Eglise catholique, sexe et mariage

lundi 21 janvier 2019.
 

L’Eglise catholique, sous l’autorité du pape François, tente tant bien que mal aujourd’hui d’adoucir ses dogmes dans le domaine des moeurs. Or, ce qu’il faut bien voir, c’est qu’il ne s’agit pas vraiment d’y renoncer, sauf sur des points mineurs dont la réforme n’est même pas acquise, mais de modifier l’attitude à l’égard de ceux qui y contreviennent en leur manifestant plus de "miséricorde" ou de bienveillance. Quels sont ces dogmes et en quoi sont-ils scandaleux ? J’en retiens les principaux, énoncés dans l’Encyclique Dans la splendeur de la vérité de Jean-Paul II (éd. Centurion).

1 Le mariage est l’union indissoluble d’un homme et d’une femme devant Dieu, ce qui voue ceux qui le rompent à commettre un péché qui, s’il est grave, n’est cependant pas mortel (si j’ai bien compris). Ils sont cependant considérés comme coupables d’un mal et le divorce est donc moralement interdit.

2 Du coup, toute possibilité pour les divorcés remariés de recevoir les sacrements de l’Eglise (comme la confession et la communion) leur est interdite, ce qui signifie qu’ils ne peuvent plus se considérer comme réellement chrétiens, alors que la plupart d’entre eux (les divorcés remariés civilement, donc) le revendiquent pleinement. Et ils n’ont plus le droit, bien entendu, de se remarier à l’Eglise. Sur ce double point crucial, aucune modification doctrinale n’est envisagée à terme. Hors du mariage à vie, point de salut ! On voit l’énorme poids de culpabilité imaginaire dont on dote ainsi ceux qui veulent échapper à un mariage raté, avec les conséquences familiales douloureuses, parfois désastreuses, que cela représente souvent ; ils y renoncent finalement alors que, de toute façon, leur foi n’aurait pas été en cause ! La fidélité artificielle imposée de l’extérieur, avec ses méfaits psychologiques, est imposée au détriment de la sincérité et de l’authenticité des sentiments !

3 Tout autant, le mariage dans sa dimension sexuelle est placé à l’enseigne de la procréation, c’est sa justification fondamentale (et non l’amour interindividuel), à savoir le renouvellement de la vie, chose sacrée en quelque sorte in abstracto. J’en tire une conséquence immédiate en ce qui concerne la sexualité. Celle-ci, même si elle n’est pas condamnée en elle-même, il faut le reconnaître, "doit rester ouverte à la procréation" (Catéchisme officiel). Cela signifie une chose de taille, à savoir qu’est récusée l’idée que la sexualité constitue un domaine propre de la vie ayant pour fin le plaisir du corps en tant qu’il est sexué. Ce point s’inscrit d’ailleurs dans une problématique plus vaste où le corps est dévalorisé au profit de l’esprit et de son ouverture à Dieu : il y a un "péché de chair" ou un esclavage de la chair dont l’érotisme est banni, comme il y a un pêché de gourmandise, de fornication, etc.

4 D’où une première conséquence concrète : l’interdiction de tout ce qui pourrait empêcher la possibilité de la procréation dans l’acte sexuel, à savoir la contraception. Tant pis pour les familes nombreuses et pauvres où la femme ploie sous la charge de ses multiples et successives fonctions de mère, sans avoir les moyens de se faire aider.

5 D’où aussi la condamnation, elle claire et nette, sans nuances, de la sexualité hors mariage, adolescente par exemple, comme de toutes les pratiques sexuelles qui, par définition, ne peuvent conduire à la procréation : le coït anal, la fellation ou la masturbation. A nouveau, l’interdit du plaisir purement sexuel !

