Pendant que les multinationales licencient pour accroitre leurs bénéfices… d’autres se pendent

dimanche 7 mars 2010.
 

Hier, mon téléphone sonne. C’est ma mère. Un peu agacée par son second appel de la journée, je décroche avec l’intention de lui demander de me rappeler plus tard. Au bout du fil, elle pleure et bégaye quelques mots avant de m’expliquer, d’un ton assuré, que mon oncle s’est pendu en début d’après-midi. Dans sa lettre d’adieu, tout ressemble à une réflexion à haute voix, à une série d’arguments qu’il semble avoir couchés sur le papier pour se persuader lui-même que l’issue fatale restait la meilleure.

En avril dernier, Alain est convonqué par son management. En raison de deux retards (45 kilomètres séparent le domicile du lieu de travail) et de son utilisation d’internet à des fins personnelles, on lui met un blâme. C’est le coup de sifflet de ce qui va devenir un harcèlement moral. En Juin, alors que je rends visite à ma famille, je discute avec mon oncle. Il m’explique que son management le noie de travail et de deadline impossible à respecter. A ses mots, je comprends qu’on veut le bazarder. Il est vieux (52 ans), nul en informatique et coûte cher (2700 euros net). Au retour de ses vacances, nouvelle convocation et nouveau blâme. Alain ne remplit pas ses objectifs et il est averti pour la seconde fois. A l’issue de la réunion, il s’énerve et monte le ton. Tous les gens autour de lui étaient des gosses quand il a démarré sa carrière dans la boite et ça, pour lui, ca ne passe pas. Le directeur du site lui dit verbalement qu’en raison de la crise, il doit dégraisser et qu’il fait partie de la liste des indésirables. Il enfoncera alors son poing dans la joue de ce gros con et sera licencié quelques jours plus tard. Alain n’a jamais été violent. Mais comme beaucoup dans la famille, il a un sens aigu de la justice et de la politesse. Quand il a compris qu’il était dans la nasse, il a préféré se faire justice immédiatement que prendre du cash. Courageux et compréhensible geste (de mon point de vue), il va néanmoins devenir le coup d’envoi d’une chute effrénée vers son malheureux sort. Dans les mois qui suivirent, 10 des ses collègues subiront le même sort… tous avec au moins 10 ans d’ancienneté au sein de l’entreprise.

Alain a 10 frères et sœurs dont ma propre mère. Comme elle, il a arrêté l’école à 14 ans pour travailler dans la carrière à champignons du village. Comme deux autres de mes oncles, il entrera à la SNCF comme contrôleur pendant 5 ans. Une déception amoureuse plus tard, car Alain ne pouvant pas avoir d’enfants, il quittera la fonction publique pour rejoindre une fabrique de biscuit comme contrôleur qualité. Il y gravira des échelons, participera à de nombreux projets mais également à de nombreuses avancées sociales au sein de l’entreprise. De droite, Alain a toujours été proche de ses potes de la CGT, les manœuvres et autres employés au « packaging » qui font le sale boulot. Alain n’aime pas les injustices de classe…

Seul face à lui même, Alain va commencer par prendre un peu de recul. Il viendra même 2 jours me visiter à Prague avant de continuer vers Vienne. Il n’avait jamais voyagé si loin. Il passera le reste de l’été à entretenir sa palombière, cultiver son jardin et visiter la famille. Seul et célibataire de carrière, Alain avait une solide épargne d’environ 50 000 euros. Propriétaire d’une maison qu’il avait terminé de payer il y a quelques années déjà, il vivait chichement, avec ses deux chiens dans une maison confortable de 90 mètres carrés à la campagne. Vraiment tout pour être heureux… Alain va vite comprendre qu’il est dans une impasse professionnelle. Le marché de l’emploi est maigre pour lui et puis il a perdu confiance en lui, s’isole et doit sûrement se poser des questions aussi existentielles qu’inutiles car comme beaucoup dans la famille, Alain a la déprime facile ! Le Ricard n’a jamais été une habitude de consommation, pourtant, il va commencer à partager sa richesse avec le groupe Pernod-Ricard. Alain semble sombrer tout à coup dans le néant aux yeux des siens… je suis loin, je ne comprends pas donc je ne juge pas. Régulièrement, et par habitude d’abord, je m’entretiens au téléphone avec lui. A chaque fois il « va bien » et a un discours tout à fait cohérent. Nous parlons politique, de la crise et de la situation de son ancienne entreprise. Une chose est certaine, Alain en a gros sur la patate, n’a pas vraiment de regrets dans le fond, mais sait qu’il s’est complique la tache en ne parvenant pas a casser la mâchoire du pingouin degraisseur. Ces derniers temps, Alain était invisible aux yeux de tous et injoignable la plupart du temps. Nous savons juste qu’il a effectué un court séjour dans les Pyrénées… dans le village où est né son père, et dans lequel Alain n’y avait jamais mis les pieds. Mon grand-père, lui-même, n’y étant jamais revenu, lorsqu’il l’a quitté à 5 ans en 1927.

Expliquer un suicide, même moi, Alain étant mon parrain, je ne peux pas, je ne veux pas… ce n’est pas possible. Je suis révolté, parce que même si je sais qu’il a toujours regretté de ne pas avoir mené une vie privée heureuse et accomplie, je sais aussi qu’il a tout donne dans son job.

Multinationale aux poches gavées, la crise comme prétexte, le harcèlement et des méthodes de management douteuses comme outils, elles licencient autant que possible en réorganisant soigneusement l’entreprise pour ne plus avoir besoin que de smicards interchangeables. Et en ce moment, des gens à employer au Smic… ce n’est pas ca qui manque. Jusqu’à quand allons nous laisser ces entreprises briser des familles, des vies ou des bassins d’emplois sans que l’on ne les punisse si durement qu’ils y réfléchissent a deux fois ? Oui je sais…

Il faut boycotter les entreprises qui n’ont plus d’activité de production sur notre territoire. Apres avoir usé les gens, profité de l’argent public, qu’elles ne comptent pas sur moi pour les enrichir encore davantage. Moi c’est décide, je ne mangerai plus de biscuits **.


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