Obama président depuis un an : Tragédie ou farce ?

vendredi 26 février 2010.
 

1) Une première année de présidence à la fois tragédie et farce

Par Mark Kesselman, Professeur émérite de science politique à la Columbia university de New-York

Obama peut-il satisfaire les besoins de son peuple  ? En a-t-il les moyens politiques, la volonté  ? Je réponds non. Et cela pour quatre raisons  : l’héritage de trente ans de politiques économiques conservatrices  ; le rapport de force économique et politique fortement orienté à droite (en partie à cause des politiques économiques suivies depuis trente ans)  ; les institutions et forces politiques  ; et enfin la personnalité propre d’Obama.

Les Trente Glorieuses aux états-Unis 
sont bien loin

Les politiques du New Deal, de la nouvelle frontière de JFK et la Grande Société (Great Society) de Lyndon Johnson avaient redistribué la richesse et le pouvoir vers le bas avec, par exemple, les impôts légèrement progressifs et les programmes en faveur des syndicats ouvriers, des Noirs et des pauvres. Le résultat  : la part des gens « d’en bas » dans la répartition de la richesse nationale a augmenté sensiblement jusqu’aux années quatre-vingt. Avec Reagan et ses successeurs (y compris Clinton), cela a changé  : attaques en règle contre les syndicats, réformes des impôts en faveur des plus riches et plans d’austérité (par exemple, le démantèlement de l’assistance sociale). Le comble a été atteint sous George W. Bush, avec le démantèlement des impôts sur l’héritage, la réduction massive du taux d’impôt pour les plus riches et le renforcement de la déréglementation. Le résultat  : un changement important en faveur d’une petite minorité au détriment de la grande majorité. Par exemple, en trente ans, les 10 % d’Américains les plus riches ont obtenu autant de l’augmentation du produit national que tous les autres. Deuxième exemple  : tandis que pendant quelques décennies le nombre des Américains vivant au-dessous du seuil de pauvreté a diminué, depuis 2000, il a nettement augmenté. Et ces statistiques datent d’avant la crise financière et économique de 2008  !

Un rapport de force économique et politique orienté à droite

Ces changements ont modifié les rapports gauche-droite et travail-capital. Alors que les classes moyennes et les pauvres ont été beaucoup affaiblis, les tranches supérieures, les grandes entreprises et les lobbies n’ont cessé de s’enrichir. Ceci explique pourquoi, bien qu’il y ait eu une immense vague de mécontentement populaire contre les banques et les institutions politiques, les tentatives timides pour réformer le système bancaire et pour réformer le système de santé ont échoué jusqu’ici.

Les institutions et forces politiques

En plus des facteurs économiques, il faut prendre en compte les institutions politiques. Dans le système politique américain, le Congrès est particulièrement armé pour empêcher des réformes progressistes et pour renforcer le statu quo. Par exemple, pour voter une loi, il faut que les deux Chambres votent un texte identique. Au Sénat, il faut rassembler soixante sénateurs pour clore des débats et passer au vote. Même quand le Parti démocrate a pu rassembler soixante sénateurs, il est resté peu discipliné et très hétérogène. Le cumul de ces facteurs économiques, politiques et institutionnels signifie que, pour voter de grandes réformes, il y a nécessité d’un mouvement social fort et d’un président exceptionnel.

La personnalité d’Obama

Or, bien qu’Obama ait fait montre d’un exceptionnel talent d’orateur, il a fait preuve d’un talent médiocre pour gouverner. Même dans sa campagne, Obama n’a jamais proposé de réformes audacieuses. En revanche, il a proposé des slogans vagues, invoquant, par exemple, des « changements auxquels nous pourrions croire » (sans préciser lesquels  !). Il a choisi des conseillers économiques dans la lignée de ceux de Bush et Clinton (et bien souvent, les mêmes personnes, comme Lawrence Summers et Timothy Geithner). Donc, sans un grand mouvement populaire à gauche, il n’y a aucune raison d’attendre des réformes audacieuses de sa part. Et ce qui arrive actuellement est bien le contraire  : le mécontentement populaire a été récupéré par Sarah Palin et les Tea Parties, 
et dirigé contre Obama et les réformes. Marx a dit que l’histoire se répète, la première fois comme tragédie, la deuxième fois comme farce. Hélas, la première année de la présidence d’Obama a été les deux à la fois…

2) Les gens ont compris pour qui travaille Barack Obama

Par Danielle Follett, enseignante chercheuse américaine à l’Université Paris-VIII

Il y a un an, Barack Obama et son administration ont soulevé beaucoup d’espoir. Aujourd’hui, c’est le désespoir qui domine de larges secteurs de la société américaine, y compris les électeurs démocrates. Ce renversement de l’opinion n’est pas dû uniquement au manque criant de détermination d’Obama à appliquer ses promesses de campagne  ; il renvoie aussi à la nature même des mesures prises et des propositions avancées.

