Touchez pas aux Comités d’entreprise (histoire, fonctionnement, rôle)

lundi 22 mai 2023.
 

- A) 16 mai 1946 Loi sur les comités d’entreprise

- B) Les comités d’entreprise dans la loi de 1982

- C) Des CE de plus en plus experts

- D) 2015 Les Comités d’entreprise face aux licenciements

- E) Mars 2015 Touchez pas aux Comités d’entreprise !

E) Touchez pas aux Comités d’entreprise !

Guillaume Etievant, secrétaire national du PG à l’économie et au travail, 3 mars 2015

Décidément, François Hollande a une curieuse manière de fêter les anniversaires. Pour le centenaire de l’impôt sur le revenu, il avait choisi de réduire la portée de cet outil révolutionnaire, en limitant sa progressivité et en confortant les niches fiscales pour le capital. Pour les 70 ans des Comités d’entreprise, il souhaite tout simplement les liquider. Les attaques contre les Comités d’entreprise se sont accentuées à la fin de l’année dernière, avec les litanies habituelles du ministre du travail, François Rebsamen, contre les « rigidités » du code du travail et les seuils sociaux, soi-disant des freins à l’emploi. Elles se sont poursuivies lors des négociations sur le dialogue social, le Medef proposant purement et simplement la suppression des Comités d’entreprise pour les fusionner dans une instance unique, le Conseil d’entreprise, qui aurait perdu une grande partie des droits et des moyens de l’ensemble des instances d’aujourd’hui. Heureusement, l’intégralité des syndicats représentatifs de notre pays ont choisi de refuser cet affront. Ils n’ont pas signé l’accord proposé par le Medef et défendu par le gouvernement. Mais Valls prévoit désormais une loi, pour enfin avoir la peau des Comités d’entreprise.

Un acquis gagné grâce à la lutte

Nés à la suite du programme du Conseil national de la Résistance du 15 mars 1944, qui réclamait « la participation des travailleurs à la direction de l’économie », les Comités d’entreprise ont pour objectif d’assurer l’expression collective des salariés, pour qu’ainsi leurs intérêts soient pris en compte dans l’ensemble des décisions stratégiques et financières de l’entreprise. Leurs droits datent principalement de la loi du 16 mai 1946 qui a permis de nombreuses avancées et en particulier créé l’obligation pour l’employeur de consulter le CE sur l’organisation et la marche générale de l’entreprise et de lui remettre les documents économiques donnés aux actionnaires. Ces avancées ont été conquises grâce à la mobilisation des syndicats et à la victoire de la gauche aux élections lors de l’assemblée constituante de 1945 qui a permis l’arrivée d’Ambroise Croizat au ministère du travail. De Gaulle s’est toujours opposé à la création de véritables Comités d’entreprises munis de droit pour représenter les salariés. Les droits des CE ne sont pas issus d’un compromis entre gaulliste et communiste, mais d’un rapport de force de classe, qui a permis de vaincre temporairement les gaullistes et le patronat sur ce sujet. Par la suite, il faudra attendre les lois Auroux de 1982 pour que les Comités d’entreprise voient leurs droits à nouveau véritablement progresser. Ces lois reprennent un grand nombre de propositions de la CGT de l’époque et constituent un véritable tournant : dans la définition du Comité d’entreprise, l’idée de coopération avec le chef d’entreprise est supprimée. Le rôle d’information/consultation du CE est largement étendu et le CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) devient une instance à part entière, qui permet aux représentants des salariés d’avoir un regard sur les conditions de travail des salariés.

Pourquoi l’oligarchie veut la peau des CE ?

Le grand patronat et ceux qui défendent ses intérêts au gouvernement veulent diminuer les droits des CE, car ceux-ci renforcent les salariés et limitent le rapport de dépendance du salarié par rapport à son employeur. En ayant un large accès aux informations sur la situation économique de l’entreprise, le Comité d’entreprise peut empêcher les directions de mettre en œuvre des projets dans le dos des salariés. Il est un point d’appui à la lutte syndicale dans l’entreprise en permettant aux syndicalistes d’avoir l’ensemble des éléments économiques et sociaux pour argumenter leur revendication.

