Auguste Blanqui, républicain socialiste, héritier des Jacobins de 1793 et des babouvistes

dimanche 5 mars 2023.
 

5 janvier 1881 : 200000 personnes participent aux obsèques d’Auguste Blanqui, héritier des socialistes de la Révolution française.

Eugène Pottier lui dédie un poème inspiré par sa visite au logement de Blanqui après son décès au 25 Bd d’Italie :

Contre une classe sans entrailles,

Luttant pour le peuple sans pain,

Il eut, vivant, quatre murailles,

Mort, quatre planches de sapin !

La chambre mortuaire était au quatrième ;

Et la foule, à pas lents, gravissait l’escalier :

Le Paris du travail, en blouse d’atelier,

Des femmes, des enfants ; plus d’un visage blême.

A présent qu’il est mort, tu l’entendras… peut-être !

Ce combattant, passant de la geôle au cercueil,

Du fond de son silence, il dit : Ni Dieu, ni maître !

A) Louis Auguste Blanqui, héritier des Jacobins de 1793 et des babouvistes (Jacques Serieys)

A1) Si Blanqui n’avait pas vécu 76 ans, il aurait fallu l’inventer

* Un mouvement social comme la Révolution française, aussi massif, aussi plébéien, aussi marqué par l’influence de courants pré-socialistes, aussi avancé dans sa pratique politique, ne pouvait pas disparaître de l’histoire sans héritier.

* Le socialisme n’aurait ni passé ni avenir si le projet de république sociale, laïque et démocratique apparu pour la première fois en 1793 avait été oublié au soir de la chute de Robespierre

* Présenter le socialisme comme né de réflexions utopiques peut plaire à des réactionnaires rédigeant des manuels scolaires d’histoire. Pourtant, c’est faux ; le socialisme germe au travers de réalités historiques aussi importantes que :

- la plus longue période révolutionnaire de l’histoire humaine

De 1773 à 1802, la plus longue période de poussée populaire, démocratique et révolutionnaire qu’ait connue l’histoire humaine

- la philosophie des Lumières et sa trahison par le libéralisme bourgeois

- l’affirmation du mouvement ouvrier face à l’égoïsme inhumain du capitalisme

* Sans être un théoricien, Blanqui incarne l’aurore d’un soleil qui ne veut pas mourir, celui résumé par Liberté Egalité Fraternité à condition de donner tout son sens à chaque mot de cette trinité ce qui élimine d’emblée le capitalisme et les capitalistes. Un tel soleil peut difficilement être classé (républicain babouviste ? socialiste ? communiste ?) ce qui ne l’empêche pas d’avoir existé.

A2) La principale qualité de Blanqui, c’est de n’avoir jamais trahi

Des mots comme république ou socialisme ont tellement servi à la promotion de carriéristes sans scrupule que la seule référence à Blanqui prouve qu’un humain peut rester socialiste toute sa vie sans boire sans cesse à la source des arrangements avec les puissants et des tactiques foireuses.

* carbonaro à 19 ans

* Etudiant engagé en 1827. A l’époque où le royalisme absolutiste est encore au pouvoir, s’appuyant sur la morgue et la violence des privilégiés, Auguste est blessé au cou dans un affrontement entre jeunes républicains et sbires légitimistes.

* Internationaliste par nature, il s’engage dans la solidarité avec la Grèce insurgée et essaie de s’y rendre.

* Journaliste au Globe (opposition libérale parfois socialisante dirigée par Pierre Leroux) puis membre de la fameuse Conspiration Lafayette, il fait partie des éléments les plus actifs lors de la Révolution de 1830.

* Durant cette petite période révolutionnaire du début des années 1830, Blanqui milite dans la Société des Amis du peuple, se liant à des personnalités aussi marquantes que Buonarotti et Raspail.

Buonarotti, héritier des Lumières, robespierriste puis socialiste, au directoire de la Conjuration des Egaux 30 mars 1796

Raspail, passeur de la révolution française au socialisme, candidat à la présidence de la république le 11 décembre 1848

De 1831 à 1839, il est condamné trois fois à la prison pour ses écrits et ses activités républicaines socialistes sans compter la liberté surveillée.

