Missak : un grand roman de Didier Daeninckx (2 articles)

jeudi 24 mai 2018.
 

1) « MISSAK » roman, livre historique, biographie ?

La vie de Missak Manouchian est revisitée par un journaliste, en février 1955, alors que l’on s’apprête à inaugurer la première rue qui portera le nom de « Groupe Manouchian » à Paris.

C’est donc un roman, mais en le préparant, j’ai découvert, par hasard, les archives inédites de Missak Manouchian, et mon roman est nourri de la lecture de documents qui bouleversent totalement l’image qu’on s’était faite du chef des détachements FTP-MOI parisiens.

Vous pouvez nous donner un exemple ?

Oui. Chacun sait que Missak a écrit une dernière lettre, adressée à Mélinée, et dont Aragon s’est inspiré pour écire son magnifique poème mis en musique par Léo Ferré. Mais il existe une avant-dernière lettre adressée, elle, à la sœur de Mélinée, Armène Assadourian. Elle recèle une phrase énigmatique qui m’a conduit sur la trace d’un personnage incroyable. Il s’appelle Armenak Dav’Tian, et c’est un dirigeant de la république soviétique d’Arménie. Entré en dissidence sous Staline, il s’enfuit avant d’être exécuté, mène une vie aventureuse en Iran, en Inde, avant de rejoindre Paris.

Manouchian connaissait-il son parcours ?

Oui. Missak Manouchian était pleinement informé de cette trajectoire. Il intègrera pourtant Dav’Tian en 1943 dans le détachement arménien, bravant ainsi toutes les consignes politiques de la direction de son parti.

Ce n’est là qu’un des nombreux éclairages que m’ont apporté ces archives privées inédites, que j’ai complétées en consultant des documents encore non classés et non communicables émanant des archives du PCF. Le roman avance en prenant appui sur ces blocs de réalité.

Source : http://www.amnistia.net/biblio/litt...

2) L’énigme de l’Affiche rouge  : Daeninckx rouvre l’enquête

Disons-le tout net, Missak est un livre dérangeant. Pour tous ceux – j’en fus – qui se cantonnèrent longtemps, s’agissant d’un des dirigeants du réseau immortalisé paradoxalement par la sinistre Affiche rouge, à l’image d’Épinal, fidèle dans les grandes lignes à la réalité mais qui faisait litière d’un arrière-plan infiniment plus complexe. Dérangeant aussi pour ceux qui souhaiteraient y lire que le Parti communiste aurait sacrifié la MOI. Dérangeant enfin pour d’autres que semblent gêner l’évocation de Dav’tian, dit Manouchian, dont les convictions trotskistes n’avaient pas empêché Manouchian de le considérer comme un des siens.

La figure exemplaire d’un homme véritable

Une nouvelle fois, c’est à un journaliste, comme dans La Mort n’oublie personne, que Daeninckx confie le rôle de découvreur. Louis Dragère, chargé en 1955 par la direction du Parti communiste, alors que se prépare l’inauguration d’une rue à l’honneur des partisans FTP-MOI, de retracer le parcours de ce presque inconnu afin de désarmer rumeurs, allusions, accusations qui pourraient émaner de milieux hostiles. Une mission qui se révélera d’emblée plus complexe qu’il ne l’avait imaginée. Une rencontre avec Aragon, en train de composer son bouleversant Strophes pour se souvenir et la découverte, dans une copie de la dernière lettre de Manouchian, d’un passage sibyllin absent de la version habituelle, évoquant «  celui qui nous a trahis et ceux qui nous ont vendus  ». Et d’autres, où Dragère ira de surprise en surprise. Celle d’Armène, la sœur de Mélinée, de Charles Tillon, chef des FTP, écarté de ses fonctions au bureau politique du PCF en même temps que Marty, d’un ami de Dav’tian-Manouchian, le responsable trotskiste Roland Filiatre, et d’Henri Krasucki, pas encore secrétaire général de la CGT.

Autant d’occasions où s’ébranlent les certitudes de Dragère sans que soit remis en question son engagement, et qui confirment toutes le caractère d’exception de ces hommes exilés, traqués, «  amoureux de vivre à en mourir  », ce qui sera le sort de la plupart d’entre eux. De ce roman noir dont la part de fiction est toujours vraisemblable et l’aspect historique frappé au coin de l’honnêteté et d’une recherche scrupuleuse, on ne peut que louer l’habileté à faire surgir, par touches successives, la figure exemplaire d’un homme véritable, dont l’itinéraire fut jalonné par la tragédie et l’engagement sans concessions. On louera en outre une nouvelle fois le souci du détail, l’exactitude de l’information, la sensibilité avec laquelle Daeninckx fait revivre des Manouchian, des Rayman ou des Krasucki et ce talent inimitable pour recréer des lieux aujourd’hui quasiment disparus qui sont ceux de l’histoire avec un grand H, comme ceux de sa propre histoire.

Avec Missak, Daeninckx vient d’écrire un roman pétri d’émotion, de passion, mais aussi de rigueur, qui est aussi une invite à tous les communistes, quelle que soit l’organisation à laquelle ils appartiennent, ou n’appartiennent plus, à se réapproprier l’histoire de ces militants de la vie, pour y puiser l’énergie nécessaire aux combats de notre temps et l’indispensable lucidité de l’autocritique.

Roger Martin


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