Qui sont les responsables des émeutes de la faim ? Jean Ziegler répond (5 articles)

lundi 9 juillet 2018.
 

1) Jean Ziegler est rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation

Ce sociologue suisse est l’auteur de L’empire de la honte (Livre de poche, 2008). Le 14 avril 2008, il répond aux questions sur les émeutes de la faim.

Les « émeutes de la faim » sont-elles un facteur d’instabilité planétaire ?

Oui, parce qu’elles ne sont pas conjoncturelles, mais structurelles. Elles ne sont pas directement liées à des phénomènes climatiques (sécheresse en Australie) ou de développement (nouvelles classes consommatrices en Inde ou en Chine). Quand le prix du riz flambe de 52% en deux mois, celui des céréales de 84% en quatre mois, et quand le prix du fret explose avec celui du pétrole, on précipite 2 milliards de personnes sous le seuil de pauvreté.

Quelles peuvent être les conséquences ?

On en voit les prémices aujourd’hui, avec les champs de riz gardés par l’armée en Thaïlande, la bataille pour le pain en Egypte, les morts par balles à Haïti. On va vers une très longue période d’émeutes, de conflits, des vagues de déstabilisation régionale incontrôlable, marquée au fer rouge du désespoir des populations les plus vulnérables. Avant la flambée des prix déjà, un enfant de moins de 10 ans mourait toutes les 5 secondes, 854 millions de personnes étaient gravement sous-alimentées ! C’est une hécatombe annoncée. Les ménages consacrent de 10 à 20% de leur budget dans l’alimentation en Occident, et de 60 à 90 % dans les pays les plus pauvres : c’est une question de survie.

Où sont les responsabilités ?

Principalement dans l’indifférence des maîtres du monde, pays riches ou grands émergents. Les opinions publiques s’offusquent-elles de la famine dans le nord de l’Inde, comme il y a deux ans, ou des populations du Darfour ? Quand on lance, aux Etats-Unis, grâce à 6 milliards de subventions, une politique de biocarburant qui draine 138 millions de tonnes de maïs hors du marché alimentaire, on jette les bases d’un crime contre l’humanité pour sa propre soif de carburant... On peut comprendre le souhait du gouvernement Bush de se libérer de l’emprise des énergies fossiles importées, mais c’est déstabilisant pour le reste du monde. Et quand l’Union européenne décide de faire passer la part des biocarburants à 10 % en 2020, elle reporte le fardeau sur les petites paysanneries africaines...

Les biocarburants ne sont pas seuls responsables ?

Les pays les plus pauvres paient leur quittance au FMI. Malgré les allégements de dette, 122 pays avaient une ardoise de 2 100 milliards de dollars de dettes cumulées en 2007. Les plans d’ajustement structurels du FMI imposent toujours des plantations d’exportation qui doivent servir à produire des devises et permettre aux pays du Sud de payer les intérêts de la dette aux banques du Nord. Ajoutez à cela les subventions agricoles à l’exportation qui laminent les marchés agricoles locaux, et vous arrivez à une situation explosive. »

C.LO.

http://www.liberation.fr


2) " Nous sommes au seuil d’une crise économique, politique et humaine majeure"

Jean Ziegler

La flambée des prix des produits alimentaires de base vient plonger dans une misère absolue des populations de plus en plus nombreuses qui se trouvent aujourd’hui frappées d’un désespoir total : à ce jour, 854 millions de personnes sont en permanence sous-alimentées, et chaque jour 100.000 personnes meurent de faim.

Or cette hausse des prix agricoles va durer car elle est structurelle, et les mesures d’allégement des droits de douane à l’importation ou de subvention publique massive ne permettront d’alléger la facture qu’à la marge. La politique des pays riches visant à remplacer l’énergie fossile par des carburants d’origine agricole absorbe dans des proportions astronomiques la production de maïs, sucre de canne, blé, etc. Ensuite, les pays riches, à commencer par la France, continuent de subventionner massivement leurs exportations agricoles dans ces pays, et ils empêchent ainsi l’organisation d’une production locale compétitive. Enfin, le report des fonds d’investissement vers les matières premières entretient les prix à la hausse.

En clair, le problème ne peut que s’aggraver : alors que 2,2 milliards de personnes, selon la Banque Mondiale, n’ont à ce jour pas de revenus suffisants pour nourrir leur famille, la faim va les pousser à l’insurrection. Les risques d’instabilité sont d’autant plus sérieux que la faim se répand dans ces pays du Sud où les régimes politiques sont fragiles. Il est urgent de renflouer le programme alimentaire mondial, qui a besoin aujourd’hui de 500 millions d’euros, puis d’aider ces pays à développer une agriculture autosuffisante. "


3) Cri d’alarme de la FAO

L’envolée mondiale des prix des céréales crée dans 37 pays pauvres une grave situation d’urgence allant jusqu’à des émeutes de la faim, s’est alarmée la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture).

La facture des importations céréalières des pays les plus pauvres va augmenter de 56% en 2008 après avoir augmenté de 37% en 2007, a indiqué Jacques Diouf, son directeur général. Une hausse qui a "un impact dévastateur sur la sécurité de nombreux peuples et sur les droits de l’Homme".