De retour à Paris, il participe le 12 mai 1839, avec Barbès, à une tentative d’insurrection qui prend la Palais de justice puis l’Hôtel de ville mais échoue devant la préfecture de la capitale. Sa condamnation à mort étant commuée en prison perpétuelle, Blanqui croupit entre quatre murs jusqu’en 1847.

Il participe à l’organisation de la Société républicaine centrale qui joue un rôle majeur dans les premiers mois de la seconde république. Malheureusement, il est à nouveau condamné à la prison suite à l’action du 26 mai en solidarité avec la Pologne.

A nouveau emprisonné jusqu’en 1859, le régime de Napoléon 3 préfère l’incarcérer à nouveau l’année suivante plutôt que le laisser libre de promouvoir ses idées. En août 1865, il s’évade et passe à l’étranger ; sa principale activité consiste à construire un parti politique blanquiste organisé en sections.

Bénéficiant de l’amnistie générale de 1869, Auguste dit L’Enfermé revient à Paris et développe rapidement son réseau. Il mène aussi trois actions extra-légales le 12 janvier (obsèques de Victor Noir tué par un parent de l’empereur), le 14 août (tentative avortée de prise d’un dépôt d’armes) et le 31 octobre 1870 (occupation durant quelques heures de l’Hôtel de ville de Paris. Le massacreur Thiers le fait à nouveau arrêter (17 mars 1871) et emprisonner en Bretagne (château du Taureau). Blanqui est élu par plusieurs quartiers durant la Commune de Paris sans malheureusement pouvoir être présent. Karl Marx est convaincu que Blanqui était le chef qui a fait défaut à la Commune.

Toujours emprisonné, il est élu député de Bordeaux le 20 avril 1879, est invalidé par la justice française qui n’a jamais manqué l’occasion de montrer sa servilité vis à vis des puissants et des pires réactionnaires. Il bénéficie enfin de l’amnistie générale du 11 juin 1879 suite aux victoires électorales des républicains.

Epuisé par 36 ans de prison souvent subie dans les pires conditions, il peut enfin parler ouvertement dans des meetings, écrire et publier son journal : Ni Dieu ni maître.

Le 1er janvier 1881, après avoir terminé son discours lors d’un meeting parisien, Auguste Blanqui est victime d’une crise d’apoplexie qui lui est fatale.

5 janvier 1881 : 200000 personnes participent aux obsèques d’Auguste Blanqui, véritable héritier des socialistes de la Révolution française.

A3) Quelques écrits d’Auguste Blanqui

Appel aux étudiants lors des obsèques de Benjamin Constant (11 décembre 1830)

Benjamin Constant est mort. La France pleure un des plus fermes soutiens de sa liberté, un grand citoyen et un grand homme. Nous, c’est un ami que nous pleurons. Vous savez quels accents sa voix a trouvés pour repousser les calomnies et les outrages que déversait sur nous un pouvoir oppresseur. Vous savez quelles brûlantes paroles il fit entendre en 1820, 1821, 1822 et 1827, quand, non content de nous dévouer au sabre de ses satellites, le pouvoir nous insultait à la tribune et dans ses journaux. Benjamin Constant se faisait gloire d’être l’ami des jeunes gens. Jusqu’à son dernier moment, il a élevé la voix pour nous défendre, car la jeunesse française de même que la liberté ont, eu besoin d’être défendues, même après la bataille de la grande semaine. Cinq jours avant de mourir, il faisait encore retentir la tribune de patriotiques accents ; il est mort sur la brèche en combattant pour les principes et pour les résultats de notre révolution. Un peuple tout entier accompagnera jusqu’au dernier séjour les restes mortels du défenseur de ses droits. Les Ëcoles doivent à leur ami un deuil particulier, un hommage solennel de reconnaissance. J’invite tous mes camarades à se réunir sur la place du Panthéon, dimanche à neuf heures précises du matin. Ceux d’entre eux qui possèdent des armes viendront armés, afin de rendre à Benjamin Constant les honneurs funèbres.

