Cités de Marseille : l’échec du pouvoir sarkozyste (sécurité, pouvoir d’achat, plan banlieues…) se lit à livre ouvert.

mercredi 1er décembre 2010.
 

Marseille Les cités, théâtre et proie des trafics de drogue

Après la multiplication des règlements de compte liés au trafic de drogue, l’État a renforcé sa présence policière. Insuffisant pour faire reculer le grand banditisme ou sortir certains quartiers de leur dépendance à une économie illicite. Marseille, 
correspondant régional.

Les renforts annoncés par Brice Hortefeux sont arrivés et tout est fait pour rendre visible leur action. Plusieurs opérations ont été menées dans des cités des 3e, 13e et 14e arrondissements de Marseille. Pour ceux qui n’auraient pas compris, le préfet délégué à la sécurité, Philippe Klayman, a articulé  : « On ne s’interdit pas d’aller dans aucune cité de Marseille et on ne s’interdit pas d’y retourner. » Cela faisait bien longtemps que l’État n’avait montré autant de présence – fût-elle casquée – dans des quartiers en grande difficulté sociale…

La population n’a pas manifesté de réactions outrageusement hostiles. Certains habitants disent même se sentir soulagés. « Au moins, on n’est plus dans un face-à-face avec les dealers  », se félicite, à voix très faible, une mère de famille. Dans l’une des cités visitées, un jeune trafiquant, l’œil goguenard sur le déploiement policier, s’amuse presque  : « Y vont bien finir par repartir un jour »…

« Et après  ? » Voilà évidemment l’incontournable question. Reviendra-t-on à la «  normale  »  ? Des règlements de comptes à un rythme plus espacé. Mais des trafics toujours aussi importants. Des gangs de plus en plus violents qui terrorisent tout en faisant parfois survivre des cités de plus en plus abandonnées. Si elles demeuraient les seules actions de la puissance publique, les opérations coup de poing s’avéreraient non seulement inefficaces mais également dangereuses : elles accréditeraient alors l’idée que tout se joue au cœur de certaines cités de Marseille.

Or, la toile de fond, c’est évidemment le trafic de drogue à l’échelle du grand banditisme. Si Marseille n’est plus une plaque tournante comme au temps de la french connection, elle reste la deuxième ville de France et un grand port, donc une succursale de choix et un marché juteux. Selon l’observatoire géopolitique des drogues, 54 % des revenus des stupéfiants sont captés par les distributeurs dans les pays consommateurs, 26 % par les transporteurs et les trafiquants internationaux. C’est dire la manne – le mot n’est pas trop fort – que les différents groupes se disputent.

Depuis une dizaine d’années, ce grand banditisme a multiplié les points d’entrée dans le corps social et territorial. À Marseille, ce sont les cités. Il y a quelques années, on ne trouvait du shit que dans le quartier de Saint-Gabriel. Aujourd’hui, toutes les cités sont concernées. Dans certaines d’entre elles, l’organisation est poussée jusqu’à la constitution de réseaux par produit (shit, héroïne, cocaïne). La multiplication des tentacules indique assez clairement la porosité grandissante du corps social de ces quartiers qui concentrent toutes les difficultés. Nécessité fait loi, pourrait-on presque avancer. Un trafic de 20 000 euros profitera principalement au chef mais laissera à quelques petites mains du quartier des miettes… qui n’en sont pas lorsqu’on constate les niveaux de revenus de certaines cités.

Aux Iris, dans le 14e arrondissement de Marseille, « drive-in du shit » de notoriété publique, la moitié des ménages gagnent moins de 
1 000 euros par mois. Cent euros pour un guetteur, c’est, dans la réalité, une famille qui se maintient la tête hors de l’eau. Mais à quel prix ! « Plein de mômes de quatorze ans gagnent plus que leur père. Cela explique à la fois la légitimité de ce trafic à leurs yeux et la “délégitimité” de leurs pères  », constate amèrement un travailleur social des quartiers Nord de la ville qui préfère garder l’anonymat. Dans un immense tremblement de terre des repères, le dealer impose sa norme sociale et s’impose comme modèle.

Parallèlement, le trafic devient une activité économique non seulement essentielle à la survie des cités mais, dans certains cas mêmes, prépondérante. Certains soupçonnent les autorités de s’en contenter et de privilégier cette paix sociale lâchement acquise. « Il ne s’agit plus d’une économie souterraine mais d’un marché parallèle qui se pratique au grand jour sur des territoires confisqués à la population », s’est récemment indigné Bernard Oliver, président de l’Association régionale des HLM dans la presse locale. Ce que notre trafiquant cité plus haut résume à sa façon : « Ils savent tous où se trouvent les trafics. S’ils voulaient vraiment les arrêter… » L’un de ces trafics se déroule dans une cité du 14e arrondissement située juste en face de l’École nationale de police…

Mais les cités ne sont pas seulement le lieu privilégié des trafics : elles sont également la proie des gangs. Comme l’ont prouvé les événements qui se sont déroulés il y a deux ans dans la cité des Iris. Taoufiki, dix-neuf ans, d’origine comorienne, avait été retrouvé dans une cave, atrocement torturé à mort. La population s’était alors révoltée, en reconquête de son propre territoire. Puis le centre social a manqué de moyens. Puis les policiers ne sont plus venus. Puis les habitants se sont découragés. Laissée à son abandon, la place centrale de la cité est redevenue le « drive-in du shit ». Symbole d’une partie d’une ville qui n’est pas Bogota, comme on a pu le lire dans certains journaux, mais la deuxième ville de France où l’échec du pouvoir sarkozyste (sécurité, pouvoir d’achat, plan banlieues…) se lit à livre ouvert.

Christophe Deroubaix, L’Humanité


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