Jacques Diouf a énuméré les pays (Mauritanie, Cameroun, Burkina Faso, Ethiopie, Indonésie, Egypte, Maroc, Côte d’Ivoire, Sénégal, Madagascar, Philippines, Haïti) où la hausse du prix du pain a déjà provoqué des émeutes tandis que l’armée doit surveiller les champs et les entrepôts au Pakistan et en Thaïlande.

Il a lancé un appel aux chefs d’Etat et de gouvernement des 191 membres de la FAO pour qu’ils participent du 3 au 5 juin à Rome à une Conférence sur la Sécurité alimentaire mondiale, destinée à recueillir entre 1,2 et 1,7 milliard de dollars de "mesures immédiates d’urgence" face à cette flambée des prix. Sinon, celle-ci "profitera uniquement aux pays riches, faute des investissements nécessaires dans l’appareil productif agricole des pays pauvres", a-t-il expliqué.

4) Article de La Tribune

" Sur les trente-six pays où la flambée des prix alimentaires est dramatique pour ses habitants, près d’un sur trois se trouve dans une situation d’instabilité chronique, où domine un chef d’État à la légitimité contestée, en particulier en Afrique.

Ce qui amène notre ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, à prédire que ces crises "ne seront pas seulement humanitaires" et qu’elles "constituent des enjeux de sécurité majeurs". S’il l’a dit à la veille du G7, c’est "au nom de la préservation d’équilibres politiques et migratoires précaires". Le mot est lâché.

Car il ne s’agit pas de famines, comme celles qui terrassèrent sur place les populations au Sahel, en Éthiopie, en Somalie ou au Darfour. Cette fois, les aliments de base existent. Mais ils sont devenus inabordables, et ils le resteront. Cette fois, s’ils n’ont plus les moyens de se nourrir, ce n’est pas à cause d’une succession de mauvaises récoltes. Mais parce qu’ils ont abandonné leur agriculture vivrière sous le "conseil avisé" de la Banque mondiale qui, depuis trente ans, les pousse à spécialiser leur agriculture pour l’exportation.

Ainsi, les populations de ces villes se nourrissent-elles d’aliments importés. Les plus frappés ne sont pas des paysans, mais des urbains par millions, dans ces villes surpeuplées qui ont explosé sous l’exode rural et la forte natalité. Or à l’heure de la fluidité des marchandises, des capitaux et des hommes, ceux-là mêmes qui se révoltent sont devenus mobiles. Voilà qui explique le réveil brutal des responsables des pays riches. "

Valérie Segond.

www.latribune.fr


5) Des émeutes de la faim secouent 35 pays

www.humanite.fr

Haïti a été secoué par de nouvelles émeutes, provoquées par une brusque augmentation des prix des denrées de base, qui ont fait cinq morts et plus de 60 blessés en une semaine. La hausse mondiale va se poursuivre selon l’ONU.

Les scènes de pillage sont de retour à Port-au-Prince : des jeunes ont pris possession de plusieurs rues de la capitale, jonchées de barricades faites de pneus et de grosses pierres, paralysant l’ensemble des activités. Les prix des produits alimentaires ont flambé en une semaine en Haïti où un sac de riz est passé de 35 à 70 dollars, tandis que le prix de l’essence connaissait une troisième hausse en moins de deux mois.

De nombreux commerces ont été mis à sac par des manifestants dotés de gourdins et d’armes à feu. La station radio Vision 2000 a été la cible de jets de pierres, ont déclaré sur les ondes des présentateurs en appelant la police à l’aide.

Le président haïtien René Préval entend rencontrer des importateurs de produits alimentaires pour tenter de faire baisser les prix. "Nous appelons les fonctionnaires de l’administration qui gagnent un salaire mensuel de plus de 30.000 gourdes (environ 500 euros) à donner 10% pour aider les plus pauvres", a-t-il ajouté. Mais entre spéculation et besoins nouveaux en biocarburants exprimés par les pays riches, les prix mondiaux alimentaires ne risquent pas de baisser de sitôt. La hausse des prix alimentaires devrait se poursuivre

La tendance mondiale à la hausse des prix alimentaires devrait se poursuivre, prévient le Fonds international pour le développement agricole (FIDA). Pétrole cher, hausse de la consommation de viande en Asie, réorientation de parcelles vers la production de biocarburants, climat déréglé et spéculations ont contribué, selon l’organisation, à l’augmentation des prix alimentaires. De violentes manifestations contre cette tendance apparaissent dans plusieurs pays pauvres : outre Haïti, l’Egypte, le Burkina Faso et la Mauritanie, entre autres, ont connu des émeutes de la faim.

Pour la seule année 2007, les chiffres de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) montrent une hausse de 80% pour les produits laitiers, de 42% pour les céréales.

A l’issue du sommet Inde-Afrique à New Delhi cette semaine, les dirigeants des pays représentés ont fait voeu de lutter ensemble pour la sécurité alimentaire, et ont appelé les pays occidentaux à revoir leurs pratiques, notamment l’emploi de vastes stocks pour la production de biocarburants.

Cette dernière tendance a provoqué des pénuries et une flambée des prix dans plusieurs pays pauvres où, prévient la FAO, les émeutes liées au coût des aliments pourraient s’étendre à l’avenir.

Avec 8,5 millions d’habitants, Haïti est le pays le plus pauvre du continent américain, dont 80% de la population vit avec moins de 2 dollars par jour.


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