L’identité des langues en mouvement perpétuel

mardi 26 janvier 2010.
 

Une étude scientifique montre comment le traitement par l’Union européenne de ses minorités linguistiques est ethnicisé et perverti par une vision identitaire de la culture.

LANGUES À L’ENCAN, 
UNE NOUVELLE EUROPE 
DES LANGUES  ? de Cécile Canut, Diiana Bodourova et Elina Caroli.
Michel Houdiard Éditeur, 2009,
180 pages, 20 euros.


Voici une réflexion critique sur les méfaits d’une conceptualisation inadéquate d’une « identité » linguistique ou ethnique qui serait définie seulement par sa pureté retrouvée et sa différence aux autres. C’est ce que chacune des chercheuses illustre dans l’étude de trois situations européennes complexes. D’abord, celle de la renaissance actuelle dans les Pouilles, d’une région, la Grecia Salentina, s’identifiant par une langue, le griko, proche du grec actuel, une culture et une musique. Tout cela pour devenir la source d’une nouvelle industrie touristique qui a plus à voir avec la publicité qu’avec un souci d’émancipation. Puis, l’exemple des Tsiganes, dont on sait combien ils ont été persécutés par le fascisme et combien l’existence de beaucoup d’entre eux continue à être précaire dans notre Europe supposée démocratique. Mais, cela dit, retrouver de la parenté, des « airs de famille », entre tous ceux qui se reconnaissent comme des Tsiganes (Rroms) n’exclut pas de prendre en compte que ces éléments communs se diversifient, en particulier selon les générations, les lieux, les métiers, les diverses façons de parler ou d’être.

Enfin, l’exemple de la minorité pomak, qui partage la langue de la majorité bulgare, chrétienne, et la religion (l’islam) de la minorité turque. Les auteures décrivent tous les avatars de ce groupe dont les membres ont tantôt été identifiés comme seulement bulgares à partir de leur langue ou d’une « position de classe » et qui maintenant deviennent une ethnie, caractérisée par une supposée langue spécifique. Dans les trois cas, une politique européenne de reconnaissance des minorités aboutit à figer des différences. L’ouvrage est le fruit d’une réflexion bien antérieure au débat que l’on a voulu nous imposer sur l’identité française. Mais l’analyse présentée vaut tout autant dans le cas de nations plus anciennement reconnues. D’abord, les diversités, les conflits, les appartenances à d’autres groupes – professionnels, culturels – caractérisent tout autant ou plus que notre identité nationale, la façon d’être et de changer de chacun d’entre nous. Tout comme, au-delà de traits de ressemblance qui permettent de reconnaître, plus ou moins, une langue (plus particulièrement écrite), l’usage du langage permet à chacun de manifester ses diverses appartenances, son style, comme de devenir sans cesse différent de lui-même. Isoler et valoriser l’identique, c’est favoriser la part de l’inerte. D’où l’aspect aberrant de la volonté d’intégration, si elle signifie « retrouver partout la même langue et les mêmes façons de penser ». C’est l’éloge, scientifiquement étayé, du divers et du mouvement qui fait toute la richesse de cet ouvrage.

Frédéric François, linguiste


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