Contribution de Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de Gauche à l’élection présidentielle, dans Les Cahiers de la Revue Défense nationale.
Penser la défense de la France implique l’idée que l’on se fait du monde. J’affirme qu’une bifurcation de l’histoire humaine mûrit au cœur des faits qui se donnent à voir aujourd’hui de façon parcellaire.
Si les États-Unis d’Amérique ne parviennent pas à briser l’euro et à isoler la Chine – deux questions qui sont liées – leur dette sera insolvable. Alors l’ordre des puissances basculera, ne leur laissant qu’un unique avantage : leur supériorité militaire faites de 700 bases réparties sur les cinq continents. Les États-Unis sont donc le principal fauteur de troubles potentiels de la décennie à venir, comme ils l’ont été de celle écoulée, au cours de laquelle ils ont envahi deux pays et multiplié les provocations face à la Chine et la Russie. Ce danger est, à cette heure, supérieur aux risques de la dissémination nucléaire qu’il aggrave.
L’autre aspect de cette bifurcation vient du changement climatique et de son impact sur l’accès aux ressources essentielles. Pensons aux effets des mouvements massifs de population que cette situation provoquera. Pensons aux destructions des centres névralgiques de la planète par des catastrophes climatiques. Enfin envisageons la combinaison de tels événements avec les conséquences de l’incurie libérale dans la gestion des risques.
La politique actuelle est à l’inverse de ce qu’il faudrait faire. Ainsi quand est approfondie l’osmose avec l’Otan, qui nous enchaîne aux lubies bellicistes des États-Unis d’Amérique. Ainsi quand sont encouragées les politiques économiques qui augmentent la dépendance aux routes mondiales d’approvisionnement. Les mêmes qui interdisent la souveraineté dans les domaines sensibles comme l’alimentation, l’énergie, les productions industrielles de début de chaîne. Les mêmes qui conduisent à la construction du grand marché transatlantique (GMT) prévu pour 2015.
La politique de défense que je propose est altermondialiste : elle encourage l’émergence d’un monde multipolaire, libéré de toute forme d’hégémonisme. La France doit se porter aux avant-postes d’une nouvelle alliance mondiale. J’affirmerai donc une option préférentielle pour l’action avec les pays émergents. La condition initiale de cette politique est la récupération de notre souveraineté militaire.
La doctrine de défense qui s’articule à cette vision du monde est strictement défensive. Pour garantir une sécurisation absolue de notre territoire, elle combine les moyens de défense populaire et professionnelle, la capacité de neutralisation de l’adversaire avec une priorité aux armes non létales telle que la destruction satellitaire, la désorganisation de ses réseaux d’information et de pilotage, la fraternisation des populations. Cette politique est raccordée à un renouveau de la diplomatie française dans l’ensemble des organes de l’ONU, seule instance légitime de sécurité collective. Il faut donc disposer de nos propres moyens de projection pour les mettre à son service.
L’acte fondateur de cette stratégie sera la sortie de l’Otan et le refus de toute politique européenne de défense en sous-traitance de celle des États- Unis ou de quoique ce soit qui autoriserait un contrôle de nos décisions, de nos moyens d’action ou une limitation de leur usage souverain. Servir la paix, c’est d’abord rompre avec l’aventurisme et l’atlantisme dogmatique du Président actuel, qui a compromis notre indépendance. Ma vision stratégique s’oppose en tous points à la sienne. Si je suis élu président de la République, elle sera précisée dans un nouveau Livre blanc au terme d’un débat public et populaire. Il répondra aux deux questions déjà posées par Jaurès : « Comment porter au plus haut, pour la France et pour le monde incertain dont elle est enveloppée, les chances de la paix ? Et si, malgré son effort et sa volonté de paix, elle est attaquée, comment porter au plus haut les chances de salut, les moyens de la victoire ? ».
Sortir de l’Otan
L’Otan n’est plus rien d’autre que le bras armé de l’intérêt des États- Unis. Sa mue en alliance globale doit être stoppée nette. La France doit s’engager à développer la sécurité collective dans le seul cadre de l’ONU. Le président Sarkozy a décrété la réintégration complète de la France dans l’Otan. Je réfute ce choix. D’autres, comme François Hollande se bornent à vouloir « redonner du sens à notre présence dans le commandement intégré de l’Otan ». Ces choix sont synonymes d’allégeance à une vision du monde inacceptable.
