Chose promise, chose due, le gouvernement de « coalition » (entre conservateurs et libéraux-démocrates) de David Cameron est donc passé à l’acte, après quelques mois d’intenses préparation en petit comité, en annonçant le 20 octobre devant le Parlement son programme de « révision globale des dépenses » (Comprehensive Spending Review).
Ce plan d’économies pour les finances publiques britanniques pour la période 2010-2015 est, selon les commentateurs politiques et médiatiques britanniques, le plus radical depuis la Deuxième Guerre Mondiale.
Par son ampleur et sa sévérité, le plan annoncé par le chancelier de l’échiquier (ministre des finances), George Osborne, va beaucoup plus loin que les réalisations des années de gouvernement Thatcher :
81 milliards de livres (91 milliards d’euros) de baisse des dépenses publiques sur cinq ans sur un budget 2010 de 700 milliards de livres (790 milliards d’euros, contre plus de 1000 milliards d’euros en France) ;
une baisse moyenne de 19% des budgets ministériels. L’aide au développement voit son budget fortement augmenter, la santé, l’éducation, et dans une moindre mesure la défense sont « relativement » épargnés, tandis que la justice, l’intérieur, l’environnement et surtout les collectivités locales (-51%, sic) paient un lourd tribut ;
la suppression de 490 000 emplois publics ;
une réduction des prestations et mesures sociales de 7 milliards de livres (8 milliards d’euros) : relèvement de l’âge de la retraite à 66 ans (contre 65 ans actuellement), remise en cause de l’universalité des allocations familiales (au détriment des familles « les plus riches », notion douteuse en pratique), changement de règles sur loyers pour les foyers modestes (dans un contexte de bulle immobilière qui ne s’est toujours pas dégonflée).
Annulation ou gel de plusieurs grands programmes militaires.
Selon le gouvernement, cet appel « au sang et aux larmes » devrait permettre de ramener le déficit budgétaire de 11% en 2010 (8,5% en France) à environ 1% à terme, et contenir la progression de l’endettement public et le paiement des intérêts de la dette. Il devrait aussi, selon le vocabulaire choisi, « assainir » les « fondamentaux macro-économiques » et permettre un retour de la croissance.
Face à cette thérapie de choc, le débat fait rage pour déterminer :
si ce remède de cheval est efficace économiquement et ne risque pas tuer le patient, à savoir la croissance britannique, et provoquer une nouvelle récession (un « double dip ») qui marquerait la faillite du projet ;
si l’option retenue, par conséquent, constitue le meilleur moyen de rétablir les comptes publics. Sur ce point, des critiques de différents bords pensent que le plan ne suffira pas, en estimant soit qu’il faudrait aller plus loin (chez certains libéraux) ou qu’il faudrait mettre à contribution l’industrie financière et les hauts revenus (position timidement défendue à gauche) ;
si, dans une vision libérale classique, le gouvernement a raison de concentrer son action quasi exclusivement sur la dépense publique et l’équilibre comptable (comme l’aurait fait un ménage) ou au contraire a tort de négliger les recettes (hausse des impôts) et la demande globale, comme le proclame une approche keynésienne ;
si cette « cure d’austérité » est juste socialement : le gouvernement met en avant certaines mesures taxant les plus hauts revenus ou revenant sur l’accès universel aux allocations familiales. Beaucoup sont plus sceptiques : un institut de recherche de référence, l’Institute for fiscal studies, considère ainsi que les pauvres, en particulier les familles, seront les plus durement frappés.
Enfin, dans quelle mesure la Grande-Bretagne pourra continuer d’assumer son rang et faire entendre sa voix sur la scène internationale, tant militairement que diplomatiquement.
Par sa brutalité et la netteté du geste, cette politique a le mérite de la clarté et d’une cohérence idéologique indéniable. Perspicace, un commentateur renommé, George Monbiot, l’a qualifiée de « doctrine du choc », en référence à la thèse du « capitalisme du désastre » de Naomi Klein. Cette dernière montrait comment les Etats-Unis avaient notamment appliqué cette politique en Irak, en détruisant sciemment, matériellement et socialement , le pays puis en reconstruisant (ou du moins en essayant) un nouveau monde à son image.
Au delà, on peut aussi s’interroger sur la question de savoir dans quelle mesure cette stratégie du « shock and awe » correspond à une stratégie savamment organisée de relations publiques et d’annonces pour « rassurer les marchés financiers ». Dans la lignée du dernier gouvernement Brown qui avait déjà prévu un sévère budget d’austérité, le gouvernement Cameron accentue la tendance de façon spectaculaire. Le Labour Party ne se démarque pas franchement et ne conteste pas la nécessité d’un plan d’économies sévères. Pour lui, il doit aboutir à une réduction de moitié du déficit budgétaire, à la mise en place d’un volet « emplois et investissements » et à une taxation accrue du capital.
L’hypothèse peut être ainsi faite que le Royaume-Uni s’est lancé à corps perdu dans un « concours de beauté » doublé d’une « course de vitesse » pour recueillir les faveurs du Léviathan de l’industrie financière auxquels les Etats sont intimement liés. Un économiste mainstream comme Patrick Artus avait en 2008 utilisé le terme de « pays-hedge fund » pour qualifier la politique économique « opportuniste » menée de façon cohérente par la Grande-Bretagne depuis trente ans (« Pourquoi l’Angleterre a perdu ») et concluait à sa faillite. Le pari du gouvernement Cameron ressemble donc fort à la prise de risque calculé d’un hedge fund qui maximise ses gains de court terme face aux marchés tout en pariant pour que la croissance revienne assez vite et que le climat social reste calme. (Les sondages d’opinion ont jusqu’à présent montré, semble-t-il, un consensus en faveur du programme d’économies, tandis que l’annonce du plan n’a donné lieu qu’à de modestes manifestations. Mais la tendance est peut-être en train de s’inverser quant au caractère juste de la réforme.)
La situation actuelle revêt donc une dimension spéciale car le gouvernement se retrouve prisonnier d’une triple injonction : sauver de la banqueroute par des moyens orthodoxes l’Etat et les joyaux de la Couronne ; relancer la croissance économique ; et, en même temps, défendre et complaire aux intérêts de classe (et au poumon économique) qu’incarne la City et que le gouvernement actuel représente.
Enfin, sur le plan « géopolitique », la place du pays dans le monde et la perception extérieure de sa puissance seront aussi tributaires de la réussite de ce plan. La préservation relative des budgets de la défense et des Affaires étrangères et la forte augmentation de l’aide au développement attestent d’une volonté de permettre au pays de maintenir son rang. Les choix effectués montrent aussi une inflexion en faveur du soft power (aide au développement) après les errements de l’Irak et de l’Afghanistan. Cela pourrait aussi signifier un mouvement de balancier dans la politique étrangère du pays l’inclinant peut-être davantage vers l’Union européenne que vers les Etats-Unis et la « spécial relationship ».
Mais tout cela reste évidemment, à ce stade, très... spéculatif.
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