C’est tout cela que veut briser le patronat, après avoir déjà liquidé une bonne partie des droits des CE avec l’accord sur la sécurisation de l’emploi de 2013. En particulier, cet accord a mis fin à la possibilité pour les Comités d’entreprise de bloquer temporairement des plans de licenciements en refusant de rendre leur avis. Depuis, le nombre de plans sociaux a logiquement explosé en 2013 et 2014, tandis que les actionnaires se goinfraient de dividendes. En 2014, les entreprises du CAC 40 ont versé 56 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires, soit une hausse de 30% par rapport à l’année précédente. Ils atteignent donc quasiment le record de 2007, avant la crise financière. En parallèle, l’effondrement des droits des Comités d’entreprise et de l’ensemble de la représentation des salariés, détourne en partie ces derniers du syndicalisme, car ils voient de moins en moins l’utilité qu’ont les syndicalistes pour eux.

Renforcer les Comités d’entreprise

Les CE pourraient potentiellement être un outil considérable pour défendre les salariés. Èlus démocratiquement par l’ensemble des salariés, ils sont là pour représenter l’intérêt général face aux injonctions des directions soumises aux actionnaires. Il faut leur donner un véritable droit de veto sur l’ensemble des décisions stratégiques de l’employeur. Ainsi leur utilité pour les salariés sera concrète, immédiate. Le Comité d’entreprise doit être le levier de la lutte des salariés dans l’entreprise, et sortir ainsi de la situation actuelle où le patronat essaye sans cesse de le noyer dans un soi-disant « dialogue social » entre « partenaires » sociaux. Il ne peut y avoir de « dialogue social », car les intérêts des salariés et des actionnaires sont distincts. Oublier le rapport de force entre les propriétaires des moyens de production et les salariés obligés de vendre leur force de travail pour vivre, c’est nier un siècle de luttes sociales et syndicales. Et c’est oublier que le rapport salarial est d’abord un rapport de dépendance. Ce rapport de dépendance contenu dans le contrat de travail empêche toute possibilité de dialogue à arme égale et la signature d’accords « gagnant-gagnant ». Un syndicaliste élu au Comité d’entreprise est avant tout un salarié qui risque à tout moment de se faire licencier.

Vu l’état du rapport de force social dans le pays, il n’y a rien à attendre de bon d’une loi Rebsamen sur le dialogue social. La seule chose à espérer de ce gouvernement sur ce sujet c’est qu’il ne fasse rien. La grande loi de refonte des Comités d’entreprise, qui leur donnera le droit de véto et élargira leur champ d’actions, ne pourra être l’œuvre que d’un gouvernement révolutionnaire, œuvrant dans une 6ème République, dont la constitution aura aboli la domination des actionnaires dans l’entreprise. Les Comités d’entreprises seront alors les points d’appui d’une réforme radicale des rapports de production et, à terme, de la sortie du capitalisme.

D) 2015 Les Comités d’entreprise face aux licenciements

Loi sur la sécurisation de l’emploi, loi Macron, négociation 
sur le dialogue social  : aucun texte n’épargne les comités d’entreprise. Soixante-dix ans après leur naissance, ils sont toujours craints 
des patrons alors qu’ils peuvent apporter des solutions alternatives pour développer l’entreprise.