6 Enfin, il y a la condamnation de l’homosexualité (ce qui n’empêche pas les prêtres de la pratiquer, y compris sous la forme de la pédophilie...) et ce pour la même raison : elle ne contribue pas à la procréation. On retrouve d’ailleurs cette condamnation dans les deux autres religions monothéistes, et il s’y ajoute un jugement de valeur proprement dépréciatif et insupportable : elle serait anti-naturelle et elle doit alors être considérée comme un vice lié à une déviation de la nature. Cette homophobie est inacceptable à plusieurs titres : elle nie les découvertes de la psychanalyse sur la complexité de la sexualité humaine, elle engendre le mépris à l’égard d’une "orientation sexuelle" qui n’a pas été choisie et qu’on peut considérer comme normale, non au sens statistique mais au sens où elle est naturelle chez certains, et elle nourrit de fait des comportements homophobes un peu partout (allant jusqu’à la violence ou le meurtre) qui s’appuient sur un pareil préjugé. Enfin, elle se meut dans une contradiction insoluble d’un point de vue catholique : si la nature, créée par Dieu, est déclarée bonne par ce seul fait, pourquoi la nature des homosexuels, eux aussi crées par Dieu, devrait-elle être jugée mauvaise ?

Je m’arrête là et n’envisage pas le refus par l’Eglise, qui va demeurer, de l’invention de nouveaux rapports familaux et je pose pour finir la question fondamentale : en quoi tout cela est-il scandaleux étant donné que personne n’est forcé d’être chrétien et catholique ?

Premier élément de réponse, que j’emprunte non à Marx (comme on pourrait s’y attendre de ma part) mais à Nietzsche : toutes ces prescritions ou interdits véhiculent une haine de la vie sensible, naturelle, avec son inventivité propre et les plaisirs profanes qu’elle apporte, qui font du christianisme institué une formidable puissance anti-vie. Il a constamment nié le corps au nom d’un "arrière-monde" divin ou spirituel décrété infiniment supérieur, et il l’a fait soit en son sein (le célibat des prêtres, le culte, les couvents, les martyres, etc.), soit à l’égard de ses fidèles qu’il n’a cesé de culpabiliser dès lors qu’ils s’intéressaient au monde terrestre. Il a donc meurtri l’homme, il l’a mutilé au point de générer une véritable névrose religieuse (voir aussi Freud dans L’avenir d’une illusion). Et je précise, pour répondre à l’autre aspect de l’objection, que la religion n’est pas choisie, ou si peu : elle est le plus souvent le résultat d’un immense conditionnement, voire d’un endoctrinement qui commence dès l’enfance, qui laisse des traces douloureuses et auquel on échappe difficilement par la suite : tout le monde n’a pas la chance de devenir philosophe !

Deuxième élément de réponse, auquel on ne songe guère faute du vocabulaire adéquat. En se prononçant dans le domaine des moeurs individuelles au nom du Bien et du Mal, l’Eglise (et pas seulement la catholique) commet une erreur philosophique grave : elle confond le champ de l’éthique et celui de la morale. Toutes deux ont en commun des valeurs (ou des valorisations), mais celles de la première, l’éthique, sont personnelles et facultatives, n’engageant que des préférences existentielles liées à notre vie individuelle sur lesquelles la morale n’a pas à se prononcer dès lors qu’elles ne contreviennent pas à cette dernière. Elles ne définissent qu’un Bon et un Mauvais pour tel ou tel individu ou groupe d’individus (une Eglise, par exemple !). Les valeurs de la morale, elles, sont au contraire universelles et obligatoires - le respect d’autrui, par exemple - et elles concernent nos rapports aux autres (d’où ses conséquences en politique). On voit alors la nature de l’erreur commise : l’Eglise catholique (comme toutes les Eglises) a investi d’une manière indue le domaines des moeurs individuelles en leur attribuant une signification et une valeur morales qu’elles n’ont pas. Elle a donc transformé son éthique en morale : c’est la forme première du moralisme - la confusion par conséquent de ces deux domaines - et cela en a fait dans le passé le type premier et parfait du totalitarisme (avant même que les régimes staliniens et les divers fascismes ne l’imitent). Le drame est que ce passé continue, heureusement bridé par la démocratie ambiante (pas partout, cependant !) et par l’évolution des chrétiens eux-mêmes hors de l’Eglise. On demandera cependant, en insistant, à l’Eglise officielle de se préoccuper davantage de morale, au sens vrai de ce terme (normes universelles, respect de la personne humaine, autonomie de l’individu), avec les conséquences inévitables qu’elles doivent avoir en politique (comme l’exigence d’égalité et de justice sociales), et de laiser les êtres humains libres d’inventer leur vie individuelle.

Yvon Quiniou


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