Stéphane Hessel à propos de Nicolas Sarkozy « Des prises de position inconnues depuis Vichy »

jeudi 28 février 2013.
 

Ancien résistant et diplomate, Stéphane Hessel fut l’un des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Face à l’escalade sécuritaire de l’Élysée, il analyse les motivations profondes et anticonstitutionnelles de Nicolas Sarkozy.

Quel regard portez-vous sur le climat répressif développé par le chef de l’État  ?

Stéphane Hessel. Son discours, notamment celui de Grenoble, est une véritable erreur et une violation des principes démocratiques de notre Constitution. Le président ne se rend pas compte que les deux politiques auxquelles il a donné son nom, l’une sécuritaire essentiellement répressive et l’autre d’immigration qu’il a appelée immigration choisie, sont des atteintes au droit, dues à sa prédilection pour la partie la plus réactionnaire de notre démocratie. Il puise dans les électeurs de droite et d’extrême droite une partie de son soutien. S’il souhaite être réélu, il doit donner des gages à cette partie de notre population, qui n’est fort heureusement pas majoritaire.

Ce jusqu’au-boutisme serait-il dû uniquement à fins électoralistes  ?

Stéphane Hessel. Exactement, il profite de chaque fait divers un peu brutal pour se réaffirmer comme le défenseur inconditionnel de ceux qui pensent que la France doit se protéger des étrangers. C’est exactement l’inverse d’une politique intelligente pour notre pays.

Qu’entendez-vous par politique intelligente  ?

Stéphane Hessel. Selon moi, toute la gauche doit travailler ensemble sur deux points essentiels. D’une part, mettre au point une politique radicalement opposée à celle mise en œuvre par Nicolas Sarkozy. En matière de sécurité, il nous faut revenir à une politique réellement de gauche, tournée vers la proximité, et comprendre l’origine des problèmes de sécurité. Il faut une politique de justice à l’égard de toutes les composantes de la communauté française. D’autre part, il faut revenir complètement sur la politique d’immigration menée par messieurs Hortefeux et Besson. Les expulsions, le manque de régularisations sont des crimes commis contre la tradition française qui veut que les immigrés trouvent ici leur place. Les mouvements migratoires ne doivent pas être traités par la France contre les immigrés mais par des accords entre la France et les pays d’origine afin que ces flux soient connus et maîtrisés. Voilà, à mes yeux, l’ébauche d’une politique intelligente que la gauche devra appliquer une fois revenue au pouvoir, sur la base d’une action sociale importante.

Pour revenir au président, au-delà des incantations sécuritaires, son bilan depuis dix ans reste désastreux…

Stéphane Hessel. En effet, pour quelqu’un qui insiste constamment sur cette thématique, il faut reconnaître que son action n’a en aucun cas conduit à une plus grande sécurité dans le pays. Il est impératif de réviser complètement l’approche de ce problème. En clair, la situation de la sécurité en France est moins bonne qu’elle ne l’a été à d’autres périodes et, évidemment, la faute revient à la politique menée par Nicolas Sarkozy, d’abord place Beauvau puis à l’Élysée. L’échec de sa politique est patent.

Comment un président peut-il utiliser autant d’approximations et d’amalgames  ?

Stéphane Hessel. Il est évident qu’il est mal conseillé par son entourage immédiat et probablement aussi qu’il n’écoute pas les conseils de ses collaborateurs mieux renseignés que lui sur notre Constitution. Dès lors, il entre immédiatement en conflit avec le Conseil constitutionnel. Par ailleurs, heureusement que le Conseil est là pour empêcher des dérives auxquels il se laisserait volontiers entraîner pour préserver sa stature de président capable de régler les problèmes de suite avec force, autorité et parfois même brutalité. Selon moi, ses excès, heureusement, n’aboutiront pas. Nous disposons d’instances en France qui éviteront d’aller aussi loin qu’il le proclame. Cependant, ses prises de position, que nous n’avions plus connues depuis Vichy, sont très graves pour l’image qu’il présente en France et à l’étranger  : celle d’une démocratie bafouant ses valeurs traditionnelles.

Est-ce nouveau qu’un président dresse, sans complexe, une équation empruntée à l’extrême droite qui voudrait qu’immigration égale délinquance  ?

Stéphane Hessel. Je répondrai par une phrase de notre Constitution  : tous les Français sont égaux, quelles que soient leurs origines. Ce n’est pas parce que quelqu’un est d’origine étrangère, comme l’est entre parenthèses Nicolas Sarkozy lui-même, qu’il a moins de droits ou d’autres droits que ceux de l’ensemble des Français. En cela, il est important de lui rappeler cet article premier de notre Constitution.

Mais le président ne peut l’ignorer…

Stéphane Hessel. Le souci d’un homme comme Sarkozy est d’apparaître comme l’homme providentiel, l’homme qui a la responsabilité de tout le pays à lui seul. C’est le grand danger qui guette notre démocratie, où le président de la République est élu au suffrage universel direct et où le Parlement n’apporte qu’une légère contrainte. Plus largement, c’est l’ensemble du système de la Ve République qu’il faudra un jour réviser pour tenir compte de ce que pensent les vrais démocrates français et définir clairement le fonctionnement d’une République moderne.

La dérive sécuritaire que connaît notre pays se limite-t-elle à nos frontières  ?

Stéphane Hessel. Disons que la démocratie en Europe traverse une période délicate. La grande crise du capitalisme libéral entraîne une série de conséquences très graves sur la différence entre les riches et les pauvres, ce qui implique des zones de sous-développement pouvant générer de la violence et de la délinquance. La tentation de répondre uniquement par la répression risque de porter atteinte, pas seulement en France mais dans d’autres pays européens, à des valeurs fondamentales d’équité, de justice et de progrès social. C’est pourquoi il ne faut pas seulement regretter les violences verbales de tel ou tel président de la République, il faut penser que nos sociétés modernes démocratiques ont besoin d’être confortées dans leurs valeurs fondamentales.

Entretien réalisé par Lionel Decottignies


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