Alors que la négociation sur la modernisation du dialogue social s’est soldée par un échec au mois de janvier, la CGT, FO et la CFE-CGC refusant de signer le texte patronal, le gouvernement reprend la main sur cette réforme à haut risque. Le premier ministre, Manuel Valls, reçoit les organisations syndicales et patronales mercredi dans le but d’élaborer une « loi travail », qui pourrait abonder dans le sens du Medef de fusionner les instances représentatives du personnel – IRP – (délégués du personnel – DP –, comité d’entreprise – CE –, comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail – CHSCT) en un conseil d’entreprise. La perspective d’un possible laminage des droits et prérogatives de ces instances est sur la table, l’année même où les comités d’entreprise, nés le 22 février 1945, fêtent leurs soixante-dix ans. Menacé, le CE n’a pas encore passé l’arme à gauche malgré les attaques incessantes du patronat.

Parce que le CE n’est pas juste un distributeur de spectacles à prix réduits, le patronat a toujours voulu limiter son infl uence. Contrôle des comptes de l’entreprise, expression des salariés : voici les incontestables prérogatives qui, depuis la naissance de l’institution, inquiètent malheureusement beaucoup de chefs d’entreprise. Malheureusement, car cette IRP a été conçue pour aider à mieux diriger l’entreprise… et non freiner sa croissance comme le font croire les organisations patronales, mais aussi le gouvernement aujourd’hui. Pour preuve, après la loi dite de « sécurisation » de l’emploi votée en 2013, qui a réduit les délais de consultation et d’expertise, la loi Macron a voulu restreindre la publicité des comptes et a réussi à dépénaliser le délit d’entrave au comité d’entreprise…

Prochaine étape de discussion donc : la réduction de l’infl uence des IRP, le devenir des CHSCT, un agenda simplifi é de négociations obligatoires annuelles et une possible réforme des seuils sociaux, nombre de salariés qui, pour une entreprise, déclenchent une obligation d’instaurer des formes de représentation du personnel. Quand il naît après la Seconde Guerre mondiale, le comité reconnaît aux ouvriers une place dans l’entreprise. Le patronat a été en grande partie discrédité par sa collaboration avec l’ennemi. En 1944, le Conseil national de la Résistance adopte un programme qui met en avant « le droit d’accès, dans le cadre de l’entreprise, aux fonctions de direction et d’administration, pour les ouvriers possédant les qualifi cations nécessaires, et la participation des travailleurs à la direction de l’économie ». Seulement, « les choix économiques demeureront toujours l’apanage des directions », regrette Laurent Milet, coauteur avec Maurice Cohen de l’ouvrage référence, le Droit des comités d’entreprise et des comités de groupe.

Malgré l’intention du Conseil national de la Résistance, l’ordonnance du 22 février 1945 créant les comités d’entreprise leur offre peu de compétences. Il faudra attendre 1946, après la démission du général de Gaulle, la victoire des partis de gauche à l’Assemblée constituante et l’arrivée d’Ambroise Croizat, communiste, ex-secrétaire général CGT de la métallurgie, comme ministre du Travail pour remettre sur le tapis un texte qui intègre dans les prérogatives des CE un droit de regard et d’intervention des salariés dans la gestion de l’entreprise. La loi du 16 mai 1946 double le nombre de sociétés pouvant bénéficier de comités d’entreprise en abaissant le seuil obligatoire de 100 à 50 salariés. En plus d’être informé, le CE gagne l’obligation d’être consulté sur l’organisation et la marche générale de l’entreprise. Un expert-comptable peut l’assister. Mais déjà le patronat critique la limitation de la notion de secret professionnel et le temps payé aux élus pour exercer leur fonction.