Louis-Auguste Blanqui, Étudiant en droit

P.S. — Le général Lafayette a déclaré approuver cette réunion ; un de ses officiers d’état-major se rendra demain au milieu de nous

* Liberté et capitalisme Blanqui comprend parfaitement le sens de la "liberté" telle que l’entendent les profiteurs du capitalisme. « C’est la liberté d’asservir, la liberté d’exploiter à merci, la liberté des grandes existences avec la multitude pour marchepied. Cette liberté-là, le peuple l’appelle oppression. »

Avis au peuple : Quel écueil menace la révolution de demain ? (Blanqui , « le toast de Londres », février 1951)

« Deux principes divisent la France, le principe de la légitimité et celui de la souveraineté du peuple » Blanqui

« Sur la révolution » (Auguste Blanqui 1850)

Le Président du tribunal : Quelle est votre profession ? Blanqui : prolétaire

B) Auguste Blanqui, communiste hérétique (par Daniel BENSAÏD, Michael LOWY)

Pour accéder à ce texte 2, cliquer sur le titre 2 ci-dessus.

C) Louis-Auguste Blanqui "Profession prolétaire" (Christian Picquet)

Blanqui est mort le 1er janvier 1881. Sur 76 ans de vie, il en aura passé, au total, 36 en prison. A lui seul, le fait témoigne de l’âpreté du combat social en ce XIXe siècle qui voit le triomphe de la bourgeoisie, l’industrialisation et l’exploitation féroce d’un prolétariat qui paie au prix fort ses velléités d’affirmation sur la scène politique.

Son nom désigne tant de nos rues ou de nos bâtiments publics que l’on en viendrait presque à oublier qu’il fut, de son vivant, l’archétype du proscrit. Louis-Auguste Blanqui aura en effet, plus qu’aucun autre, été pourchassé sa vie entière, puis arrêté, jugé et emprisonné. Né près de Nice, en 1805, Blanqui traversera la France de la Restauration, de la monarchie de Juillet, de la IIe République et de l’écrasement de la Commune. Son engagement y épouse à ce point l’histoire de la lutte des classes que Walter Benjamin le décrira, dans ses fameuses "Thèses sur la philosophie de l’histoire", comme le personnage le plus intimement lié à son siècle. Ses libelles, proclamations ou discours, tout comme sa participation physique aux insurrections de l’époque, ou encore son appartenance à une kyrielle de clubs ou sociétés secrètes, lui vaudront en revanche la haine de la bourgeoisie libérale triomphante. Alexis de Tocqueville dresse ainsi de lui ce portrait, à l’occasion de sa relation des événements de mai 1848 à Paris : "Il avait des joues hâves et flétries, des lèvres blanches, l’air malade, méchant et immonde, une pâleur sale, l’aspect d’un corps moisi, point de ligne visible, une vieille redingote noire collée sur des membres grêles et décharnés ; il semblait avoir vécu dans un égout..." (1) A ces lignes fait écho la réponse que lance Blanqui, à la manière d’un défi, au juge qui l’interroge sur son état civil, lors du procès des Quinze, en 1832 : "Profession, prolétaire ; domicile fixe, la prison." (2)

L’héritier de Babeuf et des jacobins

On ne saurait mieux rendre compte de l’hostilité que le révolutionnaire manifestera toujours à l’endroit de toute idée de compromis entre capitalistes et travailleurs : "Conclure qu’il y a entre ces deux classes une communauté d’intérêts, c’est un étrange raisonnement (...). Ce n’est pas là une communauté, mais une opposition d’intérêts ; il n’existe d’autre rapport que celui de la lutte." (3) En vertu de quoi il s’oppose avec la dernière énergie à ceux qui, à l’instar des socialistes prémarxistes comme Saint-Simon, Fourier ou même Proudhon, se laissent aller à imaginer des formes de coopération future, ou de coexistence, avec une classe dominante qui noie dans le sang les grèves et les tentatives de structuration d’un mouvement ouvrier indépendant. Il n’est en ce sens pas faux de voir en lui l’une des figures les plus éminentes du courant communiste français, "qui formula le premier - après Babeuf - la théorie de la lutte révolutionnaire des classes". (4)

