Ils rêvent de guerre civile, ce sont les « accélérationnistes ».

mardi 6 février 2024.
 

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En 2013, Alex Williams et Nick Srnicek publiaient le Manifeste pour une politique accélérationniste, appelant le mouvement écologiste à accélérer le capitalisme, le progrès technologique et l’automatisation des forces productives et à dépasser l’impasse dans laquelle se trouve l’imaginaire de la gauche. Le constat que dresse l’accélérationnisme est que les politiques actuelles sont incapables de générer les nouvelles idées qui permettraient de faire face aux menaces à venir : le dérèglement climatique, la destruction terminale de certaines ressources naturelles, tandis que la crise gagne en force et en vitesse et les mouvements altermondialistes se sont révélés impuissants. L’accélérationnisme intègre un élément normatif à sa critique. Il faut intensifier, accélérer, exacerber les dynamiques autodestructrices pour forcer le dépassement d’un système jugé dysfonctionnel.

L’accélérationnisme propose d’accentuer les tendances auto-destructrices du capitalisme car pour reconstruire, il faut d’abord détruire.

Aujourd’hui, l’accélérationnisme demeure toujours aussi polémique et gagne en audience dans les milieux de l’extrême-droite « violente ». Ce terme a été récupéré par certains courants d’extrême-droite. Le propos n’est plus du tout anticapitaliste. La méthode est reprise (faire imploser un système sous le poids de ses propres contradictions), mais pas l’objectif politique. La cible c’est la société multiculturelle, dont les activistes d’extrême-droite cherchent à exacerber les clivages afin de déclencher une guerre civile raciale jugée inévitable et trouve un écho de plus en plus favorable. Le but serait-il de provoquer l’éclatement d’un conflit racial ouvert ? C’est en tout cas ce que préconise l’accélérationnisme dans sa version d’extrême-droite.

Les stratégies accélérationnistes d’extrême-droite se développent et se diffusent dans les années 2010.

Elles sont loin d’être nouvelles. Dès les années 1980, James Mason, militant de l’American Nazi Party-National Socialist Liberation Front, prône dans son essai Siege un recours à la violence débridée pour provoquer un effondrement du système. L’idée est reprise par différents réseaux américains d’extrême-droite comme Iron March ou la Division Atomwaffen. Brenton Harrison Tarrant, responsable de l’attentat de la mosquée de Christchurch en 2019, intitule l’une des sections de son manifeste « Destabilization and Accelerationism : Tactics ». L’accélérationnisme d’extrême-droite trouve une certaine caution intellectuelle dans les théorisations successives de la notion. Nick Land lui-même fait la promotion de l’Ordre des neuf angles, un culte satanique néo-nazi affilié à la Division Atomwaffen.

La stratégie accélérationiste se propage hors du monde anglo-saxon.

En France, cette idée ne trouve pas vraiment d’écho, mais l’ouvrage, en 1999, de Guillaume Faye, La Colonisation de l’Europe, est un marqueur de cette obsession.

Depuis l’extrême-droite radicale considère que cette guerre a commencé avec les attentats de 2015, et que la seule chance de survie, c’est d’accélérer le chaos et passer à la violence.

L’homme qui avait attaqué la mosquée de Bayonne, en octobre 2019, se revendiquait lui aussi de cette idéologie mais surtout de Brenton Tarrant, celui qui, en mars 2019, a tué 51 personnes et en a blessé 49 en attaquant deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande. Il y a consacré deux pages dans son manifeste intitulé « Le grand remplacement ».

Elle gagne en particulier la France en 2021, deux hommes associés à la mouvance accélérationisme et soupçonnés de préparer des « actions violentes » sont arrêtés à Montauban (82). Et les forces de l’ordre françaises ne semblent pas à l’abri.

En juin 2023, sans s’en réclamer ouvertement, les mots du communiqué de presse du syndicat de police Alliance font nettement écho au projet accélérationniste de hâter, par un déchaînement de violence, l’effondrement d’une société honnie pour lui imposer un régime nouveau : c’est un appel au « combat » contre les « nuisibles » et les « hordes sauvages », « menace de sédition », dénonciation de la « chienlit que nous vivons depuis des décennies » et des « diktats d’une minorité violente » …

La rhétorique a pour but d’exacerber les tensions dans un moment de crise. Le chaos pour rétablir l’ordre, là aussi.

L’accélérationnisme rebat les cartes dans l’extrême droite française.

Adeptes de l’une des théories racistes radicales et des plus violentes du moment, les accélérationnistes ont vu dans la pandémie de COVID-19, les différentes mesures et restrictions sanitaires, ainsi que la peur, la confusion et les critiques environnantes, une occasion de renouer avec leurs traditions violentes.

