Hongrie 1956 : Appel du Conseil central des usines "Pour une Hongrie socialiste, indépendante et démocratique, contre toute tentative de restauration capitaliste"

samedi 28 octobre 2006.
 

Comme nous l’avons vu dans notre premier article, les "conseils ouvriers" ont joué un rôle majeur dans le mouvement. Parmi leurs nombreux "appels", nous mettons en ligne ici un des derniers (27 novembre), émanant du Conseil Central des usines et des arrondissements au moment où les troupes russes occupent le pays et où Nagy a disparu. Il se prononce clairement contre la restauration du capitalisme, pour la défense des revendications ouvrières et démocratiques, pour un ordre social et économique socialiste.

Camarades ouvriers,

Le Conseil Central Ouvrier des usines et des arrondissements du Grand-Budapest élu démocratiquement par la base vous adresse un appel et des informations dans le but de resserrer encore nos rangs et de les rendre plus unis et plus forts.

On sait que le Conseil Central Ouvrier du Grand-Budapest a été créé sur l’initiative des grandes entreprises, le 14 novembre dernier, afin de coordonner le travail des conseils ouvriers des usines et de se faire le porte-parole commun de leurs revendications. Depuis sa création, le conseil central a, sans opportunisme, présenté aux instances les plus diverses les revendications des ouvriers du Grand-Budapest et, bien que les résultats ne soient pas suffisants, loin de là, nous pouvons néanmoins affirmer qu’au cours de ces négociations nous n’avons à aucun moment abandonné les objectifs essentiels de notre glorieuse révolution nationale du 23 octobre.

Ainsi que nous l’avons toujours fait, nous affirmons une fois de plus que nous avons reçu notre mission de la classe ouvrière. Fidèles à cette mission, nous défendons, fût-ce au prix de notre vie, nos usines et notre patrie contre toute tentative de restauration capitaliste. Nous proclamons en même temps notre volonté d’édifier l’ordre social et économique dans une Hongrie indépendante et à la manière hongroise. Nous n’abandonnerons aucune des revendications de la révolution. Nous considérons que le travail est la base de la société. Nous sommes des ouvriers et nous voulons travailler. Voilà pourquoi nous avons convié au Palais des Sports à Budapest, pour le 21 novembre dernier, les représentants de la province, des départements, afin que, à la réunion d’un conseil ouvrier national, nous discutions des questions les plus importantes qui nous préoccupent et notamment de la possibilité d’une reprise du travail...

Les usines se trouvent entre nos mains, entre les mains des conseils ouvriers.

Afin d’augmenter encore nos forces nous pensons que, en vue de mesures et actions unies, la réalisation des tâches suivantes s’impose :

1) Dans tout arrondissement et dans tout département où un conseil ouvrier d’arrondissement ou de département n’a pas encore été constitué, ces organismes sont à former d’urgence au moyen d’élections démocratiques organisées à la base. Les usines importantes et d’abord celles qui se trouvent dans les villes centrales des départements devront prendre l’initiative de constituer des conseils centraux.

2) Tout conseil central d’arrondissement et de département doit se mettre immédiatement en rapport avec le Conseil Central Ouvrier du Grand-Budapest (15-17, rue Akacfa, téléphone 422-130). Le président du conseil central ouvrier est Sándor Rácz, président du conseil ouvrier de l’usine Standard (Beloiannis) ; son adjoint est György Kalocsai, délégué du conseil ouvrier des Huileries Végétables de Csepel ; son secrétaire est István Babai, président du conseil ouvrier de la Compagnie des Tramways de Budapest.

3) L’une des tâches les plus importantes des membres des conseils ouvriers d’usines consiste à s’occuper, non seulement de l’organisation du travail, mais aussi à élire d’urgence les conseils ouvriers définitifs. Au cours de ces élections, nous devons montrer la même énergie pour combattre l’agitation de la dictature rákosiste que celle de la restauration capitaliste. Les conseils doivent être composés d’ouvriers honnêtes au passé irréprochable ! Au sein des conseils, les ouvriers devront posséder une majorité d’au moins deux tiers.

En ce qui concerne les attributions des conseils ouvriers, nous ne saurions être d’accord avec les ordonnances du Conseil du Présidium Suprême promulguées à ce sujet. Nous maintenons que des conseils ouvriers doivent être formés dans toutes les compagnies de transports (chemins de fer, tramways municipaux, compagnies d’autobus), ainsi que dans toutes les entreprises où l’ensemble des travailleurs le réclame. Lors de l’entretien du 26 de ce mois, le président du Conseil des Ministres a promis de soumettre notre position au Conseil des Ministres. En attendant, nous invitons les conseils ouvriers créés dans de telles compagnies à poursuivre leur activité. Par ailleurs, nous ne saurions être davantage d’accord avec le décret du Conseil du Présidium Suprême qui définit la compétence des Conseils Révolutionnaires créés dans les ministères et les grandes administrations. Nous voulons, en effet, un renforcement considérable de l’autorité de ces conseils.

Pour ce qui est de la personne des directeurs, nous pensons que ces derniers doivent être élus par les conseils eux-mêmes après déclaration de candidature. L’entrée en fonction d’un directeur ne devrait pas être subordonnée à l’accord du ministre ou du ministère. Nous invitions les conseils ouvriers à mettre tout en œuvre pour la réalisation de notre position ; à ne pas accepter des dirigeants imposés aux usines, qui dans le passé ont fait la preuve de leur incompétence et de leur éloignement du peuple. Il faudra se méfier des arrivistes au passé douteux.

