Palestine antique jusqu’à Jésus et Hérode... Société, guerillas et révoltes

mardi 2 mai 2023.
 

L’histoire du peuple hébreu durant un siècle et demi avant notre ère et un siècle et demi après, présente une grande importance, pour comprendre la civilisation juive (grandes révoltes, destruction du temple de Jérusalem, diaspora, fondamentaux du rabbinisme...) mais aussi l’histoire des religions (christianisme, nazoréisme, arianisme, elkasaisme, islam, manichéisme...)

Le peuple juif du 1er siècle de notre ère est marqué par :

- une forte identité religieuse

- un Etat théocratique dont la hiérarchie sert généralement les intérêts de l’occupant romain

- une société fortement rurale dans laquelle l’aristocratie religieuse correspond à l’aristocratie terrienne. La population devient misérable fournissant une base sociale pour des mouvements messianiques et révoltes endémiques.

A) Royaume asmonéen et domination romaine

La population juive a subi durant quatre siècles la domination des grands conquérants du Moyen-Orient (Babyloniens, Perses, Grecs d’Alexandre le Grand, dynastie égyptienne des Ptolémées). Vient alors le règne des Séleucides, d’Antiochos le Grand puis de son fils Epiphane qui veut interdire la religion juive à Jérusalem.

Au milieu du 2ème siècle avant notre ère éclate un soulèvement du peuple juif contre ces Séleucides (héritiers des conquêtes d’Alexandre le Grand en Asie). Dirigée par Mattathias puis par son fils Judas Maccabée, l’armée populaire juive remporte plusieurs victoires avant de prendre Jérusalem. En -142, Simon, cinquième fils de Mattathias, obtient le départ des dernières troupes séleucides.

Hyrcan II, fils de Simon, résiste à la contre offensive des Séleucides puis agrandit son royaume sur une partie de la Transjordanie, sur l’Idumée (Hébron, Beer-Sheva, Qitmit...) dont une majorité d’habitants est obligée de se convertir à la religion juive, puis sur la Samarie (actuelle Cisjordanie) dont le temple est détruit. Aristobule, fils d’Hyrcan II, prend la Galilée (au Nord de la Judée et de la Samarie).

L’Etat juif atteint alors les dimensions prêtées par la Bible au royaume de Salomon.

Deux frères (Jean Hyrcan et Aristobule) entrent alors en concurrence, s’affrontent pour occuper la fonction de Grand prêtre, font appel chacun à Rome. Cette puissance en profite pour s’imposer dans la Palestine historique en 63 avant notre ère.

La province de Palestine présente un tel particularisme culturel que Rome ne l’administrera pas comme un territoire pacifié gouverné par un membre du Sénat mais comme un secteur sensible, donc géré directement sous l’autorité de l’empereur. Ce protectorat romain s’instaure intelligemment :

- respectant les traditions institutionnelles, religieuses, juridiques... mais maîtrisant la nomination des Grands prêtres ( Jean Hyrcan au début) qui jouent un rôle central dans la société juive.

- par personnalités juives interposées au travers d’un procurateur (comme Pilate), d’un tétrarque comme Hérode ou d’un ethnarque comme son fils Archelaüs.

- pour l’essentiel, en prouvant que l’intérêt de la classe dominante juive se trouve dans une bonne collaboration avec l’occupant.

B) Au temps d’Hérode : une société juive rurale dépossédée et combative

Durant plusieurs siècles, les petites exploitations rurales constituent la cellule de base du monde hébraïque. Plusieurs facteurs fragilisent cette ossature économico-sociale durant la période qui nous intéresse (-150 à + 150) poussant à l’accaparement des terres par les riches, à l’exode rural et à la révolte des pauvres : Guerre civile entre les partisans de Hyrcan et ceux d’Aristobule avant et bien après l’arrivée des Romains, sécheresses successives, très lourds tributs payés à Hérode et à la classe sacerdotale correspondant à l’aristocratie terrienne, dépossession pour non-paiement de ses dettes...).

Les familles paysannes ayant perdu leurs moyens de subsistance rejoignent fréquemment les grandes villes, particulièrement Jérusalem qui atteint 100000 habitants (Paris en comptera moins de 25000 durant la majeure partie du Moyen Age).

Un nombre important de ces malheureux choisit le combat contre les grands propriétaires et leurs alliés romains. Ces révoltés vengeurs se donnent généralement un chef considéré comme le Messie (descendant de David, oint pour rétablir le royaume juif ancestral).

Un noble juif qui avait choisi le bon camp durant les guerres civiles, Hérode Ier le Grand, devient roi de Judée au nom de Rome entre -37 et -4. C’est un homme tyrannique, débauché et cruel (assassinat de sa femme Mariamne et de plusieurs de ses enfants...) mais intelligent, énergique et bon administrateur. Il poursuit une guerre sanglante et incessante contre les hors la loi justiciers (désignés comme "lestaï). Il parvient peu à peu à les exterminer d’une façon suffisamment atroce et massive pour que le nombre de nouveaux volontaires s’effondre.

La révolte populaire passe dès lors par la multiplication de factions religieuses et messianiques. D’après l’historien juif Flavius Josèphe, vingt quatre sectes séditieuses infestent Jérusalem et ses environs au temps d’Hérode.

C) La révolte sociale des Robin des bois juifs : exemple de la Galilée

« Moins de quelques années après la conquête de Jérusalem par les Romains, de nombreux paysans sans terre se retrouvèrent dépouillés de leurs biens et privés, eux et leurs familles des moyens de subsistance. Beaucoup émigrèrent dans les villes, en quête de travail. Mais en Galilée, quelques fermiers et petits propriétaires troquèrent leur charrue contre une épée et commencèrent à rendre coup pour coup à ceux qu’ils tenaient pour responsables de leurs maux.

