Montserrat Martinez et sa campagne pour établir la vérité sur les fosses communes de Franco

dimanche 28 juin 2009.
 

Montserrat Martinez Soler est une femme remarquable. Elle est en première ligne de la campagne pour établir la vérité sur les fosses communes qui contiennent les dépouilles des républicains et des gens de gauche tués par les forces de Franco durant la Guerre civile espagnole (1936-1939) et le régime qu’il a établi ensuite. Les estimations indiquent que les fascistes ont tué 300 000 opposants politiques, en ont emprisonné 500 000 et en ont contraint autant à partir en exil. Il n’y a jamais eu d’enquête officielle sur ces atrocités.

Le grand-père de Montserrat, Juan Soler, a été tué au cours de la bataille de Vic en février 1939, lorsque les forces de Franco ont mené leur dernier assaut vers la capitale catalane, Barcelone. Juan, qui vivait et travaillait dans la ville de Gava, à quelques kilomètres au sud-ouest de Barcelone, s’est porté volontaire pour participer à la défense des abords de la capitale au nord, mais il y a été tué. Juan et trois de ses camarades de Gava ont été enterrés dans une fosse commune avec un certain nombre d’autres soldats inconnus sur le flanc de montagne à Gurb près de Vic.

Dans la vidéo qui accompagne cet article, Montserrat commence par expliquer à la journaliste du World Socialist Web Site Vicky Short que, quelques jours après la mort de Juan, son épouse (la grand-mère de Montserrat) a demandé à l’évêque de Vic de lui accorder un enterrement chrétien dans sa ville, mais qu’on lui a répondu que « c’était des ennemis, c’était des rouges et qu’ils ne pouvaient pas être enterrés dans un cimetière. »

La tombe à Gurb

Durant les 70 années qui ont suivi, poursuit Montserrat, des générations successives de la famille de Juan Soler ont rendu une visite chaque année sur la tombe à Gurb pour l’entretenir et y mettre des fleurs pour garder vivant son souvenir. Elle explique qu’il était impossible de faire plus que cela durant les années de dictature, et que même après la mort de Franco en 1975 avec la « transition vers la démocratie », cela était toujours difficile.

Pendant la transition, le Parti socialiste (PSOE) et le Parti communiste (PCE) ont défendu les intérêts du capitalisme espagnol et permis aux fascistes de s’en tirer sans être condamnés. Ce sont eux qui ont fait passer la loi de 1977 qui accorde une amnistie aux fascistes et un « pacte d’oubli » tacite en ce qui concerne leurs crimes.

Montserrat se rappelle qu’on lui a dit à l’époque, « Et bien maintenant… on recommence tout, et nous devons oublier le passé. »

Dans la vidéo, Montserrat raconte comment a commencé un mouvement pour la construction d’un « Mémorial démocratique » pour ceux qui ont été tués dans la Guerre civile, ce qui l’a encouragée à poursuivre la démarche pour son grand-père. Elle dit que sa détermination s’est trouvé renforcée lorsque le gouvernement du Parti populaire (PP) de José Maria Aznar a annoncé qu’il se proposait de ramener de Russie les corps des fascistes qui avaient combattu dans la Division azul [bleu] aux côtés des nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.

L’hostilité croissante contre le PP a éclaté lors des élections de 2004, lorsqu’il est apparu que le PP avait menti en accusant les nationalistes basques pour les attentats du train de Madrid afin de cacher le lien entre ces attentats et l’implication de l’Espagne dans la guerre en Irak. Le PP a été chassé de son poste et le PSOE de José Luis Rodriguez Zapatero est arrivé au pouvoir.

Dès le début, Zapatero était parfaitement conscient que son gouvernement devait faire face à un mouvement vers la gauche de la classe ouvrière espagnole, qui se traduisait par des demandes aux héritiers de Franco d’une forme de compensation, et par la multiplication des sociétés de conservation de la mémoire historique. Le gouvernement Zapatero a essayé de calmer le mouvement par une loi sur la mémoire historique de 2007, mais ses dispositions sont minimes. Toute la charge du lancement des procédures repose sur les familles, et des critères stricts doivent être respectés avant qu’un comité d’évaluation puisse approuver une enquête. Il doit y avoir des preuves historiques de l’existence d’une tombe avant qu’il puisse être envisagé de l’ouvrir, mais comme l’a fait remarquer un des chercheurs, pour l’instant, les principaux documents faisant référence à la répression fasciste sont soit détruits soit sous bonne garde. Le statut juridique des archives de la justice militaire reste une question en suspens, et les autorités ecclésiastiques refusent d’ordonner aux prêtres d’ouvrir l’accès à leurs registres.

