Après les élections européennes... des perspectives pour la gauche (une analyse d’Henri Pena Ruiz)

mardi 28 juillet 2009.
 

La droite est satisfaite. Sa base de classe a répondu présent, ce qui se comprend puisque la politique menée va dans le sens de ses intérêts. Une Europe libérale, antilaïque, antisociale, destructrice des services publics, se met en place. Le Parti socialiste, lui, récolte les fruits amers de ses atermoiements, voire de sa duplicité : voter, d’une part, le traité de Lisbonne et prétendre, d’autre part, défendre une Europe sociale, alors que l’un contredit l’autre. Sur fond d’abstention massive de l’électorat populaire, le Front de gauche vient malgré tout de réussir une belle percée, prometteuse pour l’avenir. Il ouvre la voie à une véritable alternative, aussi clairement à gauche que la droite est à droite. Celle d’une alliance pérenne, destinée à s’élargir à tous ceux qui veulent que la gauche soit vraiment la gauche, car ils en ont assez de ce capitalisme arrogant et des trahisons qui lui laissent les mains libres.

La gauche n’a pas à rougir de son histoire. Il faut en finir avec les complexes et les reniements qu’ils entraînent. Qui a défendu l’émancipation politique du peuple ? Ceux qui siégèrent à gauche dans l’Assemblée constituante le 28 août 1789. Qui a amorcé l’émancipation laïque tournée non contre la foi religieuse mais contre son instrumentalisation politique, source d’oppression et d’obscurantisme ? Qui a conçu l’instruction publique, destinée à « rendre la raison populaire » (Condorcet) pour un exercice éclairé de la citoyenneté ? Qui a redéfini la nation dans un sens universaliste comme patrie du vivre ensemble selon le droit, en lieu et place d’une nation fondée sur des particularismes sources d’exclusion ? Qui a lutté sans relâche pour des droits sociaux susceptibles de donner chair et vie aux droits politiques ? Aujourd’hui, dans un contexte de crise systémique du capitalisme, la gauche doit se ressaisir pour offrir au mouvement social une authentique perspective d’alternative à ce monde d’insolente injustice. Cinq orientations majeures peuvent redonner sens à l’espoir.

1 - Lancer une refondation politique et sociale de l’Europe, afin que les promesses de l’internationalisme cessent d’être synonymes de laminage de la souveraineté des peuples et de régression des droits sociaux. En quoi la concorde européenne impliquerait-elle la priorité donnée au profit capitaliste ? Il faut cesser de dégoûter les citoyens d’une belle idée en la confondant avec la dictature du grand marché. L’Europe des peuples, de la paix, de la culture, Victor Hugo en rêvait. Mais elle ne peut advenir que par la justice sociale. Celle-ci implique un nivellement par le haut, et non par le bas, du droit du travail et des conquêtes politiques inaugurées par la Révolution française. L’Europe doit être laïque et sociale.

2 - Développer la laïcité des Etats et des institutions publiques. La loi commune doit assurer non seulement la liberté de conscience mais aussi l’égalité de droits des divers croyants, des athées et des agnostiques. Tout privilège public, financier ou juridique, des religions est une discrimination inacceptable pour ceux qui ont d’autres convictions. Il s’exerce de surcroît au détriment des ressources publiques donc de l’intérêt général. La loi ne saurait être dictée par la foi : celle-ci ne doit engager que les croyants. La sphère morale et spirituelle est ainsi affranchie de toute tutelle. La laïcité est un principe d’émancipation et de concorde, propre à fonder une véritable fraternité en assurant la promotion du bien commun à tous.

3 - Refonder la souveraineté populaire en restituant au champ d’une citoyenneté active les compétences qui lui ont été ôtées au nom d’experts faussement neutres, car liés aux puissances dominantes du capitalisme et de son idéologie ultralibérale. Penser de nouvelles modalités de l’appropriation collective de tout ce qui est d’intérêt commun. Etudier des formes audacieuses du contrôle populaire du développement socio-économique mais aussi des décisions prises par les pouvoirs publics. Il faut refonder et reconsidérer la politique démocratique comme forme et moyen de la participation populaire à l’élaboration des règles communes. 4 - Développer les services publics pour assurer un accès égalitaire aux biens de première nécessité : la santé, l’instruction et la culture, le logement, l’accès à l’énergie, la communication et les transports collectifs. La République s’affirme non par un centralisme autoritaire qui instaurerait une hiérarchie géographique entre les régions, mais par une centralité sociale qui assure la solidarité redistributive. Elle le fait par la péréquation et une fiscalité progressive propre à contenir les inégalités dans des limites essentielles pour que soit assurée la dignité humaine de tous. L’école publique, par exemple, met la culture à la portée de tous, pour promouvoir une citoyenneté éclairée.

5 - Prendre en compte concrètement la dimension sociale de toute activité économique, afin de développer l’esprit de responsabilité de ceux de ses acteurs qu’obsède la seule rentabilité à court terme, source évidente d’exploitation et de négligence à l’égard de ses conséquences néfastes. Il est en effet irresponsable de laisser à la charge des pouvoirs publics le soin de réparer les dégâts écologiques d’une telle conception, mais aussi ses impacts humains : santé altérée, désespoir, sentiment d’exclusion, paupérisation liée au chômage, etc. Le droit du travail doit être réaffirmé et développé dans le sens d’un contrôle social de ce qui peut avoir des conséquences néfastes sur les êtres humains. D’où trois exigences conjointes : écologie sociale, code du travail, recherche active d’un mode de développement à la fois juste pour tous et responsable pour l’environnement.

Notre monde n’est pas en panne d’idéal. Nul dogmatisme, nul procès d’intention.

Mais la gauche doit oser être elle-même, en conjuguant tous les registres d’émancipation. « Et les bateaux repartiront vers la lumière » (Paul Eluard).


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