Les 20 et 21 mai se tiendra à Chicago la réunion des chefs d’État des pays membres de l’Otan. Si j’y représente la France, j’annoncerai sa sortie du commandement intégré, préalable à son retrait de l’alliance. J’affirmerai la reconnaissance de la seule légitimité de l’ONU en matière de sécurité collective. Je décréterai le rapatriement complet de nos soldats d’Afghanistan. Puis je commencerai les contacts diplomatiques en vue d’une nouvelle alliance de coopération militaire mondiale pour la sécurité collective à la disposition de l’ONU.
Contre une Europe de la défense atlantiste
L’Europe de la défense n’a jamais été pensée en dehors du cadre strictement atlantiste réaffirmé dans le Traité de Lisbonne. Le concept de Smart Defence est le dernier avatar de cette vision. Sous prétexte de mutualisation, il prévoit un transfert de coûts des États-Unis vers leurs auxiliaires européens et une spécialisation incapacitante pour ces derniers. Nous n’avons pas à cofinancer le redéploiement étasunien en Asie-Pacifique, face à la prétendue « menace chinoise ». Aussi souhaitable soit-elle, la construction d’une force européenne indépendante de l’Otan est donc pour l’heure une chimère. Il serait irresponsable de lui sacrifier notre capacité de défense souveraine.
Pour une ONU réformée et renforcée
Dans le monde multipolaire qui se dessine, l’ONU doit avoir une place centrale, y compris au plan militaire. Sauf impératifs de défense de la Patrie, je prends l’engagement qu’aucun soldat français ne sera envoyé en opération extérieure, s’il n’en a pas été décidé ainsi dans le cadre de l’ONU, en toute indépendance par rapport à l’Otan. Trop souvent rabaissée, l’ONU doit affirmer sa crédibilité. Elle doit être l’organe de promotion des politiques garantes de l’intérêt général des peuples. À commencer par le désarmement nucléaire multilatéral.
Je travaillerai donc à sa réforme. L’urgence est à la doter d’une capacité de commandement militaire autonome. La tâche est immense mais la France a les moyens d’y contribuer.
Pour une défense nationale souveraine
Une France mise au service de la paix ne peut être privée des moyens de se défendre. Mon propos n’est pas d’augmenter le budget militaire de la France. Mais je n’envisage pas sa réduction. Elle paralyserait nos capacités opérationnelles. Je déciderai un moratoire sur la diminution des effectifs. Là aussi, il faut en finir avec la RGPP. Encadrés par de nouvelles directives, les moyens de la défense combineront, pour un temps, dissuasion nucléaire, capacités conventionnelles repensées et renouvelées, pôle public de l’armement.
Reconstruire les liens entre l’armée et la Nation
Je ne veux plus de l’usage de l’armée comme force de police. Elles ne correspondent ni à ses prérogatives, ni à sa culture, ni à ses moyens. Sous mon autorité, la Gendarmerie nationale reviendra sous tutelle du ministère de la Défense. Les conditions du dialogue social dans les armées ne permettent pas aux militaires de s’adresser à leur ministre grâce à des représentants légitimes. Cette question sera mise en débat dans l’Assemblée constituante.
Je rappelle que la conscription est seulement suspendue et non supprimée. Le lien entre la Patrie républicaine et son armée ne doit donc jamais être compromis ! J’engagerai donc aussi une réflexion sur la réserve, dans ses composantes citoyennes et opérationnelles. Elle est le trait d’union entre l’armée et la nation. C’est aussi un vivier de compétences. C’est pourquoi je m’engage à son développement.
Réaffirmer la dimension strictement défensive de la dissuasion
Le Front de Gauche mettra tout le poids de la France au service du désarmement nucléaire multilatéral. Mais en l’état actuel, la dissuasion nucléaire demeure l’élément essentiel de notre stratégie de protection. J’estime qu’elle doit être dépassée à terme par les moyens que l’évolution des menaces globales oblige à comprendre. Quoi qu’il en soit, j’en allégerai le coût en supprimant la composante aérienne, aujourd’hui obsolète.
