La gauche ne peut être une gauche d’accompagnement d’un système en pleine dérive (Par Stéphane Delpeyrat, Pouria Amirshahi, Marianne Louis, Charlotte Brun, 
Pascal Cherki, dirigeants nationaux du PS)

samedi 5 juin 2010.
 

"Depuis l’automne 2008, l’économie mondiale se trouve plongée dans une crise économique et financière majeure. Par l’ampleur des masses financières en jeu, par son étendue, par l’incapacité des États à affirmer une autorité durable, cette crise globale prend le chemin d’une crise totale si nous ne mettons pas un terme à l’indépendance de la sphère financière vis-à-vis de l’économie réelle.

L’impasse financière grecque et la mise en cause de l’euro mettent en évidence cette impuissance politique.

Face à ce désordre systémique, toute décision suscite immédiatement d’autres inquiétudes, d’autres réactions en chaîne qu’il faut ensuite s’efforcer de corriger par des mesures généralement contradictoires. De ce cercle vicieux, il sera bien difficile de sortir si les gouvernements persistent à s’en remettre aux vertus économiques du néolibéralisme. En 1989, l’effondrement du bloc soviétique assoit la domination du libéralisme, consacré quelques années plus tôt par l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan et Margaret Thatcher.

L’apparente simplicité de cette pensée, qualifiée de « bon sens » lui a conféré une redoutable efficacité. Nous en connaissons les grands principes  : la primauté du privé sur le public, de l’individuel sur le collectif, la réduction de toute pensée en calcul économique (« l’Homo economicus »), l’affirmation des vertus de la concurrence et du libre-échange dans tous les domaines, la supériorité de la régulation privée (par les marchés) sur la régulation publique (par les États), l’affirmation que la réduction des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires est facteur de croissance, que la flexibilité et la précarité sont créatrices d’emplois, etc. Pensée totalisante qui réduit toute activité humaine à un calcul économique — rentable/pas rentable —, et transforme toute chose en marché  : la politique, l’éducation, la culture, la santé, le vivant… Rien n’échappe à ce raisonnement qui transforme la vie en calcul mathématique et financier soumis à la double loi d’airain de l’offre et de la demande et de la rentabilité. Sa mise en pratique a engendré privatisations, dérégulation, déréglementation, libre-échange, réduction d’impôts des entreprises et des cotisations sociales, déréglementation généralisée des marchés financiers. Même des sociaux-démocrates ont cédé au chant de ces sirènes qui ont généralisé le système à l’échelle planétaire via l’OMC, le FMI, et même parfois l’Europe.

« Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain », assénaient les libéraux. Résultat  : chômage de masse, déclin industriel, concurrence exacerbée entre nations et entre individus, explosion des inégalités… et surrémunération du capital. Cette période néolibérale aura en outre généré un affaiblissement des États, endettés par le jeu de la socialisation des pertes et de la privatisation de profits, ainsi que la crise d’un système financier incapable, comme c’était prévisible, de s’autoréguler. Enfin elle aura donné lieu à une crise environnementale et démocratique profonde. Conscients de cette situation, écœurés par l’impuissance du politique à transformer réellement leur vie quotidienne, les citoyens se replient dans l’abstention, la protestation ou se tournent parfois vers l’extrême droite. Pour le plus grand bonheur des néolibéraux, dont le rêve ultime est de substituer à la démocratie une « gouvernance » censitaire aux mains des experts et des marchés.

Face à cet état de fait, une gauche « moderne » ne peut être une gauche d’accompagnement d’un système en pleine dérive. Les Français n’attendent pas cela de nous, ils nous l’ont signifié lors des trois dernières élections présidentielles. Nous ne parviendrons à rompre clairement avec ces schémas de pensée qu’à condition de renouer avec notre propre « logiciel »  ; mais un logiciel libre et libéré de l’empreinte néolibérale. Il faut opposer à la pensée néolibérale une autre cohérence  : l’émancipation des hommes et des femmes de toutes les formes d’aliénation, l’égalité comme pilier du pacte républicain, la liberté et la raison pour guides, la primauté de l’intérêt public sur les intérêts privés, des objectifs démocratiquement élaborés, la régulation publique face aux désordres des marchés, la légitimité principale du suffrage universel face à toute autre forme de « gouvernance » fondée sur une pseudo-expertise ou sur l’argent… Ces orientations ne sont pas des incantations  : elles s’incarnent dans la modernisation de nos services publics, dans l’appropriation publique des biens essentiels à notre développement, l’encadrement beaucoup plus strict des écarts de salaires, une fiscalité de justice, le réarmement des politiques publiques… et la proposition d’un nouveau projet partagé avec les socialistes du monde entier. En France, surtout, elles peuvent constituer un socle de discussions prometteur avec toutes les forces de gauche. En un mot, elles permettent de relancer un cercle politique vertueux. C’est dans cette perspective que les socialistes s’attellent à la rédaction de leur projet pour 2012  ; c’est à cette condition qu’ils seront de nouveau entendus par l’électorat populaire et pourront redevenir majoritaires".

Par Stéphane Delpeyrat, Pouria Amirshahi, Marianne Louis, Charlotte Brun, secrétaires nationaux du PS, 
Pascal Cherki, membre du bureau national du PS.


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