Incontestablement, l’apport de Blanqui se situe dans la continuité théorique de Gracchus Babeuf qui voulait, dès 1796, faire triompher "la religion de l’égalité et de la démocratie" et publiait sa "Conspiration des égaux" (5). Plus encore, il s’inscrit dans la filiation de Filippo Buonarroti qui contribua, au XIXe siècle, à propager les idées de Babeuf, celles d’un communisme du partage. Par l’une et l’autre de ces inspirations, Blanqui devient rapidement le continuateur de la tradition jacobine qui marquera de son empreinte, jusqu’à nos jours, les débats du mouvement ouvrier français, et même européen.

Pour lui, le concept de république ne trouve son achèvement qu’en se retournant contre la dictature du capital. Dans sa célèbre adresse "aux clubs démocratiques de Paris", le 22 mars 1848, il écrit par exemple : "La République ne serait qu’un mensonge, si elle ne devait être que la substitution d’une forme de gouvernement à une autre. (...) La République, c’est l’émancipation des ouvriers, c’est la fin du règne de l’exploitation, c’est l’avènement d’un ordre nouveau qui affranchira le travail de la tyrannie du capital." (6) Cette république sociale s’incarne encore, à ses yeux, dans un patriotisme populaire dont les classes possédantes sont devenues incapables : "Guerre à mort entre les classes qui composent la nation (...). Le parti vraiment national, celui auquel les patriotes doivent se rallier, c’est le parti des masses. (...) Les bourgeois choisissent le régime qui fait aller le commerce, même s’il est allié à l’étranger..." (7)

Un modèle dépassé

De là vient également la principale limite de la contribution blanquiste à une théorie de la révolution. Contrairement à Marx, qui cherchait les contradictions du mode de production capitaliste, Blanqui limite son horizon au constat, exclusivement politique, qu’une minorité privilégiée viole le principe d’égalité tel qu’il existait dans la société primitive. Il est en cela dans la logique des jacobins les plus radicaux, lorsqu’ils défendaient que le droit à l’existence devait s’imposer au droit de propriété. Il les suit tout autant dans sa conception du processus révolutionnaire. Même s’il lui arrive de prendre la tête d’une manifestation de 100000 ouvriers à Paris, comme en avril 1848, Blanqui n’éprouve que méfiance envers l’action autonome des masses et il ne croit guère à leurs capacités de gérer les affaires de l’Etat. Tout doit, selon lui, procéder d’une élite chargée d’éduquer, d’éclairer le peuple. "Le travail c’est le peuple ; l’intelligence ce sont les hommes qui le dirigent", ira-t-il jusqu’à dire un jour (8). D’où ses vibrants plaidoyers pour la constitution d’une société secrète de révolutionnaires professionnels, organisés sur un mode paramilitaire et suivant avec obéissance les décisions de leur chef. Cette conception malheureuse laissera une trace profonde dans les débats qui agiteront le mouvement ouvrier révolutionnaire jusqu’au coeur du XXe siècle. Force est donc de constater que si Blanqui conserve une actualité brûlante lorsqu’il se fait le héraut d’une république des travailleurs, son apport pratique n’aura guère résisté au mouvement réel à travers lequel lesdits travailleurs feront l’apprentissage de leur propre action politique. Ce que le vieil Engels traduisait avec une sorte d’intuition autogestionnaire : "Le temps des coups de main, des révolutions exécutées par de petites minorités conscientes à la tête de masses inconscientes, est passé. Là où il s’agit d’une transformation complète de l’organisation de la société, il faut que les masses elles-mêmes y coopèrent, qu’elles aient déjà compris elles-mêmes de quoi il s’agit, pourquoi elles interviennent (avec leur corps et avec leur vie)." (9)

Christian Picquet

1. Alexis de Tocqueville, "Souvenirs", Gallimard, 1964.

2. Voir Auguste Blanqui, "Textes choisis", Editions sociales, 1955.

3. Idem.

4. C’est ainsi que le dépeint Arno Münster dans son introduction aux "Ecrits sur la révolution. Textes politiques et lettres de prison", Galilée, 1977.