Depuis les repaires et les grottes où ils se cachaient dans la campagne galiléenne, ces paysans guerriers lancèrent une vague de coups de main contre l’aristocratie juive et les agents de la République romaine. Ils écumaient les provinces, ralliant à leurs côtés les malheureux en détresse, dépossédés et endettés jusqu’au cou.

Robin des bois juifs, ils détroussaient les riches et, à l’occasion, ils donnaient leur butin aux pauvres. Pour les croyants, ces bandes représentaient rien moins que l’incarnation physique de la colère et des souffrances des pauvres. Ils étaient des héros, symboles d’un zèle vertueux contre l’agresseur romain, dispensateurs de la justice divine aux Juifs qui étaient passés à l’ennemi. Les Romains leur appliquait un autre vocable ; ils les appelaient des lestaï, des brigands...

L’un des plus redoutables de ces brigands,le chef charismatique Ezéchias, déclarait ouvertement être le messie, celui dont on avait promis la venue et qui devait rétablir la gloire des Juifs. » (Reza Aslan, Le zélote) . Ajoutons que cet Ezéchias représentait sans nul doute un personnage important de la société juive (peut-être prétendant légitime à la royauté) mais écarté par les Romains.

D) Les courants religieux juifs de l’Antiquité

- > Les Sadducéens, très présents dans le Sanhédrin, forment l’école de pensée la plus liée à l’aristocratie terrienne et religieuse, la plus liée aussi à l’occupant romain. Au plan théologique, ils constituent le courant le plus conservateur, ne reconnaissant que la Torah écrite.

- > Les Pharisiens sont également bien représentés dans le Sanhédrin. Ils combattent les zélotes qui mettent en danger la religion par leur hostilité violente aux occupants romains mais sous leur influence ils participent au soulèvement contre les Romains lorsqu’il se produit. Leur lecture des textes religieux et leurs choix politiques sont empreints d’un pragmatisme certain qui leur permettra de refonder la religion par le rabbinisme après les massacres perpétrés par l’armée romaine, la destruction totale de Jérusalem (dont le Temple) et le bannissement.

- > Les Esséniens représentent un courant ancien de la société juive (vers - 150). Leur nombre est important durant le règne d’Hérode (plusieurs milliers en Judée romaine) habitant « dans de nombreuses villes de Judée et dans de nombreux villages et groupés en grandes sociétés comprenant de nombreux membres » (Philon d’Alexandrie). Flavius Josèphe distinguait quatre grands courants parmi les Esséniens.

Ils vivent en communautés collectivement propriétaires pratiquant la mise en commun et la répartition des biens, dénonçant et méprisant la richesse, choisissant parfois le célibat. Leurs idées sont connues par les auteurs anciens et par une centaine de textes présents parmi les 870 "Manuscrits de la Mer morte". Le christianisme institutionnel du 4ème siècle caractérisera leurs communautés "hérétiques" (donc proches du christianisme) sous le nom d’osséennes, sampséennes, elkasaïtes.

Selon les auteurs anciens, selon les Pères de l’Eglise comme selon les historiens actuels, les esséniens « évoquent à leur façon les mouvements baptistes de l’Antiquité pré-chrétienne » (André Paul, historien).

- > Les Baptistes forment un courant assez nombreux et peu unifié caractérisé par le baptisma (bain d’immersion en grec) qui permet la rémission des péchés. Les Esséniens (eux aussi adeptes du baptisma) n’ont peut-être représenté qu’un courant baptiste. C’est dans la mouvance d’un des groupes baptistes — celui du palestinien Jean le Baptiste — que naît le mouvement de Jésus de Nazareth. Les Baptistes (et les Esséniens) récusent le Temple comme lieu de médiation entre l’homme et Dieu, en particulier à cause des sacrifices sanglants qui s’y déroulent.

- > Le « Yahad » (Unité, Alliance) représente un courant « eschatologico-guerrier ». Il est cité par une trentaine de manuscrits de Qumran, est considéré par certains historiens comme faisant partie des Esséniens, par d’autres comme distinct (il s’agit peut-être d’un des quatre courants esséniens signalés par Flavius Josèphe). Ils attendent l’arrivée prochaine d’un Messie pour instaurer le Royaume de Dieu et chasser les Romains. Selon le spécialiste François Blanchetière qui a étudié la naissance du christianisme entre les années 30 et 135, le Yahad se caractérise par « l’attente des derniers jours et la venue d’un ou deux messies, la croyance dans le libre arbitre, la résurrection des morts, la rétribution finale, le déterminisme et la prédestination, le rejet de l’utilisation de l’huile parce qu’impure, la rupture avec le culte sacrificiel du Temple ; ils prient tournés vers l’est ». Leur vision du monde est assez manichéenne, celui-ci étant déchiré par le combat entre les deux esprits de la Lumière (le Bien) et des Ténèbres (le Mal).

Prochains articles :

Insurrections et Grande Révolte juive (années 4 à 73) ; chute de Massada (2 mai 73) - A) Une société juive en rébellion permanente contre Rome, contre la culture grecque, contre les riches - B) Insurrections sociales juives du début du 1er siècle. Judas le Galiléen - C) Première guerre juive - D) 2 mai 73 : Chute de la dernière forteresse juive : Massada

Jésus, de Noël à Pâques

- Noël - Marchands du Temple - Pâques


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