Le président Sarkozy a nui à la crédibilité de notre dissuasion. D’abord en signant un partenariat de défense avec les Émirats Arabes Unis dont l’une des clauses engage la France à utiliser tous les moyens militaires dont elle dispose pour les défendre. Je réviserai ce partenariat. Plus grave, il a capitulé face aux États-Unis en acceptant le principe du bouclier antimissile. Celui-ci marginalise la force de frappe française. Il installe une logique agressive que je récuse. Contre tout cela, je réaffirme le caractère strictement défensif et national de l’arme nucléaire. Je rejette toute idée de « sanctuarisation élargie » et toute forme de participation au projet de bouclier antimissile.
Recouvrer une réelle capacité d’initiative
Les interventions en Afghanistan ou en Libye ont montré les limites de l’organisation et des moyens de nos armées. Il est inacceptable d’envoyer en opération des soldats sous-équipés, de dépendre d’autres puissances pour le transport des troupes, le ravitaillement en vol ou l’observation. Le format des armées et les programmes d’armement, à réexaminer au cas par cas, seront adaptés à la nouvelle réflexion stratégique. En tout état de cause, l’acquisition d’une capacité de projection autonome d’une brigade interarmes est un objectif raisonnable. Il suppose d’augmenter les capacités en termes de renseignement et de soutien. Mais aussi de décider des moyens nécessaires de la projection, tant aériens que maritimes.
Évaluer raisonnablement la lutte contre les actes terroristes
Le terrorisme est un ensemble de menaces. On ne fait pas la guerre à un concept mais à des adversaires. De plus, l’hybridation entre défense et sécurité intérieure proposée par le Livre blanc actuel porte en elle le germe d’une surveillance généralisée liberticide, et la construction paranoïaque d’« ennemis intérieurs ». Une surveillance ciblée est ici plus efficace. Je referai donc du renseignement humain une priorité. Le « renseignement de haute technologie » n’a pas fait ses preuves. Ses moyens seront affectés à d’autres tâches de défense ; par exemple de contre-espionnage et de défense économique. Je réviserai aussi les principes de mise en œuvre du plan Vigipirate qui utilise beaucoup de res- sources pour des résultats incertains.
Une industrie de l’armement libérée de la finance
Garantir la souveraineté de la France suppose de disposer d’une industrie d’armement efficace. Nous l’avons aujourd’hui malgré les profondes restructurations qui, depuis les années 90, ont favorisé les logiques financières. Sur la base des structures existantes, je créerai un pôle public de l’armement. Il planifiera la production en fonction des besoins de la nouvelle stratégie. L’État doit conserver ou acquérir une part importante dans les groupes impliqués. Les recours et participations donnant à des groupes liés à d’autres puis- sances, des pouvoirs de surveillance ou de contrôle sur nos décisions seront écartés. Dans cet esprit je remettrai en cause l’accord franco-anglais de défense. Enfin, je réaliserai un audit au cas par cas des contrats de haute technologie. Très coûteux, ils répondent davantage aux intérêts financiers des industriels plutôt qu’à nos besoins.
En finir avec les externalisations et privatisations
Les externalisations défigurent le sens de la mission générale des armées et de son personnel. Ils les subissent depuis quinze ans contre le sens de leur engagement et leurs conditions de travail. Un audit sera effectué afin d’inverser la tendance. Je réaffirme le caractère strictement public de l’appareil militaire. Les contrats scandaleux concédés par le gouvernement sortant seront immédiatement dénoncés. Toute forme de privatisation des moyens opérationnels, entendus dans un sens large, est un assujettissement. Toute promotion de sociétés militaires privées est contraire à mes idéaux et à l’iden- tité républicaine de la France. Je mettrai un coup d’arrêt aux velléités en ce sens et les rendrai inconstitutionnelles.
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La grandeur de la République est pour moi une idée claire. Quand d’autres veulent la diluer dans la soumission au marché et à l’atlantisme, je crois que son destin, depuis Valmy, est de résister, de vaincre et d’inspirer.
Jean-Luc Mélenchon
Coprésident du bureau national du Parti de gauche, député européen, sénateur de l’Essonne, candidat à l’élection présidentielle.
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