la première fois à ce type de déploiement ( baptisé "plan Républicain") en tant que lieutenant à la tête d’un groupe de quinze hommes armés dont cinq réservistes...Interrogé sur ce que Chavez vise en parlant d’un "prétendu plan de déstabilisation de la journée électorale", selon les termes du journaliste, le chef d’état major des armées affirme qu’il y a eu des groupes extrémistes à chaque élection qui ont tenté des manoeuvres de sabotage et qu’il y a toujours eu des forces de sécurité pour l’empêcher.

Un colonel vient d’être arrêté. Déjà démasqué en 2005 pour des tentatives comparables, il s’apprêtait à récidiver. Son nom est révélé publiquement. Il a été remis au juge. Dans ces conditions on ne peut pas prendre à la légère les déclarations d’Hugo Chavez hier à sa conférence de presse lorsqu’il a annoncé que les services de sécurité avaient déjoué un projet d’attentat contre le candidat de l’opposition Manuel Rosalès. Le but visé serait évidemment d’en attribuer l’origine à Chavez et donc de pousser à l’émeute. Le candidat de l’opposition, Manuel Rosalès a traité Chavez de menteur et cette histoire de diversion. Que penser ? Ici il y a eu tant de choses si violentes du côté des opposants dans un passé récent ! Il y a cependant une face plaisante dans cette conférence de presse.


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