Ce si honnête monsieur Woerth ? Déjà en 1992…

jeudi 8 juillet 2010.
 

« Ce sont des allégations totalement dénuées de fondement. Elles sont d’autant plus ridicules que je rappelle qu’en tant que ministre du Budget, j’ai mené une lutte acharnée contre l’évasion fiscale et les paradis fiscaux. » Au centre des accusations dans l’affaire Bettencourt, Eric Woerth continue de jouer la carte de l’honnêteté tout terrain, qu’il cultive depuis son entrée en politique.

Une entrée en politique pourtant loin de s’être toujours déroulée dans les clous de la loi. Après plusieurs revers électoraux dans sa ville natale de Creil (Oise) au début des années 80, il met le cap vers une ville voisine bien plus à droite et entre au conseil municipal de Chantilly. Mais son mandat va se terminer beaucoup plus tôt que prévu.

Par un arrêt du 26 janvier 1990, le Conseil d’Etat annule son élection. En cause, l’incompatibilité avec sa fonction de directeur général de l’ADO. ADO, trois lettres pour « Agence de développement de l’Oise », trois lettres qui auraient pu causer sa perte dès l’entame de sa carrière politique.

« L’ADO exécute ses missions sans titre légal »

L’Agence et son directeur général se sont faits vertement épingler le 12 novembre 1992 dans un rapport définitif de la chambre régionale des comptes de Picardie, que Rue89 s’est procuré, comme Mediapart et Le Canard Enchaîné.

Dès sa création en juillet 1986, son poids dans le département a immédiatement été important. Par une décision du 13 octobre de la même année, le conseil général de l’Oise confie à l’ADO « l’impulsion, la coordination et la cohérence de toutes les actions concourant au développement départemental », et en même temps l’ensemble des crédits d’interventions économiques de la collectivité locale.

Illégal, tonne le tribunal administratif d’Amiens le 1er décembre 1987 : il est interdit de confier de telles attributions à une association régie par la loi de 1901. Attributions alors légèrement modifiées par le conseil général, mais insuffisamment. Ce que la chambre régionale des comptes ne manque pas de souligner :

« C’est sans titre légal que, depuis la décision du tribunal administratif d’Amiens, l’ADO exécute les missions qu’elle remplit pour le compte du département et pour lesquelles elle reçoit une subvention du conseil général. »

« La gestion de l’ADO a été dispendieuse »

Cette subvention « représente plus de 80% des ressources totales » de l’ADO, note encore la chambre. Et elle ne semble pas approuver la façon dont l’Agence dépensait l’argent public :

« La chambre a en effet relevé que la gestion de l’ADO au cours de la période examinée avait été dispendieuse, pour des actions dont l’intérêt, dans le cadre de l’action économique du département, était souvent discutable, et dont la mise en œuvre était parfois improvisée. »

Il faut continuer de feuilleter le rapport pour avoir des exemples de ces actions à l’intérêt « discutable ». Plusieurs études et audits apparaissent suspects aux yeux de la chambre, qui y voit des « subventions indirectes ». Telle cette étude sur les brosses à cheveux, intitulée « analyse fine du marché et des comportements face à la brosse », co-financée par la Fédération française de la brosse et qui a coûté 57 876 francs à l’ADO.

Plus délicates encore les dix-sept places réservées par l’ADO à un dîner organisé le 2 février 1988 en présence de Jacques Chirac, « quelques mois avant l’élection présidentielle », précise la chambre. L’ADO plaide le nécessaire lobbying entrepreneurial, mais la chambre ne se dit « pas convaincue », d’autant qu’elle « note que le remboursement de ces dépenses, qu’elle avait demandé, avait été effectué ».

« Des augmentations accordées sans rigueur »

L’argent du contribuable va aussi aller directement dans la poche d’Eric Woerth. La chambre pointe du doigt des augmentations de salaires des agents de l’ADO « accordées sans rigueur », notamment au directeur général :

« Après deux augmentations de 25,7% et 18,9% intervenues en juillet 1987 et janvier 1989, le salaire brut mensuel de monsieur Eric Woerth a été porté de 23 400 francs en juin 1986, date de son recrutement, à 35 000 francs en janvier 1989. […]

A cette rémunération mensuelle, il convient d’ajouter les trois primes de fin d’année de 23 400 francs, 29 418 francs et 29 418 francs, qui lui ont été versées au titre des exercices 1986, 1987 et 1988. Monsieur Eric Woerth disposait également d’une voiture de fonction, ce qui n’était pas prévu dans son contrat de travail. »

Au regard de la fonction de ministre de Budget qu’a ensuite occupée l’intéressé de 2007 à 2010, il est cocasse de lire la conclusion de la chambre sur ce point :

« Elle tient à rappeler les termes de la circulaire du 1er février 1988 du ministre délégué chargé de la Réforme administrative et du ministre délégué chargé du Budget, adressée aux ministres et secrétaires d’Etat. »

« Une prime de départ de 175 000 francs »

La chambre réserve enfin quelques banderilles aux conditions de départ d’Eric Woerth de l’ADO, en soulignant ses aspects juridiques, politiques et financiers :

« Après l’arrêt du Conseil d’Etat, ci-dessus mentionné, annulant son élection au conseil municipal de Chantilly, monsieur Eric Woerth, craignant à juste titre d’être également déclaré inéligible au conseil régional dont il était aussi membre, informait le président de l’ADO de son intention de résilier son contrat d’engagement et d’abandonner son emploi dès le 8 février 1990.

Le président a accepté que monsieur Eric Woerth n’exécute aucun préavis et l’a ainsi libéré sans délai de toute obligation contractuelle. En outre, “eu égard aux excellents résultats de l’ADO sous sa direction”, selon ses propres termes, il a décidé de lui octroyer une prime de fin de contrat d’un montant égal à cinq mois de salaire, soit 175 000 francs. »

La chambre a d’abord « vivement critiqué l’octroi de cette prime qu’elle a qualifié de pure libéralité ». Avant de recevoir des explications différentes du même président de l’ADO : « En pratique monsieur Eric Woerth a continué à travailler à plein temps à l’ADO jusqu’à fin juin. » De nouvelles justifications dont la chambre s’est alors contentée de « prendre acte ».


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