Malgré le froid, le fond de l’air est rose rouge (petit billet d’actualité)

vendredi 26 décembre 2008.
 

Jeudi 18 décembre 14h30, je sors en voiture de Rodez, lorsque nous croisons avec Anne Marie, environ 300 jeunes du lycée agricole de La Roque. Arrivant à pied de leur lointain établissement, ils montent l’avenue de Paris sur toute sa largeur derrière deux des leurs qui ralentissent la circulation. Moyenne d’âge : 16 ans ; première manifestation pour tous. Le slogan repris à tue-tête n’a rien de spécifique "Darcos t’es foutu, La Roque est dans la rue". Pourtant, c’est touchant. Mes mains se mettent à rythmer le slogan. Les lycéens sont enthousiasmés par mon geste comme si tout Rodez les acclamait. Nous battons tous des mains ; un autre automobiliste s’y met. Ces petits faits en disent autant sur le contexte actuel que la plus longue des analyses.

Jeudi 18 décembre 18h30. J’arrive sur l’Aubrac pour un rendez-vous médical d’un membre de ma famille. La nuit est déjà tombée. Pas un chat dans les rues. Cinquante centimètres de neige. Une ombre surgit, serrée dans un grand manteau, le visage caché par une large écharpe. "Tiens, monsieur Serieys", m’apostrophe-t-elle. A peine ai-je reconnu une connaissance essentiellement croisée voici quinze ans dans le milieu local du football qu’une voix déterminée jaillit de l’écharpe "j’ai entendu Mélenchon l’autre jour à la radio ; je suis vraiment d’accord avec lui ; vous avez raison de quitter le PS ; comme ça, on se sent mieux représenté. Avec la crise, tous ces licenciements, le changement de statut de la Poste, le peuple a besoin de se reconnaître dans un discours vraiment à gauche". Nous parlons quelques minutes. Il me quitte sur une sentence "Le fond de l’air est froid mais la gauche est rose rouge". Entendre ça à Saint Amans de Côts, c’est plus inattendu que les voix de Bernadette Soubirous. Je pèse son argumentation sur l’électorat rose qui rougit au filtre de mon expérience. Lorsque la droite est au pouvoir trop longtemps, une bonne partie de l’électorat socialiste habituel se radicalise comme dans les années 1965 à 1968. Dans un contexte de crise économique, le cocktail peut être détonnant.

Vendredi 19 décembre 11h. Je saisis quelques paroles de lycéens. L’un d’entre eux décharge sa colère froide sur "les riches". Il devait recevoir une console de jeux pour Noël et le cadeau a été reporté pour cause de chômage technique du père. Je survole ce sujet car le lecteur ne me croirait peut-être pas ; surtout, je tiens à garder une certaine réserve vis à vis de ce jeune. Depuis le milieu pauvre qui suivait les opérations de la Gauche Prolétarienne voici bientôt quarante ans, je n’avais pas entendu de propos aussi durs.

Samedi 20 décembre 18h. Village d’Entraygues sur Truyère. J’en sors. Retraite aux flambeaux pour marquer le début des fêtes de fin d’année. Petite collation sur une place. Vin chaud (un excellent merlot). Soupe au fromage. Charcuterie. Fougasse... Je bois un bon verre avec Dédé, Jeannot, Michou et quelques autres. "T’as vu le Sarko ; il a filé l’argent de la Caisse des dépôts aux banquiers, et maintenant il veut la regonfler en piquant l’argent de La Poste". "J’aime le vin parce que c’est rouge". "Le 29 janvier, on monte tous ensemble à Rodez". Tout à l’avenant. Ce n’est pas en nommant le PDG des chaînes publiques que la droite pourra empêcher le milieu populaire d’écrire ses propres journaux télévisés. Je suis persuadé que le MEDEF a eu tort de gagner les élections présidentielles de 2007.

Encore émoustillé par le vin chaud, je m’assois devant le clavier pour mettre en ligne ce billet d’actualité : "Oui, malgré le froid, le fond de l’air est rose rouge".

Jacques Serieys


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message