Identité nationale : le grand Raoult (billet d’humeur)

dimanche 29 novembre 2009.
 

En plein débat sur l’identité nationale, on pourrait se demander si au fond, être français aujourd’hui, ça ne se résumerait pas à avoir le droit de…fermer sa gueule. C’est en tout cas ce que semble affirmer Eric Raoult lorsqu’il s’offusque des propos tenus récemment par Marie Ndiaye et en tire la conclusion, rien que ça, qu’il faudrait mettre en place un "droit de réserve" pour les lauréats du Goncourt.Telle une Geneviève de Fontenay demandant à ses miss d’être le parangon de la sainte-nitoucherie, voilà que M.Raoult s’est donné pour mission de bâillonner les artistes une bonne fois pour toutes. Parce qu’il ne les aime pas les artistes, Monsieur Raoult.Il faut dire qu’un artiste, ça s’exprime, ça se rebelle… et surtout ça s’entend ! De quoi froisser les chastes oreilles de cet homme si délicat pour qui, plus de trois jeunes en centre ville, c’est trop bruyant. L’affaire Ndiaye est loin d’être un coup d’essai pour le député. A plusieurs reprises il a eu l’occasion de déverser son fiel à l’égard des « saltimbanques ».

En 1996, il balayait de la main l’engagement d’Emmanuelle Béart en faveur des sans-papiers de Saint-Bernard, opposant « l’émotion » suscitée par les artistes à la nécessaire fermeté du gouvernement. En 2006, il est l’auteur d’une proposition de loi visant à interdire la banalisation du blasphème religieux par voie de caricature ; l’an dernier, il franchit une nouvelle étape de cette croisade : alors que le maire UMP de Pavillons-sous-Bois demande qu’une chanson de Bertrand Soulier soit retirée de la sélection « Zebrock » (une opération culturelle destinée aux collégiens de Seine-Saint-Denis), jugeant qu’elle portait préjudice à l’image de sa commune, Raoult va encore plus loin en demandant une enquête de fonctionnement sur l’association porteuse du projet Zebrock. Mais s’il s’évertue à faire taire ceux qu’il estime insolents, Monsieur Raoult ne se prive pas d’asséner les petites phrases de mauvais goût : « Je suis le porte-parole de la banlieue et des hétéros », « Le Raincy, c’est pas Bamako ». Ou de donner des conseils avisés à ses voisins, comme lorsqu’il suggère au maire de Clichy-sous-Bois, de baptiser un espace « Michael Jackson » pour valoriser l’image de sa ville.

Parce que dans le petit monde de Raoult 1er, pour qu’une parole soit bonne à dire, il faut qu’elle soit conforme à… ses propres idées. Et l’idée de Raoult, c’est une France lisse et au pas, dans laquelle aucune tête ne dépasse, et surtout pas une tête colorée,frondeuse ou… de gauche ! Il l’a déclaré : il aimerait que toutes les villes du 93 ressemblent au Raincy. Et pourquoi pas toutes les villes de France ? Ainsi irait notre pays, où le taux de logement social plafonnerait à 4.5 %, où les jeunes resteraient gentiment chez eux, où les écrivains ne diraient pas de mal du gouvernement… On pourrait se contenter de rire aux pitreries sordides d’un clown pathétique, malheureusement E. Raoult n’est que le guignol outrageux qui masque une réalité inquiétante : en France, aujourd’hui, la contestation est priée de rester au vestiaire.

Que l’on fasse grève, certes, mais sans déranger personne... que l’on soit mécontent, oui, mais tout bas. Tout concourt à nous faire taire, tout pousse à la résignation. Comme si la France entière devait s’en tenir à un devoir de réserve...

Juliette Prados


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