Hommage. Michel Piccoli, l’homme qui voulait vivre ses rêves

vendredi 22 mai 2020.
 

L’acteur est mort dans sa quatre-vingt-quatorzième année. Sa carrière, au cinéma comme au théâtre, est des plus impressionnantes. Il a travaillé avec les plus grands metteurs en scène de son temps. Un acteur populaire au service de son art.

Il n’était pas particulièrement beau. Il était plus que beau. Il avait un charme incroyable, un regard tendre, amoureux qui, soudain, s’assombrissait, passant de la ­tendresse à la colère sans crier gare. Il avait un sourire cajoleur, enrôleur, ironique ou carnassier. Tout dépendait de qui était derrière la caméra. Tout ­dépendait de son personnage, du rôle qu’il incarnait, distillant des charges émotionnelles d’un haussement de sourcil, d’un chapeau qu’il relevait négligemment, d’un imperméable qu’il jetait élégamment sur ses épaules. Tout semblait naturel, mais derrière ce naturel se cachait un acteur qui avait la passion de son métier, qui avait l’intelligence du texte, qui ne laissait rien au hasard, qui étudiait son personnage dans les moindres détails, et les détails, au cinéma comme au théâtre, sont essentiels.

Il démarre sa carrière d’acteur immédiatement après la guerre. Il n’a pas fait le conservatoire, a suivi les cours Simon et entre par ce qu’on appelait alors la petite porte du cinéma, avec quelques apparitions dans des films de Christian Jacques, ­Raymond Rouleau, Louis Daquin, René Clément, Jean Delannoy, Renoir… En 1962, il tient un second rôle dans le Doulos, de Jean-Pierre Melville. Est-ce ce film-là en particulier ou la constance de son engagement, quelle que soit l’importance du rôle, depuis une décennie qui le propulse parmi les acteurs français les plus demandés dans le métier  ? En 1963, il est à l’affiche du Journal d’une femme de chambre, de Buñuel, du ­Mépris, de Jean-Luc ­Godard, de Paparazzi de Jacques Rozier, un making off du Mépris où on le retrouve aux côtés de Brigitte Bardot, et fait une apparition dans une pièce de théâtre télévisée, Adieu Philippine, du même Jacques Rozier. Il enchaîne dans les films de Costa-Gavras, d’Agnès Varda, de Peter Ustinov, de Roger Vadim, de René Clément, une dizaine de films pour la seule année 1965. En 1966, il incarne Monsieur Dame, le père secret du petit frère des Demoiselles de Rochefort. Dans les décors ripolinés de Jacques Demy, Piccoli fredonnant devant un piano d’un blanc étincelant une chanson d’amour est à ­tomber… Cette même année, il retrouve Buñuel dans Belle de jour  : il est Henri ­Husson, personnage mystérieux, cynique jusqu’au bout des regards concupiscents qu’il promène sur la silhouette de Séverine (Catherine Deneuve). L’année suivante, nous sommes en 1967, il joue de nouveau dans un film de Costa-­Gavras (Un homme de trop) et initie le beau Benjamin aux plaisirs de la chair et du libertinage dans Benjamin ou les mémoires d’un puceau, de ­Michel Deville, dans les bras d’Anne de Clécy (Catherine Deneuve).

Complicité avec Romy Schneider

Dans la Chamade, adapté du roman de Françoise ­Sagan par Alain Cavalier, Il est le riche amant de la jeune Lucile, qui lui échappera avant de revenir vers lui, celui qui, en dépit de son âge, la laisse vivre à sa guise. C’est la première rencontre cinématographique avec Romy Schneider. Leur couple à l’écran marque une complicité amoureuse que le spectateur va suivre, de film en film, de chanson en chanson, de baisers volés en caresses passionnées. Il est Pierre, elle est Hélène dans les Choses de la vie, de Claude Sautet. Il est Max, elle est Lily, dans Max et les ferrailleurs, où tout les oppose, leur milieu, leur boulot, leur vie, mais ils s’aiment, en secret, en silence. Dans César et Rosalie, il est la voix off qui vient combler les silences de ce trio amoureux interprété par Romy Schneider, Yves Montand et Sami Frey. Il recroise furtivement Romy Schneider dans Mado, toujours de Sautet…

Il y eut un avant et un après Sautet. Mais cet avant comme cet après témoignent d’un engagement, d’une joie et d’un désir de cinéma des plus impressionnants. Que ce soit dans les premiers ou deuxièmes rôles, qu’il ne prête que sa voix, qu’il joue avec des réalisateurs de renom ou des ­débutants, Piccoli ne faisait jamais les choses à moitié, attentif à ses partenaires de jeu, aux consignes du réalisateur, même s’il pouvait les contester, aimable, simple, discret. Il disait être «  souvent tombé amoureux des metteurs en scène  » avec qui il avait travaillé. Au cinéma, comme au théâtre.

Piccoli n’a jamais été un jeune premier, mais il a été de la jeunesse de tant d’entre nous, toutes générations confondues, tous milieux confondus. Il avait 38 ans quand Brigitte Bardot lui demandait dans le Mépris  : «  Et mes fesses, tu les trouves jolies mes fesses  ?  » Il a été le copain, l’oncle, le mari, le beau-frère, le flic, le médecin d’une France métamorphosée, d’une France en noir et blanc à celle du XXIe siècle. Il a même été ce fabuleux pape de Nanni Moretti ­tétanisé par le doute, effrayé, s’échappant dans Rome. Il a tenu dans ses bras, joué avec les plus grandes actrices de son temps Brigitte Bardot, Jeanne Moreau, Annie Girardot, ­Catherine Deneuve, Romy Schneider, Andréa Ferréol, Miou Miou, Jane Birkin, Juliette Binoche, Dominique Blanc…

C’était un acteur populaire au sens noble du terme, un acteur qui ressemblait au monde dans lequel il vivait, à qui tout le monde pouvait s’identifier à un moment ou à un autre de sa vie. Il ne choisissait pas les films pour choisir un rôle  ; ce qui comptait à ses yeux, c’était le projet, le texte, le metteur en scène.

Le cœur à gauche

Acteur engagé dans ses films, il l’était aussi dans la vie. Il avait le cœur à gauche, soutenant le Mouvement de la paix, Amnesty International. Aux côtés de Jack Ralite, il a joué un rôle essentiel pour la constitution des états généraux de la culture, tous deux liés par une amitié ­fraternelle et une connivence politique à toute épreuve. «  Le combat de la vie est toujours politique… et par les temps qui courent, il est toujours nécessaire  », disait-il…

Il y a eu le Piccoli de Sautet. Mais aussi le Piccoli de Luis Buñuel, de Godard, de Manoel de Oliveira, de Leos Carax, de Nanni Moretti, de Fleischman, de Tavernier, de Costa-Gavras, de Richard Dembo, de Youssef Chahine, de Louis Malle, d’Édouard Molinaro, de Jean-Claude Brisseau, de Luis Berlanga, de Raoul Ruiz, de Rivette, de Jacques Demy, d’Agnès Varda, de Pierre Granier-Deferre, de Claude Chabrol, de Jacques Doillon, de Claude Lelouch, ­d’Ettore Scola, de Marco Ferreri, de Marco ­Bellocchio, des frères Larrieu… Il est passé de l’autre côté de la caméra trois fois, réalisant Alors voilà, la Plage noire et C’est pas tout à fait la vie dont j’avais rêvé… Peut-être, mais il a su accompagner les nôtres.

Marie-José Sirach, L’Humanité


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