Pour dénier la psychanalyse, tout est bon et, in fine, le succès assuré

lundi 3 mai 2010.
 

À quoi servent Michel Onfray et l’intense campagne médiatique autour de son livre ?

Nous sommes actuellement soumis à une intense campagne médiatique autour d’un livre événement  : Crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne, de ­Michel Onfray. Selon les paroles mêmes de son auteur, l’ouvrage serait le résultat de cinq mois de lecture, pendant lesquels, ­Michel Onfray aurait lu tout Freud et en aurait tiré un point de vue définitif. Cette prétention contraste fortement avec la multiplicité des débats contradictoires entre les diverses écoles de psychanalyse ou, par exemple, avec le travail de Jacques Lacan qui, après plus de cinquante ans de lecture, en était toujours, lui pauvre humain, à approfondir son interprétation et à faire évoluer ses hypothèses. Alors que l’exhibition d’une telle toute puissance devrait prêter à sourire, elle est généralement tenue comme une garantie de la qualité de son travail et du caractère de « chercheur infatigable » attribué à l’auteur. Michel Onfray est présenté comme l’icône, l’image de l’incarnation de la vérité comme « toute ». Il s’offre en tant que vérité qui se fait voir, qui ne se présente pas à la raison, mais au regard, à la pulsion scopique. Son livre n’est pas destiné à penser, mais à fournir une jouissance. Il s’agit d’une vérité qui s’énonce sans vouloir se heurter, ni aux faits ni à une interprétation. Elle n’est pas relative, elle se présente comme la chose absolue. Elle n’a besoin d’aucun support, d’aucune extériorité. Elle est la Theoria qui se fait monde et qui jouit d’elle-même. Simplement, Onfray fait une fixation sur Freud qu’il réduit à une image rivale.

Sa « lecture » de Freud présente deux caractéristiques complémentaires. Sans note ni référence, elle ne doit rien à personne, elle ne se fonde formellement que sur elle-même. Il s’agit du travail d’un self-made-man. Tout ce qui est affirmé est présenté comme nouveau, n’ayant aucune filiation ni intellectuelle ni historique.

Enfin, il s’agit d’une lecture à la lettre. Si Freud a théorisé la pulsion de mort et a montré son rôle dans l’histoire des sociétés humaines, c’est qu’il est un adepte de l’abandon à ce mécanisme pulsionnel. Sa théorisation est ainsi anticipation de la barbarie nazie et porterait une responsabilité des génocides commis. Une identité est établie entre l’énonciation du mot et la chose elle-même. Comme disent les enfants  : « c’est celui qui le dit qui l’est. »

Aussi, Freud, en faisant du meurtre du père imaginaire, donnant existence à un père symbolique, un principe fondateur d’une société spécifiquement humaine, aurait assassiné Moïse, le père de la loi judaïque, favorisant ainsi la solution finale des nazis contre le peuple juif. Le caractère autoréférentiel de la méthode, l’identité construite entre l’utilisation d’un concept et l’intentionnalité attribuée à son auteur représentent les deux faces d’un même procédé, placé au coeur du mode opératoire utilisé par Michel Onfray  : les choses existent car il les a énoncées. L’enfant tout puissant opère un déni de la fonction du père. Il ne veut pas le tuer, mais occuper la place du père imaginaire. Ainsi, il est dans l’air du temps, comme rouage d’une machine déjà bien ­installée dans la postmodernité.

Historiquement, la psychanalyse a été combattue par les régimes fascistes et nazis, comme « science des juifs » et stigmatisée par la droite catholique, à cause de sa référence à la sexualité. Si le philosophe athée et hédoniste se trouve en une telle compagnie, ce n’est pas pour les mêmes raisons. Dans les États ­fascistes et nazis, ce qui fait lien entre les hommes est mythique. À l’ordre symbolique, au lien ­social, doit se substituer l’imaginaire. Dans la postmodernité, dont Michel Onfray est un héraut, ce qui explique sa grande médiatisation, tout ordre symbolique, même imaginaire, doit être anéanti. L’enfant tout puissant, figure centrale de cette nouvelle période historique, ne peut connaître aucune limite. La dimension sociale de l’humain est déniée. À l’ordre de l’ancien testament qui repose sur la gestion de la ­violence, Michel Onfray oppose une humanité hédoniste, uniquement habitée par la pulsion de vie, orchestrée par un dieu païen prônant une jouissance sans limite. Si on n’est pas aveuglé par cette notion d’un dieu solaire, on retrouve là la spécificité des valeurs
de la postmodernité.

Actuellement, la psychanalyse est particulièrement attaquée. La Grande-Bretagne est à la pointe de ce combat. Un projet de loi est en discussion visant à empêcher concrètement sa pratique. Cet exemple extrême fait partie d’une tendance générale. Ce livre en est un élément.Pour dénier la psychanalyse, tout est bon  : inventer des faits, fabriquer des révélations, privilégier la rumeur face au réel. Dans cette entreprise, l’auteur est assuré d’obtenir tout le soutien nécessaire.

Ce qui est dérangeant dans la psychanalyse, c’est qu’elle repose sur le manque, qu’elle montre à l’homme qu’il ne peut être le tout. Dévoilant sa castration à l’individu, elle fait de la reconnaissance de celle-ci, la condition de l’émergence d’une parole. À l’opposé de Michel Onfray, elle nous montre que l’existence d’une société humaine repose sur l’interdiction de l’inceste, non pas du corps-à-corps dans lequel on est habitué à la penser, mais dans la ­séparation de l’individu d’avec la mère symbolique, aujourd’hui l’État maternel. La psychanalyse est un instrument indispensable pour faire face au déni de ­l’humain. Elle nous est nécessaire pour sortir d’un processus de régression qui nous ramène au stade le plus primaire du narcissisme, celui de l’auto-érotisme, de la non-­distinction entre intérieur et extérieur, dans lequel Onfray veut s’enfermer.

Par Jean-Claude Paye et Tülay Umay, sociologues.


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