Fascisme et concurrence au sein de la bourgeoisie : schéma général de l’exemple finlandais

samedi 15 novembre 2008.
 

Les révolution russe et chinoise ont été les plus grandes révolutions socialistes jusqu’à présent. Et souvent on pense à l’Allemagne (avec Rosa Luxembourg) ou à l’Espagne (avec la république antifasciste) quand on recherche une révolution de cette dimension, touchant tout le pays, tous les aspects sociaux, culturels, idéologiques.

La révolution finlandaise de 1918 a pourtant été une révolution de grande importance historique, d’une ampleur gigantesque. Si elle a échoué, de nombreuses leçons sont à en tirer, et notamment par rapport aux contradictions au sein de la bourgeoisie.

La révolution nationale « par en haut »

La Finlande, pays nordique mais non scandinave, a historiquement été une colonie de la Suède à partir de 1249 ; le finnois était la langue de la paysannerie et du clergé l’encadrant idéologiquement, alors que l’aristocratie était d’origine suédoise.

Lorsque la Russie obtient à partir de 1809 le contrôle de la Finlande, l’aristocratie suédoise change d’orientation et afin d’avoir une base populaire pour l’appuyer, lance le mouvement fennomane, prônant l’adoption de la langue finnoise.

En fait, voyant l’indépendance de la Finlande comme inéluctable, la bourgeoisie suédoise (de Finlande) a pris la direction du mouvement national-bourgeois.

Ainsi, le projet de Finlande indépendante était, tout comme les revendications culturelles, porté par la bourgeoisie suédoise (de Finlande) et ses intellectuels.

Le développement du capitalisme en Finlande amena alors l’émergence d’une bourgeoisie libérale, représentée par les « moineaux » dirigés par Kaarlo Juho Ståhlberg et tournée vers le Royaume-Uni et la France.

La bourgeoisie conservatrice, quant à elle, étaient tournées vers l’Allemagne, étaient alors représentées par les « hirondelles » dont le dirigeant était Pehr Evind Svinhufvud af Qvalstad.

Ståhlberg et Svinhufvud sont deux noms suédophones : au sein de la bourgeoisie suédoise de Finlande (historiquement portée par la Suède colonisatrice), il y avait ici d’un côté une fraction partisane du statu quo, de l’autre une fraction partisane « que tout change, afin que rien ne change. »

L’effondrement de la Russie

Avec la révolution russe de 1917, la Finlande passe sous le contrôle de l’Allemagne impériale, avec par conséquent le renforcement politique des « hirondelles. » Le parlement élit un roi, qui n’est autre que… le beau-frère de l’empereur allemand !

Mais l’effondrement de la monarchie allemande empêcha la réalisation de ce projet et il n’y eut d’autres choix que celui de la république bourgeoise.

La bourgeoisie libérale l’emporta ainsi sur le plan des institutions, mais il restait un problème essentiel : la force du Parti Social-Démocrate.

Sur le plan électoral, ce dernier avait la moitié des votes du pays ; il était alors, dans le monde, le parti révolutionnaire le plus ancré dans la classe ouvrière ; ses capacités d’organisation étaient énormes et l’agitation bolchevik en Russie prônait l’exemple révolutionnaire.

La tension énorme qui s’ensuivit produisit une situation de guerre civile, avec deux pouvoirs parallèles – rouge et blanc – se développant parallèlement à l’effondrement du régime russe. Finalement, le pays fut coupé en deux, avec globalement un Sud rouge affrontant un Nord blanc.

La question nationale et son importance

Il faut bien voir que le Parti Social-Démocrate n’a pas choisi le camp de la guerre civile, au grand dam de Lénine (qui fut réfugié un temps dans ce pays) et de Staline (qui fut présent dans ce pays pour pousser la ligne révolutionnaire).

La direction social-démocrate chercha toujours un compromis avec la bourgeoisie libérale, et à cela s’ajouta un autre problème : les sociaux-démocrates avaient perdu leur hégémonie dans la question nationale.

La bourgeoisie n’était intéressée que par une autonomie de plus en plus grande vis-à-vis de la Russie, en raison de ses liens avec le marché économique de ce pays. Le mouvement fennomane devait renforcer cette autonomie.

Les sociaux-démocrates avaient eux levé le drapeau de l’indépendance, mais la révolution d’Octobre 1917 bouleversait cette ligne d’affrontement frontal avec la Russie.

L’initiative revint donc aux armées blanches, qui se transformèrent les premières en « armée blanche finlandaise. » Celle-ci était bien organisées, profitant notamment des 1.500 « jäger », finlandais s’étant enrôlés dans les rangs allemands durant la première guerre mondiale impérialiste et formant une troupe d’élite ; l’Allemagne impériale envoya même directement des troupes (qui prirent notamment Helsinki).

