De Gaza à Jérusalem, c’est la même guerre

mardi 7 mai 2024.
 

Nous vivons une époque extraordinairement dangereuse en Israël-Palestine, alors que la dernière guerre atteint des niveaux extrêmes de brutalité et menace d’engloutir la région. Il n’a jamais été aussi vital pour nos journalistes et nos collaborateurs et collaboratrices – dirigé·es par des Palestinien·nes et des Israélien·nes sur le terrain et au-delà – de rendre compte et d’analyser ce qui se passe en ce moment, guidé·es par l’humanisme, l’égalité et la justice. +972 Magazine est la preuve qu’une alternative est possible – et nous avons besoin de votre soutien pour accroître notre impact. Rejoignez-nous.

En 2012, lors d’un entretien avec le journal économique The Marker sur l’économie israélienne, Benjamin Netanyahou s’est vanté, dans ce qui est devenu depuis une sorte d’expression idiomatique, que « si vous laissez de côté les Arabes et les ultra-orthodoxes, [Israël est] en pleine forme ». Aujourd’hui, le premier ministre semble affiner encore ce slogan : si l’on ne tient pas compte de tous les habitant·es, nous sommes en pleine forme.

M. Netanyahou n’est pas le seul à le penser. Depuis l’attaque du 7 octobre et la guerre d’anéantissement qui s’en est suivie à Gaza, la droite israélienne est euphorique. Même l’[attaque des missiles iraniens-https://www.972mag.com/elgindy-iran...] il y a deux semaines a réussi à détourner notre regard de Gaza, à limiter la critique internationale des crimes d’Israël, et même à gagner un regain de sympathie pour l’État.

Pendant un moment, les Israélien·nes ont pu à nouveau se regarder dans le miroir et faire semblant de voir le reflet d’une victime aimée, au lieu d’un tyran indiscipliné, vengeur et mortel. Pourtant, la catastrophe qu’Israël inflige à Gaza n’a pas disparu, et une invasion de la ville de Rafah, si elle a lieu, ramènerait probablement les scènes d’apocalypse de Gaza à la une des journaux.

Et lorsque l’attention mondiale reviendra, il est essentiel de ne pas tomber dans la fausse croyance, comme celle épousée par le premier ministre il y a dix ans, selon laquelle Gaza existe dans un univers parallèle, sa destruction se produisant dans le vide. Au contraire, l’assaut contre la bande de Gaza fait partie intégrante de la logique organisationnelle du régime d’apartheid israélien entre le fleuve et la mer – un régime dont de nombreuses et nombreux Israéliens espèrent qu’il restera en « grande forme » après la fin de la guerre.

La catégorisation des Palestinien·nes en classes distinctes – citoyen·nes d’Israël, résident·es permanent·es de Jérusalem-Est, sujet·tes occupé·es en Cisjordanie, prisonnier·es du ghetto de Gaza et réfugié·es en exil – est au cœur de la politique israélienne de diviser pour mieux régner. Elle nie effectivement l’existence des Palestinien·nes· en tant que peuple unique et organique, tout en les maintenant tous sous la domination de la suprématie juive.

Si les Israélien·nes considèrent ces catégories comme des entités sans lien entre elles, cette manipulation ne s’est jamais imposée aux Palestinien·nes elleux-mêmes, dont l’identité nationale ne reconnaît pas ces frontières artificielles, alors même que celles-ci leur imposent des droits et des expériences différents. Ainsi, la catastrophe de Gaza n’est pas perçue à Jaffa, à Naplouse ou dans le camp de réfugié·es de Shu’afat comme un événement extérieur, mais plutôt comme une blessure directe et intime à un membre du corps politique palestinien. L’inverse est également vrai : les réalités du camp de réfugié·es de Jénine, de Jérusalem-Est et d’Umm al-Fahem ne peuvent être comprises indépendamment de ce qui se passe à Gaza.

Depuis le 7 octobre, Israël mène une guerre totale non seulement contre les habitant·es de Gaza, mais aussi contre l’ensemble du peuple palestinien. Certes, à Gaza, cette guerre est menée avec une cruauté sans précédent, au point d’être qualifiée de génocide. Mais si nous considérons le régime israélien comme une main à cinq doigts, chacun saisissant une partie différente du peuple palestinien, il devient clair que cette main s’est refermée en une seule poigne de fer.

Alors qu’Israël réduit la bande de Gaza en poussière, il a accéléré le nettoyage ethnique en Cisjordanie à un degré effrayant grâce à la violence systématique de ses soldats en uniforme et de ses combattants officieux, les colons. Les récents pogroms dans des villages comme Douma et Khirbet al-Tawil ne sont pas des aberrations ; alors que tous les regards sont tournés vers Gaza, les Palestinien·nes de Cisjordanie sont soumis·es à des blocus, à des points de contrôle et à de sévères restrictions de mouvement. Des communautés entières sont expulsées par la terreur des colons qui, avec le soutien de l’armée, se déchaîne sans aucune retenue de la part du gouvernement. En effet, Israël saisit l’occasion de modifier radicalement la réalité démographique de la Cisjordanie. Cela aussi fait partie intégrante de la guerre contre Gaza.

À Jérusalem-Est occupée, Israël a avancé des plans de construction de quelque 7 000 unités de logement dans les colonies existantes ou futures de la ville, tandis que la municipalité a accéléré le rythme des démolitions d’habitations palestiniennes. Les points de contrôle, qui étranglaient les quartiers palestiniens de la ville au-delà du mur de séparation, ont resserré leur étau. Il en va de même pour la répression violente des résident·es palestinien·nes de la ville, dont des centaines ont été arrêté·es depuis le mois d’octobre, certain·es d’entre eux étant des femmes et des enfants. Des dizaines d’autres ont été placé·es en détention administrative et beaucoup d’autres encore ont reçu des injonctions les empêchant de se rendre sur le Mont du Temple/Haram al-Sharif, dans la Vieille Ville ou à Jérusalem même.

Les citoyen·nes palestinien·nes à l’intérieur d’Israël sont également confronté·es à une escalade extrême des politiques d’oppression. La hasbara israélienne cite souvent ces citoyen·nes comme preuve de l’impossibilité d’un régime d’apartheid, affirmant que les « Arabes israélien·nes » jouissent de droits égaux et peuvent voter et être élu·es au parlement. Outre des décennies de discrimination en droit et en pratique, les citoyen·nes palestinien·nes ont également été sujets, depuis le 7 octobre, à des arrestations massives et d’enseignant·e dans les universités, du harcèlement de médecin·es, d’infirmières et d’autres travailleurs et travailleusesdu système de santé, et même de la détention administrative.

Compte tenu de tous ces éléments, il est plus que jamais essentiel de ne pas tomber dans le piège tendu par la politique israélienne qui consiste à diviser pour mieux régner. Il faut voir cette guerre dans sa globalité et dans tous les territoires entre le fleuve et la mer, car tous sont définis par l’apartheid. Si l’on continue à chercher des solutions fragmentées pour chacune des catégories qu’Israël a créées pour les Palestinien·nes, au lieu de se concentrer sur le régime unique qui les considère tous comme des ennemis, le retour à l’effusion de sang et à la mort ne sera qu’une question de temps.

Orly Noy


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