Automobile : Détournement de fonds public encouragé

samedi 7 novembre 2009.
 

Le Fonds de modernisation des équipementiers automobiles (FMEA) revendique un rôle de premier plan chez Trèves  : contre 55 millions d’euros d’aides, il a obtenu deux fermetures d’usines et la délocalisation de la production.

Branche sectorielle du Fonds stratégique d’investissement (FSI), abondée par l’État, Renault et PSA à hauteur de 200 millions d’euros chacun, le Fonds de modernisation des équipementiers automobiles (FMEA) organise-t-il lui-même le saccage industriel du pays qu’il devait, selon les déclarations présidentielles et gouvernementales, plutôt endiguer  ? Ou autrement dit  : ce fonds presque souverain, toujours présenté comme un instrument d’intérêt public pour défendre les emplois, peut-il conditionner son entrée dans le capital d’un groupe au licenciement de centaines de salariés, à la fermeture d’unités industrielles en France et donc à la délocalisation de ses activités dans des pays « à bas coûts »  ? Dans le torrent des grandes déclarations lénifiantes de Nicolas Sarkozy, Christine Lagarde, Luc Chatel ou encore Christian Estrosi (lire ci-contre), ces questions semblent aberrantes, évidemment, mais à Ay (Marne), sur le site de PTPM, une des deux usines françaises de l’équipementier automobile Trèves promises à la fermeture après l’octroi par le FMEA d’une aide publique de 55 millions d’euros en février dernier, elles se posent désormais avec acuité, gravité… et dans la douleur.

Fonds il y aura, si licenciements il y a

Jusqu’à tout récemment, les 129 salariés de PTPM pensaient encore avoir affaire à une simple histoire de « détournement de fonds publics ». C’est dans ce sens qu’ils ont, dès l’annonce officielle de la fermeture de leur usine en avril, appelé les contribuables à déposer plainte pour utilisation frauduleuse d’une part de leurs impôts. Associant salariés, citoyens et élus politiques, l’initiative a connu un certain succès puisque près de 2 500 personnes ont engagé une démarche en ce sens auprès du tribunal de grande instance de Reims. Elle se répand désormais dans l’Oise, autour des salariés de Sodimatex, l’autre usine menacée par le groupe Trèves, à Crépy-en-Valois, ou dans les Ardennes ou l’Aisne, où le groupe Nexans envisage, après l’entrée dans son capital du FSI pour 58 millions d’euros, de fermer des usines et de licencier (lire l’Humanité du 13 octobre).

Mais chez PTPM, les salariés viennent de tomber de leurs chaises en entendant Hervé Guyot, un ex-spécialiste de la finance et des banques chez PSA, désigné directeur général du fonds, leur expliquer que les 55 millions d’euros accordés à Trèves l’avaient été sous la condition de fermer deux usines en France, dont la leur. La scène se déroule le 14 octobre dernier, à Bercy. Ce sont les élus au comité d’entreprise de PTPM qui ont demandé cette réunion, afin d’obtenir des éclaircissements sur la fonction du FMEA et un « moratoire » sur la fermeture de leur usine jusqu’à la définition d’un plan de réindustrialisation. Christian Estrosi, ministre de l’Industrie, est représenté par son directeur adjoint de cabinet, Hervé Guyot, directeur général du FMEA et membre à ce titre du conseil d’administration du groupe Trèves. Face à lui, une délégation d’une quinzaine de personnes avec des représentants syndicaux de PTPM, des dirigeants des instances locales et nationales de la CGT, l’expert du cabinet ACF et l’avocate désignés par le CE. Selon des propos rapportés à l’unisson par les membres de la délégation de PTPM, et pour lesquels ils produisent des attestations sur l’honneur (1), le directeur général du FMEA a fait une déclaration solennelle  : « Je vais être transparent avec vous. Nous avons décidé en janvier d’intervenir dans le groupe Trèves pour éviter un dépôt de bilan et la décision a été prise en février  : on a bien vu que le FMEA ne pouvait pas intervenir sans une restructuration massive, la seule solution viable, c’était la fermeture de deux usines non rentables, dont celle de PTPM. »

Le rôle décisionnel de l’état inexistant

À l’autre bout de la table, Christine Tuffin, déléguée CGT, n’en croit pas ses oreilles et réclame une confirmation qu’elle obtient… « Hervé Guyot était très à l’aise, sûr de son bon droit, se souvient l’expert du cabinet ACF. Pour lui, la décision de fermer devenait irrévocable à partir du moment où Trèves acceptait les aides publiques. » Pour Stéphane Levasseur, secrétaire adjoint du CE, « ce qu’on a très bien compris ce jour-là dans les propos du directeur du FMEA, c’est que peut-être ils n’étaient pas là pour diriger l’opération de fermeture des usines, mais que c’est eux qui avaient indiqué la voie à prendre impérativement et qu’elle passait par la fermeture de PTPM. » Selon François Claverie, secrétaire régional de la CGT en Champagne-Ardenne, lui aussi présent à Bercy, « il y a un partage de vues total entre le FMEA et Trèves  : c’est Hervé Guyot lui-même qui a laissé entendre qu’il pourrait y avoir d’autres fermetures si la situation ne s’améliorait pas »…

Loin des engagements pris par le président de la République et déclinés par le gouvernement, on connaît à présent la chanson du fonctionnement réel du FSI comme du FMEA  : attribution des aides publiques hors de tout contrôle démocratique ou même simplement parlementaire (lire notre entretien ci-contre), opacité sur les conditions fixées par l’État à l’occasion de ces interventions financières dans le capital de grandes entreprises privées, revendication appuyée de l’État, en tant qu’actionnaire minoritaire, d’un rôle limité, voire carrément inexistant, dans la définition des stratégies industrielles de ces entreprises… Dans l’esprit des salariés de PTPM, on est passé du détournement de fonds publics au détournement du fonds public  !

(1) Sollicités, hier, pour confirmer 
la teneur de ces échanges, 
le directeur général du FMEA 
et le service de presse du FSI n’ont pas donné suite à nos appels.

Thomas Lemahieu


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