Mais revenons sur une partie de la longue histoire de la famille politique d’extrême-droite comme acteur de la violence politique.

1962-1985. De la fin de la guerre d’Algérie et du démantèlement de l’Organisation Armée Secrète (OAS) à l’émergence électorale du Front national peut, pour ce qui concerne la violence, être imputable à l’extrême-droite. On voit, en métropole, des groupes activistes s’opposer physiquement aux « ennemis » communistes et gauchistes.

À partir de décembre 1973 et jusqu’en août 1983, surviennent une quinzaine d’actes violents dirigés contre les immigrés algériens (cinq morts au total et revendiqués par un « groupe Charles Martel »). Ce climat de violence raciste survient au moment où, à partir de mai 1974, le gouvernement français met en place une politique restrictive des flux migratoires. Durant la même période, le nombre d’actes antisémites et leur gravité augmentent, notamment les attentats à la bombe (rue Médicis en 1979, rue Copernic pour ne citer que deux…).

Le Front national et les violences d’extrême-droite

Il faut maintenant évaluer le rôle du FN sur le passage de l’extrême-droite à la violence, d’un côté, le FN “canalisera” les pulsions de violence et les détournera symboliquement vers le militantisme et le vote. (Les skinheads néo-nazis ont toujours eu des liens épisodiques avec le FN, du type : brève adhésion, collages d’affiches, service d’ordre).

Après la mort de Brahim Bouaram, en marge de son défilé annuel, le 1er mai 1995, le FN communiquera sur une soit-disante prise de distance définitive entre le FN/DPS et les groupuscules.

Entre le début de la décennie 1980 et la fin des années 1990 (qui se clôt avec la scission du FN en 1998, de nombreux actes de violence sont imputables à l’extrême-droite. Curieusement sous-étudiée, c’est la mobilisation violente des militants royalistes et celle des commandos anti-avortement qui est la plus importante en termes de nombre de mobilisations. La mouvance néo-nazie poursuit ses actions violentes physiques et symboliques (profanation du cimetière juif de Carpentras en 1990). La France se dote enfin d’un instrument de mesure de la violence xénophobe, raciste et antisémite, avec la loi du 13 juillet 1990, en le confiant à la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH).

Le choc des années 2000

Le tournant des années 2000 est important car, s’il marque une augmentation des violences, il correspond également à une des évolutions de l’extrême-droite, due en grande partie à la tentative d’assassinat du président Chirac par Maxime Brunerie, le 14 juillet 2002. C’est le début de la prédominance de l’idéologie identitaire contre la société multiculturelle, prônant une vision ethno-différentialiste et régionaliste de la société, redéfinissant ainsi l’adversaire principal : l’Islam et sa présence sur le sol français.

Il faut signaler qu’une autre mutation, à la suite de la dissolution d’un des organes des identitaires, les pousse à une réflexion de fond sur l’utilité de la violence politique. Le goût pour des actions militantes de choc n’a pas disparu : celles-ci sont conçues pour provoquer une visibilité médiatique maximale. La violence physique est pensée par les milieux nationalistes comme défensive et ce pour se protéger des antifascistes. La préparation physique fait son retour pendant les camps d’été mais dans les “lieux associatifs nationalistes” avec des formations à la boxe. C’est une évolution ou plutôt un retour aux fondamentaux de l’idéologie d’extrême droite en France déjà bien enracinée.

Pour l’extrême-droite, l’autre théorie possiblement complémentaire avec celle de l’accélérationnisme en France et ailleurs : c’est le “Grand remplacement”. Cette théorie conspirationnisme est introduite en 2010 par Renaud Camus. Il s’agit de substituer la population chrétienne et blanche française et européenne par une population non européenne. Ce qui provoquerait un changement de civilisation, et serait, selon lui, soutenue, voire orchestrée par une élite politique, intellectuelle et médiatique, qualifiée de “remplaciste”. Cette conspiration serait justifiée par idéologie ou par intérêt économique. L’expression “Grand remplacement” est utilisée pour dénoncer une supposée invasion migratoire.

Les influenceurs et les faits divers au service de la cause

En 2018, des youtubeurs d’extrême-droite comme Le Raptor dissident et Papacito lançaient la constitution d’équipes locales. La structure prend rapidement son indépendance et devient le groupuscule « Vengeance patriote ». Ce dernier diffuse la traduction française de Siege, en le présentant sur son site comme « l’ouvrage de référence d’Ironmarch et Atomwaffen Division » par son « approche terroriste et clandestine de la lutte contre le pouvoir ». Si le groupe n’a pas pour autant dérivé vers l’action terroriste, il témoigne d’un début d’introduction des références de l’accélérationnisme dans une extrême-droite française déjà chauffée à blanc depuis les attentats de 2015.