A cela s’ajoute un appui suédois : la direction militaire des troupes blanches profita de 84 officiers suédois volontaires, ainsi que d’officiers finlandais de l’armée russe, notamment le Baron Carl Gustaf Emil Mannerheim, qui parlait très mal le finnois et devint pourtant le chef des armées blanches et la principale figure « nationale » finlandaise.

Et surtout, les armées blanches purent se présenter comme un mouvement de libération nationale, ce qui lui garantissait une base populaire très importante, notamment dans les campagnes.

La guerre civile

Les garde-rouges avaient donc un temps de retard, tant politiquement que militairement. Les ouvriers ne disposaient pas d’expérience militaire et encore moins de direction éprouvée sur ce plan, la guerre civile n’ayant pas été le choix historique du Parti Social-Démocrate.

Les bolcheviks n’avaient également pas les moyens d’aider réellement militairement les sociaux-démocrates de Finlande, à part en fournissant des armes. Et les bastions ouvriers se situant au Sud du pays, sur la côte, l’intervention allemande représentait un danger énorme.

La guerre civile qui dura du 27 janvier 1918 au 15 mai de la même année résulta ainsi par la défaite des rouges, notamment après la bataille dans la ville ouvrière de Tampere, en avril 1918.

La terreur blanche, systématique pendant la guerre civile, fut d’une échelle supérieure à celle pratique en Hongrie à la même époque. Les exécutions sommaires se pratiquèrent par centaines.

Si officiellement il y eut un peu moins de 30.000 rouges tués durant la guerre civile (ainsi que 80.000 prisonniers), il faut plutôt tabler sur un chiffre de 100.000, sur une population de moins de trois millions de personnes.

Les contradictions au sein de la bourgeoisie se maintiennent

Après la victoire sur les rouges, on aurait pu s’attendre à ce que soit la bourgeoisie conservatrice, représentée par Mannerheim, qui prenne les rênes du pays. Mais cela n’était pas possible, car seuls les « moineaux » étaient capables de porter le projet juridique d’une nation indépendante.

C’est donc la fraction libérale de la bourgeoisie qui organisa la Finlande, et Ståhlberg devient le premier président.

Mais afin de maintenir cette position, la bourgeoisie libérale avait besoin d’un contre-poids face à la bourgeoisie conservatrice. Elle le trouva dans la social-démocratie, l’intégrant dans les institutions, par l’intermédiaire des syndicats, et isolant les communistes.

La bourgeoisie libérale organisa également une réforme agraire et une démocratie parlementaire sur le modèle franco-anglais. La définition reste « suédoise », puisque le suédois, parlé quelques pour cent de la population, est une langue obligatoire au même titre que le finnois.

Cependant, cette démarche libérale ne pouvait pas satisfaire la bourgeoisie conservatrice. Si le développement du capitalisme mettait celle-ci de côté, l’Allemagne étant également affaiblie, la crise économique et le retour de l’impérialisme allemand la relancèrent sur la scène politique.

Le bastion ultra-réactionnaire de la région de l’Ostrobotnie du Sud, paysan et religieux, ayant largement donné sa part au mouvement des « jäger » combattant en Allemagne durant la guerre 1914-1918, donna alors naissance au mouvement fasciste.

A l’occasion d’un meeting de la Jeunesse Communiste dans la ville de Lapua en 1929, un mouvement anti-communiste se lança : le mouvement de Lapua, Lapuan liike (dont le symbole était un homme avec une massue se tenant sur un ours).

Les imprimeries communistes furent détruites dans les villes d’Oulu et de Vaasa, et 12 000 hommes marchèrent sur Helsinki, dans une mobilisation générale anti-communiste.

La presse communiste fut alors interdite ; 400 meetings de gauche furent interrompus dans la violence par les fascistes. Des centaines d’activistes communistes furent kidnappés et battus, voire tués, ou encore abandonnés à la frontière avec l’URSS.

Coup d’État

S’il n’y avait pas de contradictions au sein de la bourgeoisie, le mouvement aurait pu s’arrêter là, par la répression anti-communiste. Ce ne fut pas le cas, bien sûr.

Le représentant de la bourgeoisie libérale, Kaarlo Juho Ståhlberg, qui avait donc été lui-même le premier président, fut ainsi même enlevé avec sa femme et déposé non loin de l’URSS.

Puis le mouvement força le ”collège des électeurs” à choisir comme président Pehr Evind Svinhufvud, le représentant de la bourgeoisie conservatrice.

Et le 27 février 1932, 400 gardes blancs interrompirent avec des armes un meeting social-démocrate à Mäntsälä. Le mouvement de Lapua rejoint alors le mouvement, et le Général Wallenius, ancien chef d’État-major, tente alors un putsch.

Exactement comme lors de la naissance de la 5ème république en France, Svinhufvud apparaît alors comme « sauveur », absous les putschistes saut les dirigeants, et peut conduire la Finlande à l’alliance avec l’Allemagne nazie durant la seconde guerre mondiale, avec également le retour au premier plan de Mannerheim.


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