LA LEÇON D’HAÏTI (par Pierre Carassus, Combat républicain)

dimanche 7 février 2010.
 

Horreur et désolation…Le séisme qui a frappé la région de Port-au- Prince a fait 170 000 morts selon un premier bilan officiel - sans nul doute très en dessous de la réalité. Et les conditions de vie calamiteuses prévalant dans le pays font craindre maladies, épidémies, malnutrition… La spirale du malheur.

Catastrophe naturelle, dira-t-on. Voire, car si la nature sait se montrer aussi cruelle que généreuse, les conséquences de sa cruauté dépendent pour beaucoup de l’organisation des sociétés humaines. En 1995, un tremblement de terre de la même magnitude n’avait fait « que » 6 437 morts à Kobé, au Japon. En 2008, le terrible séisme du Sichuan, dans le sud de la Chine, avait été suivi d’une mobilisation sans précédent en hommes et en matériel. Aujourd’hui encore, le quart du plan de relance économique adopté par Pékin est consacré à la reconstruction des provinces dévastées.

Mais en Chine comme au Japon, l’existence de l’Etat contraste violemment avec sa quasi-absence en Haïti. Prenant la tête de l’intervention internationale sans que personne ne les y ait conviés, les Etats-Unis se sont empressés de poser dans l’île les bases de l’Etat a minima que définit le modèle néo-libéral : des hommes en armes pour faire régner l’ordre, et une aide humanitaire pour pallier sans y remédier la misère engendrée par le système. Law and order, mais édification d’un Etat républicain, certainement pas. Ainsi va l’Empire…

Telle n’est pas notre conception. Car la République, loin de se réduire à un régime politique excluant le pouvoir d’un seul ou d’une élite, prend vie à travers un Etat où s’incarnent le bien commun et l’intérêt général. Réglementations et fonctionnaires en nombre suffisant pour les appliquer, administrations centrales et décentralisées, et surtout services publics, qui sont la chair de l’Etat républicain : voilà le bouclier humain contre les cataclysmes, en prévention de ceux-ci ou pour reconstruire ce que la nature met à bas.

Que l’on se souvienne de la grande tempête qui s’abattit sur la France en décembre 1999. Les agents des services publics d’EDF et GDF, de France Télécom, des Directions Départementales de l’Equipement, furent unanimement salués pour leur dévouement, la célérité et l’efficacité de leurs interventions. Mais qu’en serait-il aujourd’hui, dix ans après, au terme de privatisations / restructurations des entreprises anciennement publiques et d’une politique délibérée d’appauvrissement des moyens de l’Etat ?

De fait, c’est l’Etat républicain lui-même qui est maintenant ébranlé par un séisme en rien naturel : le néo-libéralisme veut le vider de toute substance, le réduire à la portion congrue des seuls organismes de répression. Et c’est la société toute entière qui commence à sentir les effets de ce tremblement de terre rampant : santé publique à la dérive, éducation nationale amputée chaque année de milliers de postes, bureaux de poste qui ferment, trains, métros ou RER accusant les retards quand ils ne tombent pas en panne, collectivités territoriales dans l’obligation d’assurer de nouvelles compétences dont l’Etat se défait sans leur transférer en totalité les crédits qui le permettraient…

Voilà pourquoi la gauche, si elle veut être fidèle à elle-même, doit faire de la reconstruction de l’Etat républicain la trame centrale de son programme. Aux échéances électorales comme lors de grandes mobilisations nationales, à l’exemple de la récente votation citoyenne pour défendre le service public postal.

« C’est dans le silence des lois que naissent les grandes actions », affirmait imprudemment le marquis de Sade. Deux siècles après lui, on y voit plus clair : c’est en absence de l’Etat que surgissent les grands désastres.


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