Les CE arrivent à stopper 
des procédures de licenciement

Le CE va aussi devenir, pour la première fois, gestionnaire à part entière des activités sociales et culturelles. «  Cette autonomie dans le domaine social constitue une véritable école de gestion, souligne Laurent Milet. Historiquement, le transfert des œuvres sociales patronales aux élus des salariés a constitué une importante conquête sociale. Cela n’a pas toujours été de soi. Et l’histoire nous a montré que certaines grandes entreprises ont été réticentes sur ce point  : Michelin, dans les années 1950, la SNCF, dans les années 1980, sans parler d’EDF où la direction a carrément confié à des administrateurs, nommés par la direction, la gestion des activités sociales entre 1951 et 1964.  » Petit à petit, les élus salariés vont s’emparer des outils de l’institution. Mais il faudra de nouveau l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 pour redonner de l’élan aux comités d’entreprise. «  Le pouvoir économique est le moins partagé de tous  », déplore Jean Auroux, qui fut ministre du Travail en 1982 et instigateur des lois portant son nom (voir ci-contre). Quatre textes, votés en 1982, vont apporter pas moins de 70 améliorations  : l’obligation annuelle de négocier sur les salaires, la durée et l’organisation du travail, l’extension des prérogatives de l’expert-comptable, la création du comité de groupe avec la prise en compte de l’internationalisation du capital, la protection contre la discrimination politique et syndicale, le droit d’expression des salariés sur leurs conditions de travail… Enfin une dotation minimale de fonctionnement est attribuée au comité d’entreprise égale à 0,2 % de la masse salariale brute. Ce budget de fonctionnement est totalement séparé de celui des activités économiques et sociales. L’un et l’autre ne peuvent en aucun cas se remplacer ou se compléter. Le budget de fonctionnement est entièrement dédié au contrôle économique de l’entreprise  : il donne des moyens aux élus et une indépendance vis-à-vis de l’employeur. Les comités d’entreprise vont dès lors connaître un regain d’activité dans le domaine économique. Et depuis, à chaque négociation sur les instances du dialogue social, le patronat va tenter de fusionner les budgets pour recentrer le comité d’entreprise sur la gestion des activités culturelles et sociales et éloigner son regard des comptes de la société. Récemment, la loi dite de «  sécurisation  » de l’emploi de 2013, en introduisant une nouvelle expertise sur les orientations stratégiques de l’entreprise, impose qu’elle soit financée en partie par le comité. Faute de moyens, les petits CE vont moins exercer leur droit de regard. Les autres expertises, si elles restent entièrement payées par l’employeur, sont désormais enserrées dans des délais restreints. Il a fallu du temps pour que les CE s’approprient leurs attributions économiques. Passant à l’offensive, ces instances, qui doivent être informées et consultées, agissent en justice lorsque l’employeur les contourne ou ne les renseigne pas suffisamment. La jurisprudence progresse. Les CE arrivent à stopper et à retarder les procédures de licenciements collectifs. Ainsi, en 1995, le plan social d’Éverite, filiale de Saint-Gobain, est frappé de nullité par la Cour de cassation pour «  manque d’indications sur le nombre et la nature  » des reclassements proposés. En 1997, l’arrêt Samaritaine va plus loin. Non seulement le plan social prononcé en 1993 est annulé mais la Cour de cassation somme l’enseigne de réintégrer les salariés licenciés. En 2011, la cour d’appel de Paris annule le plan social de Viveo et cette fois-ci pour absence de motifs économiques, suite à la démonstration des données fournies par l’expertise du CE. La Cour de cassation reviendra sur cette décision affirmant que les juges ne peuvent pas annuler un PSE pour défaut de cause économique puisque ce n’est pas inscrit dans la loi. La haute juridiction ferme la porte à de nombreux recours possibles qui inquiétaient sensiblement les grands patrons. Il est clairement signalé aux comités d’entreprise qu’ils ne peuvent que retarder ou améliorer un plan de sauvegarde de l’emploi. Et pourtant… Depuis 2003, plusieurs lois ont grignoté les prérogatives des CE

