Notes sur le livre "Les tabous de la gauche" ( Jean Luc Mélenchon)

jeudi 12 octobre 2006.
 

Dans cet ouvrage aux allures de pamphlet contre le Non de gauche et d’hagiographie de la sociale-démocratie, M. Dély prétend expliquer à la gauche et au PS ce qu’il faudrait faire pour gagner les élections. Le tout drapé dans sa pseudo neutralité de journaliste.

Ce livre affirme dès le début son intention d’ « aider la gauche » à garder plus durablement le pouvoir. Bien qu’écrit par un journaliste, il opte donc délibérément pour un point de vue politique, et s’inscrit d’emblée dans une famille de pensée de la gauche : « la social-démocratie, le réformisme » tel que nous le connaissons en Angleterre ou en Allemagne. Dès l’introduction, l’auteur affirme en effet que « c’est à la social-démocratie, au réformisme, de rendre la vie en société supportable ». L’auteur affirme ensuite à plusieurs reprises que la gauche française doit « accéder à l’âge adulte du réformisme » (page 93) et « rompre avec le mythe de la rupture » (page 108), ou encore « relativiser le Graal des classes populaires ». D’emblée, l’auteur disqualifie à l’inverse « l’autre gauche », qu’il appelle « la gauche messianique et radicale », en la qualifiant d’ « imaginaire et d’inutile ».

Dès cette introduction, ce livre a donc un parti pris idéologique très prononcé. Sous couvert d’être une analyse d’un journaliste observateur, il se révèle en fait comme un plaidoyer pour la social-démocratie blairiste. Le livre est d’ailleurs une succession de références directes ou indirectes à des auteurs et responsables politiques bien connus, notamment Alain Bergounioux, cité abondamment et à toutes les sauces, ou encore Laurent Baumel ou Joël Roman de la revue Esprit. On retrouve ainsi à longueur de pages (et surtout de copier/coller) tout un logiciel idéologique parfaitement connu des débats socialistes (société fragmentée où les classes ont disparu, fin des cycles de 1917 et d’Epinay, ...). Par ces références omniprésentes, mais aussi par l’étrange aversion personnelle qu’il distille à longueur de pages contre certains responsables socialistes (moi-même, Emmanuelli et Fabius, cf. pages 77 à 81), ce livre ressemble plus à un pamphlet du débat interne du PS qu’à l’analyse raisonnée et argumentée d’un observateur de la vie politique.

Le livre regorge d’ailleurs de sentences idéologiques à l’emporte pièces : page 52, on apprend que « l’Etat jacobin et l’Etat providence sont dépassés ». Sans parler des jugements politiques les plus partiaux et catégoriques, notamment sur le 29 mai 2005. Ainsi le 29 mai 2005 est d’abord mis sur le même plan que le 21 avril 2002 et participerait du même « cycle populiste ». La victoire du Non est carrément décrite comme un « carambolage », « l’évènement le plus terrifiant de l’histoire de la gauche », un « épisode glaçant ». Les motivations du vote sont analysées comme étant complètement étrangères à la question posée : chômage, fracture sociale, rejet de Chirac ... La campagne référendaire est décrite comme « d’un niveau préhistorique ». La gauche du Non est carrément accusée de s’être « vautrée dans un nationalisme suranné, teinté de xénophobie ». Les « promesses nonistes » sont qualifiées d’ « attrape gogos pour électeurs craintifs ».

L’obsession du livre : s’aligner sur le « réel »

Toute la problématique du livre tourne autour de l’idée que la gauche française aurait un problème avec la réalité et la vérité.

La gauche française échoue parce qu’elle est « incapable de se mettre à l’heure du monde réel qui l’entoure ». Derrière la charge contre la gauche française, c’est en fait le peuple lui-même qui est souvent visé pour son manque de lucidité. Ainsi : « Le résultat du référendum sur la constitution européenne démontre qu’une bonne partie de l’électorat n’a pas encore une claire conscience de l’état du monde dans lequel il vit. »

Principal problème de ce livre : il raisonne en vase clos sur la gauche française. Il fait comme si existait à l’extérieur un modèle de gauche qui réussit naturellement (la social-démocratie) et que la gauche française était incapable de s’y convertir. « La social-démocratie a en France quelques siècles de retard sur ses homologues étrangères » page 115.

Pour le livre, Tony Blair est forcément un modèle parce qu’il a gagné trois fois les législatives. Quant aux critiques à son encontre, elles sont immédiatement suspectes sont suspectes d’ « anglophobie rampante ».

Alors qu’il prétend ramener la gauche dans le réel, le livre mythifie complètement la sociale démocratie internationale, celle de « l’Allemagne, la Grande-Bretagne et de la tradition nordique où le terme de social démocrate fait partie de l’essence même de la gauche » page 117.

Cet incroyable ouvrage passe ainsi entièrement sous silence l’impasse stratégique de la social-démocratie en particulier dans les pays qui l’ont vu naître et prospérer :

- blairisme qui a consolidé un véritable apartheid social en Angleterre (12 millions de pauvres, retraite à 67 ans ...)

- SPD allemand qui finit par gouverner avec la droite pour détruire les fondements même de l’Etat social qu’il avait contribué à ériger

- Social-démocratie suédoise qui connaît sa plus lourde défaite depuis 1928, face à un parti conservateur qui prétendait être « le nouveau parti des travailleurs » dans la campagne électorale.

Sans parler de l’Amérique latine où la stratégie sociale-démocrate d’accompagnement du libéralisme conduit tous ceux qui s’en réclament à la débâcle électorale et sociale.

Le livre insiste lourdement sur la fin du cycle communiste et révolutionnaire qui aurait été ouvert en 1917. Mais il ne voit pas que la stratégie social-démocrate est autant dépassée. Conçue dans le cadre national dans une logique de prises d’avantages face au capitalisme productif, elle ne fonctionne absolument plus à l’heure du capitalisme mondialisé. En accompagnant le système, elle ne tire plus aucun profit pour le plus grand nombre et accélère au contraire la paupérisation et le recul de la citoyenneté. Et son impuissance à penser autre chose que des vieilles formules d’accompagnement du capitalisme facilite le travail de l’extrême droite quand elle prétend être l’alternative aux conséquences du libéralisme.


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