Sécurité sociale : D’une main cachée dans le dos, la droite organise la baisse des recettes de la sécu et de l’autre pointe une augmentation des dépenses

mardi 18 août 2009.
 

Indiscutablement, les néo-libéraux ont, ces dernières années, emporté la bataille culturelle dans le débat politique, imposé une guerre des mots qu’ils ont à l’évidence gagnée. A tel point que la gauche a fini par ne débattre qu’en fonction des dogmes libéraux, s’y opposant certes, mais les plaçant ainsi au centre de la pensée politique... quand une partie de cette « gauche » a, elle, franchement repris à son compte les paradigmes du néo-libéralisme pour en faire la promotion tout juste teintée d’une atténuation, pompeusement nommé « justice sociale ».

Les combats sémantiques ne sont pas neutres, loin s’en faut. Ils cachent systématiquement des choix idéologiques. J’entame par ce billet un « contre-dictionnaire » libéral qui prétend mettre en perspective ces mots qui, repris à l’unisson par tous les bords de l’échiquier politique, empêchent le débat et tuent, avant même la moindre argumentation, toute pensée « différente », donc innovante.

Pourtant, contrairement à ce que font croire tous les « c’est une évidence... » ou les « tout le monde sait bien que... » qui habillent les discours politiques dominants, en politique ou en économie, rien ne va de soi : tout se démontre. Sauf à appauvrir le débat.

Aujourd’hui, le « trou de la sécu », ce fameux gouffre que tout le monde combat. La seule question qui semble se poser au pays étant : « comment le réduire ». Et pourtant...

Pourquoi la sécurité sociale, c’est-à-dire la santé des français, devrait-elle être équilibrée à elle seule ? Est-ce que l’éducation est rentable ? Par définition non, mais l’on dépense sans barguigner pour nos enfants sans se demander ce qu’ils rapportent, simplement parce que l’éducation est un bien pour lequel la collectivité paie. Pour le coup, c’est une évidence couramment admise. Est-ce que le service des pompiers est rentable ? Non, me répondrez-vous dans ce sourire que je devine.

Or, pour la santé, il faudrait entrer dans une bonne gestion en propre, un équilibre financier semblable à celui d’une entreprise du CAC 40. Des recettes affectées, auto-suffisantes et des dépenses contraintes dans ce cercle. Telle est le raisonnement qui se cache derrière l’expression « trou de la sécu »[1]

Quel autre domaine subit un tel diktat, celui de la dénonciation du « "trou" » ? Autant dire « de la mauvaise gestion », les mots seront plus clairs. Par exemple, Quelqu’un a-t-il pensé à qualifier de « trou » les milliards offerts par la droite aux plus aisés dans le paquet fiscal ? Il est fort dommage qu’il n’en soit pas ainsi parce que ce n’est plus un trou, c’est un gouffre abyssal.

Alors en ce début d’été, médias et UMP à l’unisson écarquillent les yeux devant les chiffres : 10 milliards de déficit en 2008. Pourtant ce chiffre est assez stable depuis 2003 ! Et à l’aune du budget général de lé Sécu (400 milliards), il est à relativiser et à rapporter à sa juste proportion... c’est-à-dire 2,5%.

Mais c’est surtout la prévision de solde négatif de 20 milliards pour 2009 qui fait hurler d’effroi la droite. Par "d’effroi", il faut en réalité comprendre "de bonheur" car, par une remarquable entourloupe démagogique et populiste, nos amis de l’UMP voient là l’occasion de démontrer qu’il faut « réformer » la sécu, c’est-à-dire la « ’détruire ». Et les diables ne s’en sont pas privés.

Aussitôt LE chiffre paru, les réactions ont fusé qui avaient toutes comme cible les reculs sociaux : augmentation de l’age de la retraite, baisse des dépenses de santé, traques des faux arrêts de travail : le festival attendu a bien eu lieu.

Pourtant, dans un solde, s’évaluent par définition les dépenses ET les recettes. Par un artifice idéologique, les troupes anti-citoyennes de Sarkozy pointent d’un même doigt les vilaines dépenses qu’il faudrait revoir à la baisse. Or dans le "pic" annoncé de 20 milliards, ce sont bel et bien les recettes qui font défaut. Et les raisons en sont connues. Beaucoup sont liées à la crise puisque les recettes de la Sécu reposent essentiellement sur les cotisations sur les salaires. Et les salaires ? Il y en a moins ! Et les salaires ? Ils sont moins hauts ! (La faute à qui ?) Et les salaires ? Une partie est défiscalisée du fait de ces heures supplémentaires 0% parfaitement imbéciles que ces Messieurs persistent malgré la crise à exonérer de toute cotisation ! Quant aux cotisations des entreprises, les gouvernements de droite passent leurs temps à légiférer pour les en dédouaner au maximum.

Bref, d’une main cachée dans le dos, la droite organise la baisse des recettes de la sécu et de l’autre pointe une augmentation des dépenses à qui il faudrait tordre le cou.

Et baisser les dépenses c’est, comme toujours avec les néo-libéraux, rendre responsable chaque français : traquer ceux qui abusent du système (sachant que si l’on estime à 2% la triche[2], je rappelle ici que 2% de 2% du budget général de la sécu, ce gouvernement qui prône l’efficacité a donc pris en main 0,04% de la question).