En 2009, dans le Morbihan, le propriétaire de la fonderie SBFM veut réduire les effectifs de moitié. Mandaté par le comité d’entreprise, le cabinet d’expertise Secafi démontre la viabilité de l’entreprise et va permettre sa reprise par le donneur d’ordres Renault. «  Nous avons démontré que le propriétaire avait dilapidé l’argent des caisses et que nous avions entre les mains un véritable savoir-faire puisque nous sommes les seuls en France à fabriquer de la fonte pour les pièces de sécurité automobile, explique Maël Le Goff, membre du comité d’entreprise de la Fonderie de Bretagne, ex-SBFM. Le couperet est tombé le 27 juin 2009, les 550 salariés ont été repris par Renault dans une filiale qui a pris le nom de Fonderie de Bretagne.  » Dernièrement, des expertises ont permis d’investir dans une nouvelle ligne de moulage  : «  Sans investissement, on était mort.  » Face aux avancées jurisprudentielles, les lois s’engouffrent dans des vents contraires.

Depuis 2003, plusieurs textes sont revenus sur les droits sociaux légaux et ont permis des accords d’entreprise dérogatoires. En 2004, le rapport Virville propose un conseil d’entreprise unique rassemblant CE, délégués du personnel, délégués syndicaux. Le Medef propose, lui, de «  moderniser le Code du travail  » en niant le droit du CE à choisir son expert, en supprimant les sanctions pénales, etc. Un esprit qu’on retrouvera dans la loi de «  sécurisation  » de l’emploi, avec l’accélération de la procédure d’information-consultation des CE et la limitation de l’expertise dans le temps. «  À dix ans d’intervalle, on retrouve le même discours à travers la rhétorique du coût du travail, constate le juriste Laurent Milet. Même les IRP représentent un coût  : il faut donc, dans l’esprit patronal, rationaliser les consultations, avoir moins d’élus, leur consacrer moins de temps avec une seule négociation annuelle obligatoire, et une seule instance représentative.  »

Dans les entreprises, les menaces de la loi Macron et les propositions patronales actuelles pour rénover le dialogue social inquiètent  : «  Deux fois par an, nous mandatons un expert pour étudier les comptes annuels, les investissements, les choix stratégiques, rapporte Maël Le Goff. L’expert obtient des chiffres qui ne nous sont pas communiqués en CE. Si la publication des comptes n’était plus autorisée comme a essayé de le faire la loi Macron au nom du secret des affaires, le comité d’entreprise n’aurait plus de raison d’être  ! Nous sommes tous dubitatifs par rapport à la loi sur la modernisation du dialogue social à venir, suite à l’échec des négociations. Les salariés sont très inquiets de la volonté de créer une instance unique qui entraînerait la disparition du CHSCT (comité hygiène sécurité et conditions de travail).  » Plutôt que de réduire les droits, l’évolution de l’entreprise (mondialisation, course à la rentabilité, etc.) commanderait plutôt d’en élargir l’accès, d’accorder par exemple la possibilité aux élus du CE de posséder un «  droit de veto  » sur les décisions stratégiques.

C) Des CE de plus en plus experts

La loi donne aux comités d’entreprise la possibilité, avec l’aide d’experts, d’anticiper les restructurations et, le cas échéant, de les contester. Un contre-pouvoir parfois victorieux.

Ce plan de licenciement est-il, vraiment, économiquement fondé ? Y a-t-il une alternative ? Telle activité est-elle condamnée, ou, sous certaines conditions, pourrait-elle être encore viable ? Avec la crise et la multiplication des « plans sociaux » (200 par mois, en moyenne, depuis un an, contre une centaine dans les années précédentes), le rôle économique des comités d’entreprise est, de fait, revalorisé. En utilisant les prérogatives que leur donne la loi et en s’appuyant sur les cabinets d’experts spécialisés, les CE peuvent se doter d’une véritable contre-expertise et, dans le cadre d’une mobilisation syndicale, parvenir à modifier, voire à renverser des décisions patronales présentées comme inéluctables.