Montserrat parle aussi d’avoir eu à remplir « des papiers et encore des papiers » des années durant avant que l’exhumation de la tombe de son grand-père soit seulement envisagée. Et, comme elle le fait remarquer, l’exhumation qui a lieu à Gurb n’est qu’un « coup d’essai » sans aucune garantie que le gouvernement catalan ne réponde aux 2000 requêtes d’exhumation qu’il a reçues de la part d’autres familles.

Parmi les objets sortis de la tombe, il y avait des restes humains, des vêtements, des couverts et des munitions.

Le processus d’exhumation de la tombe de Gurb s’est terminé au printemps 2008, et les restes de 13 corps ainsi que de nombreux objets, ont été transférés à un laboratoire de l’Université autonome de Barcelone pour identification. Un objet particulièrement émouvant est une bouteille en verre contenant un message très décomposé dont on suppose qu’il est lié à l’enterrement des soldats. Montserrat loue le « grand soin et l’affection » des 12 scientifiques qui ont mené l’exhumation.

Les recherches préliminaires sur les squelettes ont montré des signes de fractures qui peuvent avoir été causées par des balles, et cinq crânes ont subi des dégâts qui peuvent être dus à des tirs à la tête. Une autopsie complète devait être terminée à la fin 2008, mais Montserrat n’a pas encore reçu les résultats officiels.

En raison du travail acharné des sociétés pour la conservation de la mémoire historique pour révéler les noms des 114 266 personnes que l’on a fait disparaître entre 1936 et 1951 et pour les présenter dans des pétitions devant la Cour nationale, le principal juge d’instruction Baltasar Garzon a annoncé le lancement d’une enquête l’année dernière. Des pressions sont également venues d’organisations comme Amnesty International ou la Commission pour les droits de l’Homme des Nations unies.

Garzon a accusé Franco et 44 collaborateurs d’atteintes aux droits de l’Homme contre des opposants politiques et a attiré l’attention sur les dizaines de milliers d’enfants des victimes des fascistes qui avaient été enlevés et proposés à l’adoption en « effaçant leur identité ». Il a donné l’ordre d’ouvrir des centaines de fosses communes, dont celles qui sont incluses dans l’énorme mausolée dédié à Franco qui domine toujours la campagne autour de Madrid.

Le mausolée de Franco près de Madrid

Cependant, en l’espace de quelques jours, sous la pression des politiciens de droite, des médias et de l’Église (et aussi de l’ex-chef du PCE, Santiago Carrillo, qui avait déclaré son opposition aux investigations de Garzon) le procureur général du gouvernement a interjeté appel contre les actions du juge en affirmant que celui-ci n’avait aucune compétence sur les crimes couverts par la loi d’amnistie de 1977. Garzon a abandonné ses investigations avant que la Cour nationale ne se prononce contre lui et a confié ces recherches aux cours provinciales, dont beaucoup ont déjà annoncé qu’elles ne se considèrent pas compétentes pour les poursuivre.

Des représentants des sociétés de conservation de la mémoire historique accusent le gouvernement Zapatero d’avoir utilisé toute l’affaire Garzon pour retarder de nouvelles investigations et faire capoter le mouvement pour la vérité, qui lui échappait de plus en plus.

Des millions de gens qui avaient espéré qu’il y aurait enfin un semblant de justice pour les victimes de Franco ont vu leurs espoirs cruellement déçus. Il est clair que la classe dirigeante espagnole est toujours déterminée à utiliser les accords conclus immédiatement après la mort de Franco en 1975 pour empêcher toute approche sérieuse de ce qui s’est passé sous sa dictature.

Même confinées à un cadre aussi étroit, les enquêtes de Garzon ont été considérées comme trop dangereuses. La fracture sociale et politique qui s’élargit fait peser une trop grande menace sur les accords constitutionnels établis lors de la transition.

Cependant, les dernières manœuvres en date ne peuvent pas mettre fin à l’exigence de justice ni éradiquer les souvenirs amers de l’ère fasciste. Ces sentiments ne peuvent que se développer avec l’aggravation de la situation sociale et politique.


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