Ainsi, le projet de loi sur l’assurance santé a déçu à peu près tout le monde, quelles que soient les affinités politiques. Évidemment, les élus républicains cherchent à capter les sentiments radicalement antigouvernement d’une frange de la droite, afin d’améliorer leurs chances d’obtenir une majorité lors des élections de mi-mandat, qui auront lieu à l’automne prochain. Mais au-delà de ce jeu tactique avec les surexcités du conservatisme, on a pu constater que les critiques de la loi émanant de la population du centre et du centre droit convergent souvent avec celles formulées par les gens de gauche  : cette réforme coûterait très cher aux salariés sans forcément leur apporter une bonne couverture médicale, et bénéficierait surtout aux grandes entreprises d’assurance santé et de pharmaceutique.

Le vote récent dans le Massachusetts, qui fait que les démocrates ont perdu la majorité qualifiée au Sénat, montre que les gens ont compris pour qui travaille Obama. Un grand nombre n’a pas tant voté en faveur du candidat républicain que contre l’administration démocrate, avec un vote protestataire pour la seule alternative susceptible d’attirer vraiment l’attention d’Obama. C’est une claque bien méritée. Depuis un an, Obama et les démocrates insistent sur la nécessité de travailler main dans la main avec les républicains, pour mettre en œuvre leurs politiques « centristes ». Pourquoi cette démarche de la part des démocrates, alors qu’ils contrôlaient jusqu’à janvier dernier les deux chambres du Congrès, et contrôlent toujours la présidence, avec un mandat qu’Obama lui-même a placé sous le signe du « changement »  ? Par ailleurs, pourquoi les républicains s’appliquent-ils depuis un an à faire obstacle à presque toutes les mesures proposées par l’administration, même celles qui convergent avec leurs propres propositions  ? À quel jeu enfantin ou cynique assistons-nous à Washington  ?

En fait, comme les deux partis s’inquiètent du creusement de la dette et du déficit, démocrates et républicains s’engagent dans la même course aux mesures d’austérité en ce qui concerne les services sociaux  : assurance santé pour les personnes âgées, retraites, éducation, etc., sans jamais évoquer, soit dit en passant, l’idée de réduire les dépenses militaires. Pour autant, dans cette course commune, les républicains savent bien qu’ils n’ont aucun intérêt à accepter franchement la main tendue d’Obama. Récemment, Obama a mis en place un comité bipartite pour la réduction du déficit, dont la mission sera de proposer des façons d’augmenter les impôts et de réduire les services sociaux. Le Wall Street Journal a publié un éditorial mettant en garde les républicains contre leur participation à cette tentative des démocrates de trouver une couverture bipartite pour leurs politiques impopulaires.

La droite apprécie les aides accordées aux sources traditionnelles de financement tant des démocrates que des républicains (les banques et les grandes entreprises) ; mais elle sait qu’elle doit apprécier en secret si elle veut revenir au pouvoir. Elle essaie donc de capter les colères, en adoptant la posture du parti du peuple contre les démocrates corrompus, amis de toujours des financiers, etc. Le peuple américain, qui souffre des coupes budgétaires à tous les niveaux (villes, comtés, états et bientôt nation), d’un chômage qui ne cesse de monter, de la délocalisation de l’industrie depuis trente ans, et de la fin de l’économie de consommation à crédit, connaît une perte de repères politiques. Il n’a pas encore entièrement vu, mais cela va venir, que ces deux partis qui se bagarrent sont les deux faces d’une seule entité, travaillant pour l’intérêt de ceux qui la financent, et non pas pour les salariés et chômeurs.

3) L’Amérique du travail peut-elle miser sur Obama ?

Rappel des faits

Durant sa campagne électorale, Barack Obama parlait de « réconcilier les Américains par-delà leurs différences ». Plus d’un an après son entrée à la Maison-Blanche, alors que le chômage touche 10 % de la population active aux États-Unis, il semble d’abord se soucier de rassembler son propre camp dans une quête de compromis avec les Républicains.

D’après les chiffres officiels, 12,5 millions d’Américains sont actuellement privés d’emploi. En dix huit mois, le taux de chômage a plus que doublé. Pour la plupart des analystes, cette dégradation continue de la situation sociale est l’une des clés pour comprendre la perte, par les démocrates, de leur majorité qualifiée au Sénat, à l’occasion du scrutin du 21 janvier dans le Massachusetts. Paradoxe parmi les nombreux paradoxes des États-Unis, ou conséquence somme toute logique du bipartisme, la colère et les inquiétudes qui montent dans une grande partie de l’opinion américaine, y compris dans l’électorat Démocrate, semblent surtout profiter aux conservateurs, ceux qui font du refus de l’intervention de l’État dans l’économie, le cœur de leur programme.

