La révolution haïtienne de 1791, trop longtemps occultée

lundi 31 août 2009.
 

Rendre justice à la révolution haïtienne dont la portée universelle a été longtemps occultée après la révolte victorieuse, en 1791, des esclaves de Saint-Domingue. Dans ce but, l’Unesco a organisé, du 21 au 23 août à Port-au-Prince, un colloque international sur « la révolution haïtienne et l’universalité des droits de l’homme ». La commémoration et le travail de mémoire avaient été troublés en 2004, année du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti, par les violents affrontements qui avaient précédé le départ en exil de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide.

« La révolution haïtienne a été un moment-clé de l’histoire de l’humanité », a souligné Pierre Sané, le sous-directeur de l’Unesco. Elle a donné corps au concept de l’universalité des droits humains. La première République noire est aussi devenue « le catalyseur de la libération des oppressions esclavagiste et coloniale ». Elle a apporté « la première contribution majeure et concrète au combat antiraciste mondial naissant ».

Cette révolution était « impensable », selon le mot de l’anthropologue Michel-Rolph Trouillot, en raison de sa radicalité face à la pensée dominante de l’époque. Elle a dépassé les révolutions française et américaine en étendant le concept de droits humains à l’ensemble de l’humanité, sans distinction de race ou de sexe. Les rédacteurs de la déclaration française de 1789 se référaient à l’homme occidental « blanc » lorsqu’ils écrivaient : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. » La révolution haïtienne ajoutera l’adverbe « tous » : « Tous les êtres humains... »

L’insurrection des esclaves de Saint-Domingue, la plus riche des colonies françaises, était considérée comme une « aberration de l’Histoire » par les puissances du XVIIIe siècle. Elle remettait en cause les fondements du système économique dominant : la plantation, productrice du sucre, dont l’importance dans le commerce international est comparable à celle du pétrole aujourd’hui, l’esclavage et la traite négrière. Face à la Société des amis des Noirs, le club Massiac, représentant le parti colonial, soutenait que la fin de l’esclavage provoquerait la faillite de l’économie française. Craignant la contagion dans leurs colonies, les grandes puissances de l’époque ont mis la jeune République noire au ban des nations.

En Europe et aux Etats-Unis, la presse a construit l’image d’une insurrection sanguinaire et sauvage ne méritant pas le nom de révolution. Les historiens, de Michelet à Renan, ont nié ou minimisé son impact. Dans l’histoire officielle, le corps expéditionnaire de Napoléon, envoyé pour rétablir l’esclavage et la colonie de Saint-Domingue, n’a pas été défait par les combattants haïtiens, mais par les épidémies. L’intellectuel haïtien Laënnec Hurbon a déploré que l’esclavage demeure « un impensé de la philosophie politique moderne », y compris chez des auteurs comme Michel Foucault ou Jürgen Habermas.

Le Martiniquais Aimé Césaire (Cahier d’un retour au pays natal), le Trinidadien C.L.R. James (Les Jacobins noirs), le Cubain Alejo Carpentier (Le Royaume de ce monde) et l’Afro-Américain Frederick Douglass ont été les premiers à rendre compte de la dimension de la révolution. « Haïti est la terre mère idéologique de la Caraïbe, le lieu où la lutte pour la liberté a produit une conscience collective, une nouvelle façon de penser la question raciale et de concevoir l’identité nationale », a relevé l’universitaire Michael Dash. Pour Césaire, Haïti est le lieu « où la négritude se met debout pour la première fois » et Toussaint Louverture est le restaurateur de la dignité des Noirs.

L’onde de choc de la révolution a accéléré l’abolition de l’esclavage dans les autres colonies françaises des Antilles et la fin de la traite, d’abord décrétée par le Danemark, en 1803. Internationalistes, les révolutionnaires haïtiens ont apporté leur soutien aux mouvements d’indépendance latino-américains : au Vénézuélien Francisco de Miranda dès 1806, à Simon Bolivar, au Mexique, et à la Colombie.

Certes, plus de deux siècles après cette épopée, la révolution est inachevée. Les droits humains ont été bafoués durant de longues périodes de dictature comme celle des Duvalier au XXe siècle. Haïti est aujourd’hui un des pays les plus pauvres de la planète, soumis à un semi-protectorat qui ne dit pas son nom. Sa souveraineté est limitée par la présence de 9 000 casques bleus. Plusieurs dizaines de milliers d’enfants, les restaveks, travaillent comme domestiques. « Haïti n’a pas su entrer dans la modernité », a regretté le chercheur haïtien Watson Denis. « Le doute persiste sur la portée universelle de la révolution haïtienne car Haïti a raté sa sortie de l’esclavage », a renchéri M. Hurbon. [1]

Plusieurs intervenants ont suggéré d’ancrer Haïti « dans le destin africain ». M. Sané s’est prononcé pour son adhésion à l’Union africaine. Il a préconisé « l’érection de l’ensemble d’Haïti en Patrimoine de l’humanité comme symbole de la résistance triomphante face à l’esclavage ». En hommage aux révolutionnaires haïtiens, le président du conseil exécutif de l’Unesco, le Béninois Olabiyi Yai, a appelé tous les pays du monde à inclure la lutte contre l’esclavage et la traite négrière dans les manuels scolaires.

(auteur inconnu)


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