La présentation des comptes annuels est la première occasion, pour les CE, de faire procéder à un examen d’ensemble de la situation de l’entreprise, de jauger ses points forts et ses faiblesses, et, du coup, de pointer d’éventuels risques : défaillance, dépôt de bilan, délocalisation… Le Code du travail leur donne ensuite la possibilité de déclencher un droit d’alerte, au vu de faits jugés préoccupants, tels qu’une baisse des prises de commandes, l’accumulation de stocks, la démission soudaine de commerciaux… Ces capacités d’anticipation ont, évidemment, une importance stratégique. « Pour être le plus efficace, il faut intervenir le plus tôt possible », souligne Michel Bohdanowicz, vice-président de l’ordre des experts-comptables pour l’Île-de-France, qui regrette que les élus des CE ne soient « pas assez informés de leurs droits », en matière d’expertise, et ne les fasse pas jouer « assez en amont ».

Pour autant, quand le pire n’a pu être évité, quand la décision d’une restructuration tombe, la partie n’est pas forcément perdue. Le CE peut alors faire appel à des experts pour mettre sur le gril les raisons économiques avancées par la direction. « Est-ce justifié ? Peut-on faire autrement ? On essaye dans toute la mesure du possible de monter des alternatives préservant autant d’emplois que possible », explique Martin Richer, directeur général de Secafi Alpha, premier cabinet d’experts auprès des CE. « Des résultats, on en a plein, qui n’étaient pourtant pas gagnés au départ », ajoute-t-il. Exemple : Terceos, groupe sucrier, qui avait prévu de fermer son site de Nantes. À l’examen, la comptabilité analytique montrait que l’une de ses activités, le conditionnement, était compétitive. À l’aide du rapport établi par Secafi, les syndicats, qui, « au départ, pensaient plutôt à se bagarrer sur la prime de départ », ont obtenu le maintien du site et d’une centaine d’emplois.

Autre exemple : Fédéral Mogul, un sous-traitant automobile, qui voulait supprimer 280 emplois. « On s’est aperçu que leurs prévisions de plans de charges étaient déconnectées de celles de Renault et Peugeot. Puis on a montré que les suppressions d’emplois entraîneraient des risques très forts pour la qualité des produits », explique Martin Richer. Au final, cette expertise, jointe à l’action du syndicat CGT, permettra de remettre le plan social en discussion et de parvenir à sauver 65 emplois, alors que, « au départ, les élus du CE étaient plutôt pessimistes ». Même s’il ne faut pas « donner de faux espoirs » (« on se bat quand il y a matière »), « on peut arriver à sauver des emplois par le projet économique. Le problème est d’arriver à mobiliser les salariés sur leurs marges de manoeuvre », observe le directeur de Secafi, qui déplore, tout en le « comprenant », un « basculement » des salariés, et parfois des syndicats, vers la recherche de la plus forte prime de licenciement.

Enfin, phénomène nouveau lié à la crise, les experts travaillant pour les institutions du personnel voient monter la demande d’interventions émanant des comités d’hygiène et de sécurité (CHSCT) et portant sur « les incidences des restructurations sur ceux qui restent » : « Comment faire en sorte que ça ne se traduise pas par une dégradation des conditions de travail ? »

Yves Housson, L’Humanité

B) Les comités d’entreprise dans la loi de 1982

La loi de 1982 a instauré l’obligation pour tout employeur de verser au comité d’entreprise une subvention qui correspond à 0,2 % de la masse salariale brute. Il s’agit ici de la masse salariale brute supportée par l’entreprise pour l’année en cours.

Ce montant constitue un minimum et non un maximum ! L’employeur peut, bien entendu, accorder un budget d’une somme plus importante par engagement unilatéral, accord de branche ou d’entreprise ou encore par usage.

L’employeur ne peut en aucun cas se soustraire à cette obligation sous peine de commettre un délit d’entrave au fonctionnement du comité d’entreprise.

