Pourquoi qualifiez-vous la loi Nome de « hold-up » ?
FRÉDÉRIC IMBRECHT. Pourquoi cette loi, alors que Bruxelles reconnaît que le marché français de l’électricité est suffisamment ouvert à la concurrence ? Parce que le gouvernement et les concurrents d’EDF, comme Poweo, Direct Énergie ou GDF Suez, constatent que la concurrence ne fonctionne pas en France. Les Français sont restés, dans leur écrasante majorité, fidèles aux tarifs réglementés. Et pour une raison simple : le prix de l’électricité en France est « trop bas » pour que la concurrence puisse se développer. Les entreprises privées qui ne produisent pas ou très peu d’électricité peinent à prendre pied sur le marché, car leurs offres ne sont pas compétitives. Le projet de loi Nome vise donc à surenchérir artificiellement le prix de l’électricité. Or, si le prix de l’électricité en France est historiquement faible, c’est en raison du choix qui a été fait de développer un parc nucléaire qui fournit aujourd’hui 80 % de la consommation. La loi Nome est un hold-up, parce que l’on va offrir un quart de la production, que les Français ont payée avec leur facture, à Poweo, Direct Énergie et GDF Suez pour qu’ils puissent réaliser des profits au seul bénéfice de leurs actionnaires.
En quoi la sécurité d’approvisionnement en électricité est-elle menacée par cette loi ?
FRÉDÉRIC IMBRECHT. Dans le nucléaire, le retour sur investissement est beaucoup plus long. Le nucléaire nécessite de colossaux investissements et s’amortit sur le long terme. Or, la marge que réaliseront les concurrents d’EDF ne sera pas utilisée pour investir dans les moyens de production d’électricité. D’autre part, ce nouveau dispositif risque d’amener EDF à reconsidérer sa stratégie. Pourquoi investir aujourd’hui dans des moyens de production, si demain ce sont des sociétés concurrentes qui en tirent bénéfice ? Cette loi menace donc la sécurité d’approvisionnement qui est déjà, depuis plusieurs années, fragilisée par le sousinvestissement. Les logiques d’ouverture du marché et de privatisation des entreprises du secteur ont en effet poussé à ce que les investissements financiers prennent le pas sur les investissements dans l’outil de production. Rappelons que, cet hiver, à plusieurs reprises, a été évoquée la possibilité de coupures, alors que l’épisode de froid qu’a connu la France n’a pas été plus sévère qu’en 2008 et que, du fait de la crise économique et d’une moindre consommation des entreprises, la consommation globale a reculé.
Pourquoi défendez-vous la constitution d’un pôle public de l’énergie ?
FRÉDÉRIC IMBRECHT. La concurrence a démontré qu’elle n’était pas capable de garantir la sécurité d’approvisionnement et qu’elle remet en question le droit à l’énergie. À l’opposé de ce modèle, nous proposons de regrouper l’ensemble des entreprises du secteur dans un pôle public dont la maîtrise devra être assurée par le Parlement, tant dans la définition des objectifs que du cahier des charges, auxquels les entreprises devront se soumettre. Ce pôle devra associer usagers et élus locaux jusqu’à en faire les décideurs. La création de ce pôle préfigurerait, à nos yeux, ce qui pourrait être demain une nouvelle nationalisation du secteur énergétique.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR P.-H. L.
http://www.humanite.fr/EDF-la-flamb...
Le gouvernement veut livrer un quart de la production électrique nationale d’EDF aux intérêts privés. C’est ce que révèle une lettre du premier ministre, François Fillon, adressée à la commissaire européenne à la Concurrence, Neelie Kroes, en date du 19 septembre 2009. Dans cette missive que s’est procurée l’Humanité, le chef du gouvernement décrit précisément une nouvelle organisation du marché de l’électricité (Nome). Cette nouvelle étape dans la libéralisation du secteur devrait être franchie avec l’adoption d’une proposition de loi après les élections régionales. Mardi, le ministère de l’Écologie et de l’Énergie annonçait « une consultation » pour élaborer ce texte. Consultation, ou plutôt simulacre de consultation. Outre le courrier de François Fillon, l’Humanité s’est procuré le projet de loi qui confirme que les choix du gouvernement semblent d’ores et déjà arrêtés.