5. Voir à ce propos Maurice Dommanget, "Sur Babeuf et la conjuration des égaux", Maspero, 1970.

6. "Ecrits sur la révolution", op. cit.

7. "Rapport à la Société des amis du peuple, 2 février 1832", "Ecrits sur la révolution", op. cit.

8. Manuscrits de Blanqui. Cité par Maurice Paz, "Un révolutionnaire professionnel, Auguste Blanqui", Fayard, 1984.

9. Engels, introduction de 1895 aux "Luttes de classes en France" de Marx, Editions du progrès, 1970.

Source : Rouge n° 1909, 08/02/2001

D) AUGUSTE BLANQUI (1805-1881) L’insurgé au fusil 
et à la plume d’acier

Inlassable agitateur révolutionnaire 
de la monarchie à la IIIe République, 
Auguste Blanqui, dit l’Enfermé, a passé 
la moitié de sa vie en prison. Pour Jules Vallès, 
il est le « mathématicien froid de la révolte ».

L’ombre de Blanqui plane sur la 
Commune. Si son nom est celui de ceux qui n’en ont pas et représente un grand danger pour les versaillais, il en est le grand absent. Il est emprisonné le 17 mars 1871, la veille de l’insurrection. Il est alors en fuite, loin de Paris, malade, recherché pour sa participation aux émeutes du 31 octobre 1870 à Paris. Thiers se réjouit à l’annonce de son arrestation à Loulié (Lot)  : « Enfin, nous tenons le plus scélérat de tous  ! » Le lendemain Blanqui est conduit à l’hôpital de Figeac, le jour même où la Commune de Paris est proclamée. Il est transféré à la prison de Cahors, mis au secret au fort du Taureau, dans la baie de Morlaix (où il écrit le seul livre publié de son vivant, l’Éternité par les astres. Hypothèse astronomique), puis condamné à la perpétuité, avant d’être incarcéré à Clairvaux, sa dernière prison. Il n’a probablement rien su de la Semaine sanglante.

Blanqui est reconnu par ses partisans comme la référence obligée de la Commune, plus tard par Karl Marx comme « la tête et le cœur du parti prolétaire en France » et un chef qui manquera aux communards, encore plus tard, par l’historien Maurice Dommanget, comme « l’un des ancêtres du communisme révolutionnaire ». Blanqui, le baroudeur intrépide que l’histoire révèle pour l’audace de ses conspirations, fait peur à ses adversaires, même à son propre camp, notamment à Barbès, l’ancien frère d’armes devenu l’ennemi irréconciliable. Pour Jules Vallès, dans l’Insurgé, il est « le mathématicien froid de la révolte et des représailles, qui semble tenir entre ses maigres doigts le devis des douleurs et des droits des peuples ». Sa filiation  : la Révolution française, le Manifeste des Égaux de Babeuf et de Philippe Buonarroti qu’il côtoie, la Commune de Paris et… Marx, qui lui attribue nettement plus de mérites que son comparse Engels…

Il est originaire de Puget-Théniers, dans les Alpes-Maritimes. Étudiant en droit et en médecine sous la Restauration, Blanqui s’affilie, en 1824, à la Charbonnerie, qui complote la chute de la monarchie des Bourbons, et s’initie ainsi au monde souterrain des sociétés secrètes républicaines  : les Amis du peuple, les Familles, les Saisons, les Justes… En soixante-seize ans d’une vie bien chargée, Blanqui ne cesse de lutter contre l’ordre établi. Lors des barricades de juillet 1830, il se hâte « à prendre le fusil et d’arborer la cocarde tricolore » pour renverser le roi Charles X. Sous la IIe République, de février à mai 1848, il anime la Société républicaine centrale, que fréquente Baudelaire. Il s’oppose au gouvernement provisoire, réclame l’ajournement des élections en organisant les manifestations de mars et avril, il prône alors une « République égalitaire » qui fera « disparaître la dernière forme de l’esclavage, le prolétariat », en mai, il tente de prendre le pouvoir…