Le budget de fonctionnement doit être utilisé pour couvrir les dépenses liées à l’administration courante du comité et lui garantir une certaine autonomie financière pour exercer ses attributions économiques et professionnelles. L’employeur ne participe pas au vote relatif à l’utilisation du budget de fonctionnement. Le CE dispose donc d’une grande liberté pour utiliser ce budget, dans la limite de ses fonctions et d’une bonne gestion. En principe, le vote des membres du CE s’effectue à main levée mais il est fréquent que le règlement intérieur du CE prévoit d’autres modalités (par exemple, le vote à bulletin secret).

Par conséquent, ce budget peut prendre en charge :

* les frais de financement de la formation économique des membres titulaires du CE (frais d’inscription, frais de formation, frais de déplacement). Par contre, la rémunération du salarié en formation doit être prise en charge par l’employeur (C. trav., art. L. 434-10) les frais occasionnés pour le recours à des experts libres ou pour la réalisation de missions économiques (par exemple, les ergonomes, les experts comptables, les juristes, etc.) (art. L. 434-6).

Par contre, dans plusieurs cas, le CE peut faire appel à un expert comptable rémunéré par l’employeur ; les frais de déplacement des réunions organisées à l’initiative du CE. Par contre, les frais de déplacement des réunions du CE organisés par l’employeur sont à la charge de ce dernier. les moyens de fonctionnement administratif du CE (par exemple, les salaires et les charges sociales correspondants à l’emploi de personnes assurant le secrétariat des réunions, les frais courants de fonctionnement comme la documentation, la papeterie, les frais de communication téléphonique, etc.).

Attention. Si l’employeur prend en charge certaines de ces sommes, elles pourront être déduites du montant de la subvention de fonctionnement versée au CE. Toutefois, la loi impose aussi à l’employeur de prendre en charge certaines dépenses sans qu’il puisse ensuite les déduire du budget de fonctionnement. Il s’agit notamment de la fourniture du local du comité d’entreprise, des primes d’assurance couvrant la responsabilité civile du CE, etc.

Au contraire, ce budget ne peut pas être utilisé pour financer :

* les frais relatifs aux activités sociales et culturelles ,

* les cadeaux ou secours au profit des salariés ou des représentants du personnel ;

* les dépenses personnelles des membres du CE non liée à l’exercice de leur mission, comme par exemple des frais de voyage ;

* les subventions à des organisations syndicales.

Source de ce point B : Wikipedia

A) 26 mai 1946 Loi sur les comités d’entreprise déposée par Ambroise Croizat

Vieille revendication du monde ouvrier, les comités d’entreprise sont nés de la volonté du Conseil national de la Résistance. D’abord sous la forme d’une ordonnance quasiment sans contenu puis 
dans un texte bien plus progressiste soutenu par Ambroise Croizat.

La revendication d’un accès des travailleurs à la gestion des entreprises est aussi vieille que le mouvement ouvrier. Elle traverse les luttes du XIXe siècle, s’affirmant notamment dès 1884 chez Schneider au Creusot par la volonté ouvrière d’imposer une gestion indépendante de la caisse de secours. Cette aspiration au contrôle des entreprises se prolongera dans les grèves lancées par les fédérations CGT des cheminots et des métaux entre 1914 et 1918 et surtout après 1920. Parce qu’elle était inspirée par l’expérience de la révolution soviétique, elle fut qualifiée de «  soviet d’usine  » par le Comité des forges. Portées par les mouvements de mai 1936, elles recevront un début d’application sous le Front populaire à travers l’institution des conventions collectives et des délégués ouvriers.

Avec les orages de la guerre, la suppression des libertés syndicales et l’institution de la charte du travail prônant la collaboration du capital et du travail, le régime de Pétain fit taire toutes ces revendications en les noyant dans de vagues «  comités sociaux  » désignés par le patronat lui-même. Il faut attendre l’affirmation de la résistance et l’espoir nourri au cœur des maquis d’offrir à la France un visage social de dignité pour voir germer ce que l’on appellera les comités d’entreprise.