L’hôte de la Maison-Blanche n’ébranle pourtant pas les fondements du capitalisme. En fait d’intervention politique sur les rouages marchands, il a proposé essentiellement, dans son discours du 27 janvier sur l’état de l’Union, des crédits d’impôts aux PME qui recrutent et des incitations fiscales aux entreprises qui décident d’investir. Et surtout, ces propositions censées répondre au défi du chômage ont été accompagnées de l’annonce de mesures d’austérité en matière sociale, pour le budget 2011. Sur la réforme de la santé, déjà largement vidée de son contenu initial, le président américain dépense son énergie à rechercher des convergences avec les Républicains. Pour étudier les moyens de résorber les déficits publics, il a même récemment mis en place une commission bipartite. Certes, on peut pointer les imperfections du système politique américain et expliquer ainsi qu’Obama n’aurait d’autre choix que de chercher des compromis. Il est certain, en tout cas, que la perte de la majorité qualifiée au Sénat va encore davantage favoriser cette orientation. Mais on peut aussi constater qu’Obama, président autoproclamé du « changement », n’a guère essayé de mobiliser son peuple dans la durée. Et dès le départ, son volontarisme politique est apparu à géométrie variable, selon qu’il s’agissait de servir les grands établissements financiers ou les citoyens.

Source : http://www.humanite.fr/2010-02-20_L...

4) Une relance sans emplois : vers un chômage de masse

Par Jim Cohen, universitaire américain, maître de conférences en science politique à l’université de Paris VIII-Saint-Denis.

Robert Reich, ancien ministre du Travail sous Clinton (1993-1997), aujourd’hui professeur à Berkeley, n’est pas exactement un homme de gauche au sens où nous pouvons l’entendre, on le classerait plutôt parmi les keynésiens de centre gauche. Il est par ailleurs l’auteur de plusieurs ouvrages éclairants sur les mutations du capitalisme (le dernier en date, Supercapitalisme, éd. Vuibert, 2008). Dans ses commentaires récents sur l’actualité, Reich fait un bilan plutôt décourageant de la capacité de l’administration Obama à relever les défis sociaux et économiques qu’elle a à affronter. Le plan de relance adopté début 2009 arrivera au maximum de son effet d’ici quelques mois et commencera à s’épuiser peu après. Avec les indemnités de chômage et les nouvelles dépenses annoncées pour favoriser l’emploi, on peut compter sur une injection de 90 milliards de dollars supplémentaires dans l’économie, mais ces sommes ne suffiront probablement pas, selon Reich, à compenser une baisse drastique de la consommation.

En l’absence de nouvelles dépenses, la situation de l’emploi risque de beaucoup s’aggraver. Depuis le début de la récession fin 2007, l’économie états-unienne a perdu 8,4 millions d’emplois. Pour compenser la croissance démographique, il faudrait, selon Reich, 11 millions d’emplois nouveaux, soit plus de 400 000 emplois par mois, pendant trois ans. Les experts du Council of Economic Advisors prévoient un taux de chômage qui dépasserait les 10 % jusqu’à la fin de l’année et ne descendrait à 9,2 % qu’en 2011. Si le chômage de masse représente un« frein gigantesque à l’économie, sans parler de la souffrance qu’il provoque », il permet aussi aux entreprises, rappelle Reich, de résister aux hausses de salaire et de soigner leurs profits. Mais avec autant de chômeurs, la consommation restera atone et il n’y aura pas de sortie de crise vigoureuse. La volonté politique de s’attaquer au problème semble faire défaut. Obama semble paralysé par ce que Reich appelle le « parti des fâchés à mort ». L’aile droite du Parti républicain (la mouvance Tea Party), qui démonise l’impôt et les autorités qui le lèvent, lance un défi frontal à l’administration.

Curieusement, Robert Reich mêle à ce même « parti des fâchés » un autre courant très différent  : ceux qui ne s’en prennent pas à l’État en tant que tel, mais à l’administration Obama elle-même pour son absence de fermeté face au grand capital, sur des bases qu’on peut appeler de gauche. Il est vrai que du point de vue de l’administration démocrate, ces deux courants présentent quelques ressemblances  : tous deux dénoncent les complicités entre la Bourse et l’État, se méfient de la Fed (Federal Reserve Bank) et s’opposent, bien que pour des raisons différentes, aux accords internationaux de libre-échange. La réponse d’Obama à cette double pression passe par l’annonce de nouvelles mesures pour limiter la taille et les prises de risque des grandes banques, une taxe de responsabilité pour compenser en partie le coût du sauvetage, l’augmentation du taux d’imposition des profits gagnés à l’étranger, la suppression de certains privilèges fiscaux pour les managers des fonds spéculatifs et le non-renouvellement des baisses d’impôts pour les plus riches. En dépit de ces mesures, l’inégalité du système reste criante. On prévoit que 7,1 millions des 7,9 millions des ménages actuellement en retard pour le remboursement de leur prêt hypothécaire vont perdre leur logement si l’État, le même qui a sauvé plusieurs grandes firmes financières de la faillite, ne fait rien pour ces citoyens moins fortunés. Obama cherche moins à forger une stratégie résolue de relance qu’à marcher en équilibre sur une corde raide. Son habileté dans cet exercice politicien peut impressionner certains mais n’est pas à la hauteur de la situation, souligne Reich. Une augmentation sensible et durable du taux de chômage est à prévoir, avec tous les effets sociaux et politiques corrosifs qui peuvent en découler.

Sources  : http://robertreich.blogspot.com/ 
et www.robertreich.org

Laurent Etre


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