Mais peu importe pour eux, l’objectif n’est pas de résoudre le problème mais de gagner la bataille culturelle : faire entrer dans nos faibles esprits que le système redistributif et collectif, tel que nous le connaissons, n’est plus tenable, que chacun doit se sauver soi-même. L’individualisation forcenée de la société en somme.

Et la CNAM de proposer des mesures pour combler une partie du déficit, qui ont toutes la particularité de restreindre l’offre de soin et surtout... de ne jamais cibler ceux qui profitent très grassement du système de santé : les entreprises qui fabriquent les médicaments ! Sanofi-Aventis profite de la crise pour dégraisser en Ile-de-France et à Toulouse, mais fait dans le même temps des bénéfices pharaoniques et redistribue tant et plus à ses actionnaires. Et croyez-vous que dans la chaine de la santé, quelqu’un suggère que taxer Sanofi, Roche ou Pfizer serait envisageable ? Que nenni ! La chasse au médecin grugeur ou au citoyen fraudeur est ouverte[3] mais le tapis rouge pour les entreprises qui vivent de ce dont on crève est déroulé. Pourtant, un laboratoire comme Roche vient d’annoncer trois milliards d’euros de bénéfices pour le seul dernier semestre. Ce n’est pas la crise pour tout le monde[4].

La vérité est nue : ce gouvernement, sur le même modèle qu’il instrumentalise les peurs pour mettre en place une politique ultra-sécuritaire, instrumentalise les défauts de tous les systèmes de solidarité pour les démanteler et prôner la responsabilité individuelle : retraite, système de santé, déficit public, autant de sujets qui permettent à la droite de faciliter, selon un modèle anglo-saxon qui a pourtant montré -et plus encore à l’occasion de cette crise financière- qu’il ne fonctionnait pas, la retraite par capitalisation personnelle, l’assurance maladie individuelle ou le « moins d’État » en général.

Au fond, le sujet est plus philosophique qu’il n’y paraît. Lorsque le guépard surgit, les gazelles de droite estiment devoir toutes courir le plus vite possible pour sauver le maximum d’entre elles. Les gazelles de gauche estiment tout naturel de se regrouper en un même bloc et faire front pour les sauver toutes.

C’est de modèle qu’il s’agit. Et prétendre que le gouvernement actuel, du fait d’un vague saupoudrage de quelques mesures prétendument sociales, ne serait pas franchement néolibéral serait être aveugle et sourd à la réalité.

Le Guide Suprême de la Sarkolution™ l’a annoncé à Versailles le 22 juin dernier lors de son sacre quasi-rémois : « Nous serons au rendez-vous de la réforme des retraites (...) Quand viendra le temps de la décision à la mi-2010, que nul ne doute que le gouvernement prendra ses responsabilités (...) C’est une question d’honneur, de morale à l’endroit des générations qui vont nous suivre : nous ne laisserons pas un euro d’argent public gaspillé »

Quinze jours plus tôt, c’est l’assurance maladie qu’il entendait « moderniser », c’est-à-dire offrir au secteur privé : « Je souhaite que soient confiées de nouvelles responsabilités aux organismes complémentaires (…) La solidarité nationale, financée par des prélèvements obligatoires, continuera de remplir sa mission, a prédit le chef de l’Etat. Mais à ses côtés, d’autres formes de protection sont appelées à se développer. » Et vous avez quoi ? Nicolas a un frère[5] Guillaume Sarkozy, qui se trouve être, mais c’est bien entendu un hasard total, Directeur Général de Mederic, un groupe d’assurance-santé et assurance-retraite, autant dire un organisme complémentaire à qui Le Guide Suprême de la Sarkolution™ souhaite « confier des nouvelles valises de billets responsabilités ». Dingue, non ?

Dans le débat sur les retraites qui s’annonce, j’ose croire aujourd’hui que la gauche ne va pas se contenter d’une aimable conversation technique sur la prise en compte de la pénibilité dans le calcul des retraites ou d’une vague et molle protestation sur l’allongement de la durée des cotisations. L’heure est l’opposition frontale aux projets destructeurs des piliers de notre république par un gouvernement nauséabond. Non par anti-sarkozysme, mais par opposition à un modèle inacceptable pour de vrais gens de gauche.

Car au fond, il n’y a pas de « trou de la sécu », il n’y a que les dépenses d’une société solidaire pour ses malades et ses anciens. Notes

[1] ... qui ne veut d’ailleurs rien dire puisqu’il mélange pêle-mêle toutes les branches de la sécurité sociale : maladie, vieillesse, etc.

[2] estimation énorme ! La réalité doit être bien moindre.

[3] A tous, je recommande de lire ceci pour comprendre les méthodes de fabrication de statistiques totalement bidons de la part de la CNAM à propos des arrêts de travail, curieusement exploitées en à peine quelques jours par not’ bon ministre pour justifier ses mesures anti-sociales.

[4] ... Surtout quand un gouvernement surmédiatise une grippette faussement pandémique et pré-commandent, sans le moindre élément médical sur la gravité supposée du H1N1, 100 millions de doses de vaccins à des laboratoires qui sont parfaitement incapables de les fournir dans les temps : qui s’étonne que Sanofi, Pfizer ou Roche se portent comme des charmes ?!...

[5] « Monsieur » donc.

* Par Etienne FILLOL

* - contre-dictionnaire libéral


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