Ils naissent à la convergence de deux réflexions collectives. La première est menée depuis le sol français par le Conseil national de la Résistance qui mûrit un programme où apparaît l’idée de l’association des travailleurs à la gestion des entreprises. La seconde est initiée sous la maîtrise d’œuvre d’Ambroise Croizat, depuis Alger. Nommé dès sa libération du bagne pétainiste par la CGT clandestine président de la commission du Travail de l’Assemblée consultative qui entoure le Comité français de libération nationale dirigé par de Gaulle, il façonne au cœur d’une équipe de syndicalistes les grands volets de l’invention sociale de la Libération. Au centre de cette innovation s’impose l’idée d’un véritable contrôle ouvrier de l’appareil économique.Son intervention sur Radio Alger le 6 janvier 1944 en donne la mesure  : «  Les larmes n’auront pas été vaines. Elles accoucheront bientôt, sur un sol libéré, la France de la sécurité sociale et des comités d’entreprise.  » Cette double réflexion peaufinée entre Alger et la France clandestine trouvera enfin réalité dans l’un des articles lumineux du programme du CNR publié le 15 mars 1944  : «  Nous réclamons l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale impliquant l’éviction des féodalités financières… et la participation des travailleurs à la direction de l’économie.  » Dans le climat insurrectionnel de la France libre, face à un patronat déconsidéré par sa collaboration, la classe ouvrière, grandie par sa résistance, va s’emparer des orientations du CNR pour tenter de créer de multiples «  comités spontanés  » visant à exiger un réel contrôle ouvrier des entreprises.

« Nous réclamons l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale impliquant l’éviction des féodalités financières… »

Ainsi naquirent une floraison de comités à la production, de comités patriotiques, et même des comités de gestion, comme ce fut le cas dans l’Allier et à Lyon. Il y eut même des réquisitions collectives avec directions provisoires à Marseille. Inquiet devant la poussée subversive de ces «  comités d’usine  » et poussé par les directions d’entreprise, le général de Gaulle orienta le débat vers la publication d’une ordonnance moins périlleuse pour l’ordre établi. Promulguée le 22 février 1945 par Alexandre Parodi, ministre du Travail, sous une forte pression patronale et contre les propositions avant-gardistes de l’Assemblée consultative menée par Croizat, elle déçut profondément les syndicalistes. Privant les comités d’entreprise de pouvoirs de décision économique, elle mettra uniquement l’accent sur l’autorité des nouvelles institutions en matière de gestion des œuvres sociales.

Il faudra attendre les élections de la «  Constituante  » d’octobre 1945 et la forte poussée communiste (26,2 % des voix) pour redonner aux CE les attributions réclamées par la classe ouvrière. Nommé ministre du Travail le 13 novembre 1945, Ambroise Croizat, par la loi du 16 mai 1946, modifie en profondeur l’ordonnance. Elle double le nombre des entreprises concernées en réduisant le seuil de l’effectif de 100 à 50 salariés, donne au CE un droit d’information (et non plus de consultation) sur l’organisation et la marche de l’entreprise. Doublant les heures de délégation des salariés élus et réduisant l’âge d’éligibilité à 21 ans, elle ajoute au pouvoir de l’institution le droit d’information obligatoire sur les bénéfices et les documents remis aux actionnaires ainsi que la précieuse assistance d’un expert-comptable. Au total et malgré les déréglementations qui vont suivre, le comité d’entreprise reste l’un des grands conquis sociaux du siècle, formidable outil d’émancipation populaire par le biais des activités sociales et culturelles.

REPÉRES

8 juin 1936. 
Accords 
de Matignon  : création des délégués du personnel.

19 novembre 1944. Ordonnance instituant 
les comités d’entreprise. 
Les questions économiques 
y sont consultatives.

26 mai 1946. Loi défendue par Ambroise Croizat.


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