MAURICE CARÊME (1899-1978)
Ce soir de décembre
Est si triste
Qu’on ose à peine respirer.
On entend doucement le disque
De la pleine lune tourner.
Et sous l’aiguille de la bise
Meurt et renaît, le long des toits,
Une longue plainte que brise
Le miaulement bref d’un chat.
La grange bleue
Albert Samain 1859-1900
La faux des moissonneurs a passé sur les terres,
Les repos succède aux travaux des longs jours,
Parfois une charrue, oubliée des labours,
Sort comme un bras levé, des sillons solitaires.
La nuit à l’Orient verse sa cendre fine,
Seule au couchant s’attarde une barre de feu ;
Et dans l’obscurité qui s’accroît peu à peu
La blancheur de la route à peine se devine.
En jeune veuve éplorée, la terre pleure son défunt
Comme pour le remplacer à l’horizon s’élève
Une lumière de lune, toute pâle et si légère,
Dans l’ombre et les parfums
Superbe fille de Ré,
Tu viens nous éclairer.
(extraits du chariot d’or)
Charles BAUDELAIRE
Que le soleil est beau quand tout frais il se lève,
Comme une explosion nous lançant son bonjour !
Bienheureux celui-là qui peut avec amour
Saluer son coucher plus glorieux qu’un rêve !
Je me souviens !... J’ai vu tout, fleur, source, sillon,
Se pâmer sous son oeil comme un coeur qui palpite...
Courons vers l’horizon, il est tard, courons vite,
Pour attraper au moins un oblique rayon !
Mais je poursuis en vain le Dieu qui se retire ;
L’irrésistible Nuit établit son empire,
Noire, humide, funeste et pleine de frissons ;
Une odeur de tombeau dans les ténèbres nage,
Et mon pied peureux froisse, au bord du marécage,
Des crapauds imprévus et de froids limaçons.
Alfred de Musset
Pâle Etoile du soir, messagère lointaine,
Dont le front sort brillant des voiles du couchant,
De ton palais d’azur, au sein du firmament,
Que regardes-tu dans la plaine ?
Que cherches-tu sur la terre endormie ?
Mais déjà sur les Monts, je te vois t’abaisser ;
Tu fuis en souriant, mélancolique amie
Etoile qui descend sur la verte colline,
Et ton tremblant regard est près de s’effacer.
Triste larme d’argent du manteau de la nuit
Toi que regarde au loin le pâtre qui chemine,
Tandis que pas à pas son long troupeau le suit.
Etoile où t’en vas-tu dans cette nuit immense ?
Cherches-tu sur la rive un lit dans les roseaux ?
Où t’en vas-tu si belle, à l’heure du silence
Tomber comme un perle, au sein profond des eaux ?
Ah ! si tu dois mourir, bel astre, et si ma tête
Va dans la vaste mer plonger ses blonds cheveux,
Avant de nous quitter, un seul instant arrête :
Etoile de l’amour, ne descends pas des cieux !
(Le saule - fragment)
Victor Hugo
C’est le moment crépusculaire
J’admire, assis sous un portail,
Ce reste de jour dont s’éclaire
La dernière heure de travail.
Dans les terres de nuit baignées,
Je contemple, ému, les haillons
D’un vieillard qui jette à poignées
La moisson future aux sillons.
Sa haute silhouette noire
Domine les profonds labours,
On sent à quel point il doit croire
A la fuite utile des jours,
Il marche dans la plaine immense,
Va, vient, lance la graine au loin
Rouvre sa main et recommence,
Et je médite, obscur témoin,
Pendant que, déployant ses voiles,
L’ombre où se mêle une rumeur,
Semble élargie jusqu’aux étoiles
Le geste auguste du semeur.
(La chanson des rues et des bois)
Albert Victor Samain (1858-1900)
C’est un beau soir, couleur de rose et d’ambre clair
Le temple d’Adonis, en haut du promontoire,
Découpe sur fond d’or sa colonnade noire,
Et la première étoile a brillé sur la mer...
Pendant qu’un roseau pur module un lent accord
Là-bas, Pan, accoudé sur les monts se soulève
Pour voir danser pieds nus les nymphes sur la grève
Et des vaisseaux d’Asie embaument le vieux port...
Des femmes, épuisant tout bas l’heure incertaine
Causent, l’urne appuyée au bord de la fontaine,
Et des boeufs accouplés délaissent les sillons...
La nuit vient parfumée aux roses de Syrie
Et Diane au croissant clair ce soir en rêverie,
Au fond des grands bois noirs qu’argente un long rayon
Baise ineffablement les yeux d’Endymion.
Leconte de Lisle
Sur la pente des monts les brises apaisées
Inclinent au sommeil les arbres onduleux
L’oiseau silencieux s’endort dans les rosées,
Et l’étoile a doré l’écume des flots bleus.
Au contour des ravins, sur les hauteurs sauvages,
Une molle vapeur efface les chemins,
La lune tristement baigne les noirs feuillages,
L’oreille n’entend plus les murmures humains
Mais sur le sable au loin chante la mer divine,
Et des hautes forêts gémit la grande voix,
Et l’air sonore, aux cieux que la nuit illumine,
Porte le chant des mers et le soupir des bois.
Montez, saintes rumeurs, paroles surhumaines,
Entretien lent et doux de la terre et du ciel !
Montez, et demandez aux étoiles sereines
S’il est pour les atteindre un chemin éternel ?
O mers, ô bois songeurs, voix pieuses du monde,
Vous m’avez répondu durant mes jours mauvais ;
Vous avez apaisé ma tristesse inféconde,
(Nox - Poèmes antiques)
Albert Samain (1858-1900)
Vers l’Occident, là-bas, le ciel est tout en or !
Le long des prés déserts où le sentier dévale
La pénétrante odeur des foins coupés s’exhale.
Et c’est l’heure émouvante, où la terre s’endort.
La faux des moissonneurs a passé sur les terres
Et le repos succède aux travaux des longs jours.
Parfois une charme oubliée aux labours
Sort comme un bras levé, des sillons solitaires.
La nuit à l’Orient verse sa cendre fine.
Seule au couchant s’attarde une barre de feu.
Et dans l’obscurité qui s’accroît peu à peu
La blancheur de la route à peine se devine.
Puis tout sombre et s’enfonce en la grande unité.
Le ciel enténébré rejoint la plaine immense.
Ah ! Écoute ! Un grand soupir traverse le silence,
Et voici que le coeur de jour s’est arrêté.
Charles Baudelaire
Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ...
Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir,
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir,
Le violon frémit comme un coeur qu’on afflige,
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.
Le violon frémit comme un coeur qu’on afflige,
Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grands reposoir ,
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige.
Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige.
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !
(Les Fleurs du mal)
Albert Samain 1859-1900
Le ciel comme un lac d’or pâle s’évanouit,
On dirait que la plaine, au loin déserte, pense
Et dans l’air élargi de vide et de silence,
S’épanche la grande âme de la nuit.
Pendant que çà et là brillent d’humbles lumières,
Les grands boeufs accouplés rentrent par les chemins,
Et les vieux en bonnet, le menton sur les mains,
Respirent le soir calme aux portes des chaumières.
Le paysage, où tinte une cloche est plaintif
Et simple comme un doux tableau de primitif
Où le Bon Pasteur porte l’agneau blanc sur l’épaule.
Les astres au ciel noir commencent à neiger,
Et là-bas, immobile au sommet de la côte
Rêve la silhouette antique d’un berger.
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