Quand Nicolas Sarkozy est intervenu le 20 décembre 2007 à la basilique Saint-Jean de Latran du Vatican, son discours est presque passé inaperçu à la veille des fêtes de fin d’année. Il s’agissait pourtant d’un discours fondateur comme l’a montré depuis la succession de ses discours visant à installer les religions au cœur des affaires publiques. Dès lors, le livre de Jean-Luc Mélenchon paru vendredi dernier en réplique au discours de Latran représente un outil de réarmement idéologique indispensable aux militants de gauche. D’autant que cette offensive anti-laïque n’en reste pas aux simples déclarations d’intention, puisque des annonces très concrètes sont déjà faites sur ce sujet.

L’institutionnalisation des Eglises en marche

Dans son discours de Latran, Sarkozy a souhaité développer « un dialogue institutionnel régulier avec les Eglises » à travers la réunion régulière de « l’instance de dialogue » mise en place en 2002 entre l’Eglise catholique et le gouvernement français. Ce n’est pas un hasard si cette formule du « dialogue institutionnel régulier » est exactement celle qui a été retenue à l’échelon européen dans la constitution européenne et que l’on retrouve aujourd’hui dans le traité de Lisbonne.

Cette institutionnalisation des Eglises va à l’encontre de la loi de 1905 de séparation des églises et de l’État qui dispose que « la République ne reconnaît aucun culte ». Pourtant, le gouvernement a déjà embrayé sur la volonté du chef de l’État et l’implication des Eglises dans le travail gouvernemental s’est déjà intensifiée depuis quelques semaines. La réunion annuelle de dialogue entre l’Eglise catholique et le gouvernement s’est tenue le 7 février en présence d’un nombre exceptionnel de ministres : en plus du premier ministre, étaient notamment présents les ministres de l’intérieur, du travail, de l’enseignement supérieur et de la culture.

On observait la même inflation dans la représentation officielle de l’État au dîner annuel du CRIF. Alors qu’elle était traditionnellement cantonnée à la présence du premier ministre, on y comptait cette année le président, le premier ministre et une vingtaine de ministres. Une manière d’acter la reconnaissance des organisations religieuses et communautaires comme interlocuteur officiel de l’État pour s’adresser à la population et gouverner le pays.

L’école en première ligne du retour du religieux

Dans la promotion d’un rôle public et social des religions, la formation des jeunes est une cible très présente dans les déclarations de Sarkozy. Pour cela, il a commencé dans son discours de Latran à remettre en cause le rôle des institutions laïques comme l’école : « dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur ». Et il ne s’est pas arrêté là, puisqu’il a aussi insisté à l’inverse sur la nécessité de promouvoir le rôle des églises dans la formation des jeunes, en saluant « dans les congrégations, dans le sacerdoce, dans l’épiscopat », la « contribution à (...) la formation des intelligences et des cœurs ». Et de préciser à leur attention, à la fin de son discours : « partout où vous agirez, dans les banlieues, dans les institutions, auprès des jeunes, dans le dialogue inter-religieux, dans les universités, je vous soutiendrai ».

Et les pistes de concrétisation n’ont pas tardé à apparaître dès le discours de Sarkozy au CRIF le 20 février : « nos enfants ont aussi le droit de rencontrer, à un moment de leur formation intellectuelle et humaine, des religieux engagés qui les ouvrent à la question spirituelle et à la dimension de Dieu ». Organisée à l’initiative de l’État, cette rencontre des jeunes avec des religieux irait exactement à l’encontre de toute l’action laïque accomplie depuis les années 1880. La IIIe République avait mis en effet près de trente ans pour écarter les congrégations religieuses de l’instruction publique et laïciser l’enseignement afin de garantir que l’école de la République soit vraiment celle de tous.

Laurent Mafféïs

dans À Gauche ce vendredi 29 février 2008