Il le paie au prix fort. Condamné pour ses actes insurrectionnels sous les différents régimes, de la monarchie à la IIIe République, il a passé trente-six ans en prison, ce qui lui vaut le surnom emblématique de l’Enfermé, que lui a donné le biographe Gustave Geffroy. Il a connu les trahisons, les diffamations, des victoires et beaucoup d’échecs, des blessures, la clandestinité, le massacre de ses compagnons de lutte. Son obsession  : « Que faire  ? » Il prend les armes en effet, il enrage de voir les révoltes populaires se finir dans un bain de sang ou être confisquées par les bourgeois. Accusé, il se transforme en procureur, comme lors du procès des Quinze (janvier 1832) devant les Assises de la Seine où est également cité Raspail, pour délit de presse… Blanqui se proclame « prolétaire »  : « Oui, Messieurs, c’est la guerre entre les riches et les pauvres  : les riches l’ont voulu ainsi  ; ils sont en effet les agresseurs. Seulement ils considèrent comme une action néfaste le fait que les pauvres opposent une résistance » (…) Il écrit et sa plume est d’acier  : « Le devoir d’un révolutionnaire, c’est la lutte toujours, la lutte quand même, la lutte jusqu’à extinction. » « Qui a du fer a du pain (…) Pour les prolétaires qui se laissent amuser par des promenades ridicules dans les rues, par des plantations d’arbres de la liberté, par des phrases sonores d’avocat, il y aura de l’eau bénite d’abord, des injures ensuite, enfin de la mitraille, de la misère toujours » (Avis au peuple, le toast de Londres, le 25 février 1851).

À la prison de Sainte-Pélagie, en 1861, il reçoit de nombreux jeunes, dont Gambetta, Clemenceau, Tridon, Ranc. Certains de ses disciples vont l’aider, après son évasion et son exil à Bruxelles, à jeter les bases d’un parti clandestin, véritable armée secrète composée de professionnels de la révolution. En dépit de ses réclusions, Blanqui résiste sans jamais renoncer à ses idées, du fond de sa cellule, il déclare la guerre des rues, organise des barricades, écrit et publie les Instructions pour une prise d’armes, une sorte de vade-mecum de l’insurrection. En septembre 1870, lorsque disparaît le régime impérial, l’organisation révolutionnaire rassemble entre 2 000 et 3 000 membres, elle recrute dans tous les milieux, elle est fortement structurée, sous la houlette de son chef charismatique. On l’appelle alors familièrement « le Vieux ».

Blanqui se méfie des constructions échafaudées par le socialisme utopique. Si la dictature révolutionnaire qui doit naître de la révolution a pour but ultime d’instaurer le « communisme », celui-ci ne saurait être le produit d’un système conçu d’avance  : « Le communisme est une résultante générale et non point un œuf pondu et couvé dans un coin de l’espace humain par un oiseau à deux pieds. » La dictature révolutionnaire s’occupera de délivrer et de protéger les pauvres contre « le joug  » des riches, de briser les instruments de la tyrannie bourgeoise, à commencer par la religion associée à l’obscurantisme (le journal Ni dieu ni maître, c’est de lui), l’armée, le pouvoir judiciaire et l’université obstacle à l’instruction. L’objectif est de conquérir le pouvoir, le reste, la république sociale sur laquelle flotterait le drapeau rouge, suivra… Blanqui sort de prison à soixante-quatorze ans, après avoir été élu député de Bordeaux sous les barreaux, mais le scrutin sera invalidé. Libre, il repart au combat. Mais l’homme est usé. L’esprit de révolte s’éteint le 5 janvier 1881. Une foule de plus de 100 000 personnes est présente au Père-Lachaise, elle vient au « Vieux », elle vient au mort.

Bernard Duraud

E) Auguste Blanqui, l’Enfermé au service de l’émancipation

Le texte de Gustave Geffroy, préfacé par Bernard Noël, remarquablement édité par les éditions l’Amourier, réveille Blanqui, le libère en l’arrachant aux historiens. Il le rend au politique comme stratégie du présent.

Blanqui, l’Enfermé, de Gustave Geffroy. Réédition préfacée par Bernard Noël, 
illustration d’Ernest Pignon-Ernest. 
L’Amourier éditions, 600 pages, 26 euros.