4) Par la suite, il est très important que l’élection des nouveaux comités d’usine soit assurée par les conseils ouvriers représentant la volonté authentique de la classe ouvrière. Les ’syndicats libres", dont le nombre augmente sans cesse actuellement, tentent de s’assurer une popularité en formulant des revendications de salaires maximalistes. Il convient de préciser que les dirigeants de ces "syndicats libres" n’ont pas été élus par les ouvriers, mais désignés à l’époque rákosiste, époque à laquelle ils se sont compromis.

Les syndicats essaient actuellement de présenter les conseils ouvriers, comme s’ils furent constitués grâce à la lutte des syndicats. Il est superflu de préciser que c’est là une affirmation gratuite. Seuls les ouvriers ont combattu pour la création des conseils ouvriers et la lutte de ces conseils a été dans bien des cas entravée par les syndicats qui se sont bien gardés de les aider. Nous pensons que les ouvriers ont besoin d’organisations qui défendent leurs intérêts, de syndicats et de comités d’usine. Mais de ceux qui sont élus par la base avec des méthodes démocratiques, de façon que leurs dirigeants soient d’honnêtes représentants de la classe ouvrière. Voilà pourquoi il importe que les comités d’usine soient élus de la façon la plus démocratique, une fois les conseils ouvriers définitivement constitués, afin que la composition personnelle de ces comités fournisse toutes les garanties pour la réalisation des objectifs de la révolution.

Nous sommes hostiles au maintien des permanents syndicaux rétribués. En effet, l’activité aussi bien au sein d’un comité d’usine qu’au sein d’un conseil ouvrier doit être un travail social bénévole.

Nous ne voulons pas vivre de la révolution et nous ne tolérerons pas que qui ce soit essaie d’en vivre. Nous estimons que l’adhésion aux syndicats doit être libre d’autant plus qu’on ne saurait préserver d’une autre manière les syndicats du danger de la bureaucratisation et de l’éloignement du peuple.

Nous protestons contre la thèse des "syndicats libres" récemment constitués d’après laquelle les conseils ouvriers devraient être uniquement des organisations économiques. Nous pouvons affirmer que les véritables intérêts de la classe ouvrière sont représentés en Hongrie par les conseils ouvriers et que, d’autre part, il n’existe pas actuellement un pouvoir politique plus puissant que le leur. Nous devrons œuvrer de toutes nos forces au renforcement du pouvoir ouvrier.

5) Les conseils ouvriers d’arrondissement et de département devront rentrer immédiatement en contact avec l’organisme distributeur compétent de la Croix-Rouge. Ils devront envoyer leurs délégués à son siège central afin d’assurer une répartition équitable des denrées et des médicaments. Il est important que des experts figurent parmi les délégués.

6) Dans le but d’empêcher toute inflation, les conseils d’arrondissement et de département devront organiser le contrôle public des marchés et des halles centrales, afin que les travailleurs empêchent l’augmentation des prix. Ces contrôleurs devront se présenter régulièrement dans les lieux de vente, clouer au pilori les auteurs d’infractions et, en outre, signaler à qui de droit tout abus.

7) Les conseils d’arrondissement et de département devront faire tout leur possible pour informer l’opinion publique. Toutes les fois que la chose sera faisable, ils demanderont que leur soit réservée une place dans la presse locale. Par ailleurs, ils devront fournir constamment des informations objectives aux travailleurs des usines et des entreprises. Pour cette raison, les conseils centraux des grandes usines doivent faire le nécessaire pour que cet appel soit distribué dans tous les ateliers. Ces revendications ayant été formulées à plusieurs reprises, le président du Conseil des Ministres a promis qu’il soumettrait, le 27 courant, au Conseil des Ministres, notre revendication au sujet de l’obtention d’une licence pour la création d’un quotidien. Cette demande une fois satisfaite, le problème de l’information serait résolu.

Pour conclure,

nous dirons qu’aujourd’hui il est nécessaire que les conseils ouvriers, avec une unité et intransigeance complètes servent - même avec la reprise du travail - la cause de la révolution du 23 octobre. Nous avons fait le premier pas, c’est au gouvernement de répondre. Tout cela peut durer plusieurs mois. Il nous faudra veiller avec vigilance, pendant tout ce temps-là, car la clique compromise de Rákosi et Géró essaie de pêcher en eau trouble et de restaurer son régime. Nos rangs se renforcent de jour en jour. Nous avons derrière nous des écrivains honnêtes qui ont joué un rôle important dans la préparation de la révolution, des artistes, des musiciens et le Conseil Révolutionnaire des Intellectuels Hongrois qui groupe toutes les organisations d’intellectuels. Une unité nationale, encore jamais vue, qui rassemble tous les Hongrois honnêtes, se constitue actuellement à la suite de nos combats. Regroupons-nous encore davantage, resserrons encore nos contacts entre conseils ouvriers et continuons à combattre avec une vigilance révolutionnaire pour notre objectif sacré, une Hongrie socialiste, indépendante et démocratique, édifiée selon nos caractéristiques nationales.

Budapest, le 27 novembre 1956


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message