Cinéma : Hunger : un film choc sur Bobby Sands, combattant de l’IRA mort en prison en 1981 après 66 jours de grève de la faim.

vendredi 28 novembre 2008.
 

Le 5 mai 1981, Bobby Sands meurt à la prison de Maze, près de Belfast, à 27 ans, après 66 jours de grève de la faim. Le jeune homme est un des leaders des prisonniers de l’IRA (Irish Republican Army). Il a été élu, un mois avant sa mort, député à l’Assemblée de Westminster, mais il n’y siégera jamais : son corps rejoint le cercueil que vont veiller deux hommes de l’IRA en uniforme. Le journaliste de Libération Sorj Chalandon l’a vu clandestinement le 7 mai, deux jours après la mort : « Le cercueil était levé, posé contre un mur. Sur le satin blanc, un visage de cire. Poudré, maquillé de vie, du coton dans les joues. Ses os perçaient. Il était translucide. Entre ses doigts, le petit crucifix envoyé par le pape. Un visage, deux mains, et puis rien. Un corps en creux. »

On sait peu de chose de Bobby Sands, hors cette mort de martyr. En octobre 1972, il est arrêté dans une maison de Belfast. Quatre pistolets y sont cachés et, à 18 ans, on le soupçonne de servir de planque et de relais pour les militants catholiques, ce qui lui vaut cinq ans de prison. Bénéficiant d’un statut spécial en tant que combattant de l’IRA - proche du prisonnier de guerre -, il étudie et se forme à la cause irlandaise. Il apprend le gaélique, écrit des poèmes et des textes politiques. Libéré, il se marie, a un fils, puis retourne en prison, arrêté avec un pistolet sur lui et condamné à quatorze années supplémentaires.

Mais, depuis mars 1976, le statut spécial des prisonniers a été aboli : les combattants de l’IRA sont désormais des « droit-commun », et Bobby Sands mène la lutte sur ce front. Dans la nouvelle prison de Maze, lui et ses compagnons refusent de porter l’uniforme carcéral. C’est le blanket protest (ils s’enroulent de couvertures autour du corps). Puis vient le no wash protest , quand les prisonniers refusent de se laver et vivent nus, à même leurs excréments. Ils formulent cinq demandes : pas d’uniforme carcéral, pas de travail obligatoire, libre association, une visite, un colis, une lettre par semaine, et la remise normale des peines.

Avec l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher, en 1979, la discipline est impitoyable : fouilles, passages à tabac, lavages au jet d’eau, rasages musclés... La détermination de Bobby Sands en est renforcée et, en octobre 1980, sans l’aval de l’IRA, cet homme qui depuis quatre ans vit nu, hirsute, dans une saleté et une puanteur repoussantes, décide d’entamer une grève de la faim totale, dont l’issue ne peut être que la mort. Il est suivi par huit hommes. Tous périront entre mai et octobre 1981.

Hunger, le premier long-métrage de l’artiste et vidéaste anglais Steve McQueen (impressionnant Noir britannique qui n’a rien à voir avec l’acteur mythique), suit Bobby Sands et les prisonniers de l’IRA depuis le moment du passage au no wash protest jusqu’à la grève de la faim. C’est un film choc, d’une grande maîtrise formelle, l’une des révélations du dernier festival de Cannes. Filmant au plus près les corps et les souffrances qu’on leur inflige ou qu’ils s’infligent, Steve McQueen parvient à s’extraire de la reconstitution historique pour atteindre à une forme de manifeste esthétique, jamais esthétisant : il donne à voir, frontalement, les corps des victimes et des bourreaux, pour faire entendre, littéralement, les textes des revendications et de la répression, pour évoquer, visuellement, les attentes, les désespoirs et les rêveries des militants irlandais de la prison de Maze.

« Avec Hunger, dit Steve McQueen, je souhaitais montrer à quoi pouvait ressembler le quotidien d’un prisonnier dans le quartier H en 1981. Ce que j’ai cherché à transmettre dans mon film, c’est ce qu’aucun livre et aucune archive ne révèle jamais : la dimension à la fois ordinaire et extraordinaire de la vie carcérale pour ceux qui meurent pour servir leur cause. Cette conception du corps comme champ de bataille politique est une notion des plus actuelles. Il s’agit de l’acte de désespoir ultime car le corps humain est la dernière ressource de la contestation. »

En filmant ainsi le corps « comme [un] champ de bataille », Hunger fait œuvre historique. Car il montre la seule arme que ces prisonniers catholiques peuvent alors opposer à la « Dame de fer » : une protestation christique, un martyrologue de type baroque, une cérémonie du corps souffrant reprise tel un nouvel Évangile, par les Irlandais, propagé par les chansons, les poèmes, les graffitis.

Le gouvernement britannique cédera bientôt, à la fin de l’année 1981, accordant leurs droits aux prisonniers de l’IRA, sans toutefois leur reconnaître officiellement le statut de prisonnier politique. Ce que Hunger souligne ainsi, en grand film d’histoire, est que ce conflit sanglant (2 187 personnes ont été tuées, dans les deux camps, entre 1969 et 1981) fut longtemps, à travers ce champ de bataille corporel, une irréductible lutte des symboles.


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