Le projet de Gustave Geffroy dans son Blanqui, l’Enfermé semble bien être de retrouver l’homme, le montrer s’inventant lui-même, dans les prisons les unes plus abominables que les autres, dans les rues, sur les barricades, armes à la main – chassepot ou plume selon les circonstances – et le voir devenir ce «  martyr héroïque de la liberté humaine  », selon les mots de Garibaldi. Il y a dans l’écriture de Geffroy de nombreux passages dont le timbre, le rythme, libèrent une énergie qui nous emporte. Ce livre porte et transmet l’énergie d’une fraternité turbulente, riche de ses conflits. Il y a dans ce livre une voix d’encre qui à propos d’Auguste Blanqui, de sa vie, de ses combats pour ses idées, ses analyses des situations de 1830, 1848 et 1871, ses souffrances, ses malheurs, ses 37 années d’enfermement dans les pires conditions – et toujours la mer et ses brumes autour –, ses espoirs trahis, montre et insiste sur le fait qu’il est possible d’aller vers son risque et que devenir ce que l’on est naissance, épreuve après épreuve, à soi-même. Jamais empêtré dans ses échecs, toujours à la proue

Une vie d’homme peut ressembler à cela, c’est énorme et pourtant jamais écrasant  ! Auguste Blanqui habita une douleur, «  ce fruit immortel de la jeunesse  » selon René Char. Jamais fait Blanqui – tant pis pour ceux qui tant de fois l’ont cru refait  ! – toujours à naître  ; jamais empêtré dans ses échecs – et ils furent nombreux  ! –, toujours à la proue, là où le navire fend l’eau des jours. Le Mont-Saint-Michel, Belle-Île-en-Mer, le fort du Taureau, ces trois prisons aux terribles conditions d’existence ont scandé la vie d’Auguste Blanqui et la ronde des défaites (1830, 1848, 1871).

Gustave Geffroy donne à voir au plus près «  l’effort presque surhumain  » par lequel «  il s’est arraché au milieu ennemi  » et comment l’Enfermé «  s’est évadé en lui-même  » jusqu’à écrire ce livre rempli de science et de poésie, qu’aimera Nietzsche, l’Éternité par les astres, écrit au fort du Taureau. Il montre bien l’aspect tragique de cette existence prise dans la tension entre résignation et révolte, tension toujours vive qui le jettera toujours à l’avant de ses jours, exposé au présent, tendu contre la force trompeuse de l’évidence, du temps des horloges, cet espace avec sa neutralité mathématique, ce temps où s’enchaînent les causes et les effets irrémédiablement et qui serait soi-disant la voie du progrès, pour un temps qui dans son épaisseur garde mémoire d’hier mais non en historien – ces gardiens d’un passé mort – mais bien au présent comme ce sur quoi on peut encore disputer dans l’attente d’une conscience subversive qui serait interruption du cours du monde, venue au devant de la scène des opprimés de toujours. Le livre de Geffroy réveille Auguste Blanqui, le libère en l’arrachant aux historiens. Il le rend au politique comme stratégie du présent, laissant la voie libre aux possibles, aux bifurcations, à l’inouï de l’événement intempestif, inconditionnel, comète imprévisible dans le ciel des défaites.

Oui, «  il y a des traditions de l’émancipation  », Jacques Rancière a raison. Auguste Blanqui en incarne un versant à reparcourir. Le livre de Gustave Geffroy est comme une main donnée, une vigueur renouée, le coup d’épaule fraternel d’un exemple qu’il a su rendre vivant par son écriture, alerte et toujours fraîche. Oui, il y a des mots à reprendre, à se réapproprier, le mot de «  fraternité  » par exemple, des mots dont il resterait à «  libérer le ciel  » selon l’expression du poète André du Bouchet. Certaines espérances y voyagent encore. Gardons les yeux levés, lisons  !

F) Quelques bons articles sur Blanqui

* Le communiste révolutionnaire Auguste Blanqui

http://www.matierevolution.fr/spip....

* Blanqui pendant la révolution de 1848

http://bibnumcermtri.fr/IMG/pdf/La_...


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