Main basse sur la rente nucléaire
La concurrence dans le secteur de l’électricité connaît un bide. Sur un total de 29,7 millions de sites, seuls 692 000 avaient choisi une offre de marché au 31 décembre 2008, précise la Commission de la régulation de l’énergie (CRE) dans son dernier rapport d’avril 2009. Un piètre résultat, qui n’aurait même sans doute jamais été atteint sans la possibilité pour l’usager de revenir au tarif réglementé en cas de mauvaises surprises après avoir tenté sa chance sur le marché. Au 31 décembre 2007, avant la mise en oeuvre de ce droit, le nombre de sites ayant renoncé au tarif réglementé n’était que de 31 000. Cet échec tient en grande partie à l’incapacité des fournisseurs privés d’électricité à concurrencer EDF. Pour alimenter leurs clients, ceux-ci se comportent comme des courtiers. Ils achètent l’électricité sur le marché de gros et la revendent ensuite en espérant réaliser une plus-value. Malheureusement pour ces spéculateurs en herbe, les prix du marché sont très supérieurs aux coûts de production d’EDF. Pour mettre fin à « ces distorsions de concurrence », le gouvernement a donc décidé d’accorder un accès à la production nucléaire aux concurrents d’EDF. Le projet de loi donnera pouvoir à la CRE de leur octroyer jusqu’à 100 TWh, soit un quart de la production annuelle d’EDF. Ce faisant, le gouvernement transférera une partie de « la rente nucléaire » à ces groupes privés. Difficile de donner une estimation de ce cadeau, tant EDF est peu disert sur le sujet. Rappelons néanmoins que, sur 34,897 milliards d’euros de chiffre d’affaires réalisé au premier semestre 2009, 18,2 milliards ont été réalisés en France et que le bénéfice du groupe a atteint 3,1 milliards d’euros. En permettant à des entreprises privées de réaliser de juteux bénéfices en usant de moyens publics de production, le gouvernement menace la sécurité d’approvisionnement. En effet, il y a fort à parier que la part de « la rente nucléaire » dont vont s’accaparer les concurrents d’EDF servira à payer de colossaux dividendes, plutôt qu’à un accroissement des capacités de production.
De lourdes menaces sur l’emploi
François Fillon promet à la Commission européenne la suppression des tarifs réglementés pour les entreprises en 2015. Alors que le prix moyen européen du MWh pour les entreprises était de 101,1 euros au 31 décembre 2008, son prix en France était seulement de 60 euros. En supprimant les tarifs réglementés pour les entreprises en 2015, le gouvernement leur promet donc une hausse de leur facture de presque 50 %, à consommation égale et si les prix restent stables au niveau européen. Ce qui est loin d’être garanti. Une telle flambée des prix ne peut que mettre en péril les entreprises, en particulier celles dites électro-intensives (cimenteries, papeteries, sidérurgie, fonderie d’aluminium…) et les centaines de milliers d’emplois qu’elles génèrent directement en France. Risque de délocalisation, suppressions d’emplois et pressions sur les salaires en seront les conséquences. Rappelons qu’en 2006, après la censure du Conseil constitutionnel, le gouvernement avait dû créer un tarif retour pour les entreprises qui, piégées par une offre de marché, avaient vu leur facture s’envoler.
Flambée des prix pour les usagers
Les tarifs réglementés de l’électricité pour les particuliers, dont l’existence n’était garantie que jusqu’au 31 décembre prochain, seront maintenus au moins jusqu’en 2015, s’empresse de rassurer le gouvernement. Difficile en effet de les supprimer, alors que 97 % des usagers y restent fidèles. Pour les mettre à bas, le gouvernement a trouvé la parade. Dans son courrier à la Commission européenne, François Fillon explique que les modalités de leur fixation seront modifiées. Dorénavant, c’est la Commission de régulation de l’énergie qui les fixera, et non plus l’État. En période de baisse du pouvoir d’achat et alors que les promesses en la matière du candidat Nicolas Sarkozy n’ont pas été tenues une fois son élection décrochée, ce dispositif offre l’avantage de ne pas faire rejaillir sur le gouvernement la responsabilité d’une hausse importante des prix et l’impopularité qui va avec. Plus de débat, donc, sur l’évolution des tarifs, mais plus de contrôle non plus. Et d’autant moins que leur mode de fixation intégrera désormais « une référence au prix du marché » et qu’ils ne seront plus calculés sur la seule base des coûts de production, de transport et de distribution. Cette disposition devrait permettre d’aligner progressivement les tarifs réglementés sur ceux du marché. La flambée guette donc ces tarifs réglementés. Alors que le prix moyen du MWh pour les particuliers atteignait en Europe 161,1 euros au 31 décembre 2008, son prix en France dépassait à peine les 110 euros (source CRE). Malgré cette faiblesse relative, 3,8 millions de familles, soit 10 millions de personnes, sont en état de « précarité énergétique » et peinent à s’éclairer ou à se chauffer correctement. Combien seront-ils si leur facture d’électricité augmente de 40 % ?
PIERRE-HENRI LAB
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