S’appuyant sur les chaînes d’info en continu, certains médias et les réseaux sociaux notamment X, l’extrême-droite se jette sur tout drame lui permettant d’imposer son imaginaire xénophobe. Le Web est pour eux, un puissant organe de propagande. Les vidéos facilitent la diffusion des idées radicales. Sans égard pour l’exactitude des faits ni même pour les victimes (comme Thomas à Crépol ou en 2022 à Paris la petite Lola), les responsables politiques d’extrême-droite et les groupuscules y trouvent l’occasion d’imposer leur grille de lecture identitaire, sécuritaire et imprégnée des deux théories évoquées plus haut.

Chez Reconquête, le terme de guerre civile est clairement assumé par Éric Zemmour et sa tête de liste de Reconquête pour les élections européennes, Marion Maréchal, affirme que la mort de Thomas est un francocide. Éric Zemmour a récemment partagé un visuel de la branche jeunesse de son parti, qui appelle littéralement au combat pour échapper au supposé « francocide ».

Comme souvent, les cadres du RN sont, en apparence seulement, un peu plus modérés. Ils posent en réalité le même diagnostic et multiplient les déclarations outrancières, tournant autour du terme de « guerre civile » sans le prononcer.

Alors que des dizaines de militants violents de groupuscules d’extrême-droite ont tenté de pénétrer dans le quartier de la Monnaie à Romans-sur-Isère, le RN, toujours en quête de notabilisation, entreprend depuis des années de se distinguer de ces militants violents, qui collaborent pourtant parfois avec des élu·es du parti de Marine Le Pen.

L’emballement de l’extrême-droite autour de Thomas n’a rien de neuf ni d’improvisé. Bien au contraire elle peut compter sur ses militants numériques aguerris. La stratégie est d’ailleurs bien rodée puisqu’elle consiste à sauter sur les faits divers les plus susceptibles de choquer l’opinion publique et de conforter un imaginaire xénophobe et anxiogène.

L’instrumentalisation d’un fait divers sert à lui appliquer des interprétations préexistantes. C’est bien cette logique que l’extrême-droite a suivie dans la mesure où ses représentants ont déroulé une vision simpliste avant même que des éléments précis et contextualisés soient disponibles. Et c’est la même logique que celle qui s’était illustrée avec tant d’indécence à propos de l’affaire Lola, tout débat précis ayant été rendu impossible par une équation grossière entre présence d’étrangers et criminalité. À cette occasion, les cadres du parti Reconquête n’avaient pas hésité à rejoindre, dans une manifestation « pour les victimes » à Paris, le 21 octobre 2022, des militants de groupuscules particulièrement radicaux, comme Jean-Eudes Gannat, leader du groupe angevin l’Alvarium, dissous en 2021. Soucieux de paraître plus mesurés, les élus du RN ne s’y étaient pas rendus, malgré les nombreuses déclarations outrancières de cadres du parti.

Depuis l’affaire Lola, la mécanique de l’instrumentalisation a en tout cas été enclenchée à répétition, de l’agression d’une personne âgée à Bordeaux à l’attaque au couteau d’Annecy – quitte à retourner à la discrétion lorsque les faits ne collent plus, comme lorsque l’assaillant d’Annecy s’est révélé être évangéliste.

Sur BFMTV, Éric Ciotti, patron du parti Les Républicains, a aussi refusé de condamner la descente des militants radicaux à Romans-sur-Isère et légitime ainsi cette paranoïa et la peur de « l’autre ».

Les digues se rompent

L’historien Nicolas Lebourg estime que le principal danger de l’extrême-droite radicale reste « l’accélérationnisme ».

La persistance de la violence provenant de cette famille politique est une réalité quel que soit les liens avec le RN ou d’autres groupes plus radicaux. Fait relativement nouveau, la parole se libère chez les femmes notamment au sein de collectifs comme Nemesis ou encore au sein de l’association Parents Vigilants.

En effet, les féministes et les transgenres sont considéré.es comme une menace majeure et actrice du grand remplacement puisqu’elles sont responsables de la baisse des taux de natalité et de la diffusion de la théorie du genre. Tout cela fait partie d’une conspiration mondiale visant à exterminer la race blanche. Cette dimension apocalyptique proclamée fournit la justification de la violence, présentée comme de l’ « autodéfense ». Il est important de souligner que le « Grand Remplacement » et le « Génocide blanc » ne se concentrent pas explicitement sur les nations mais sur la « race blanche ». Les extrême-droites violentes à orientation transnationale affirment que l’attaque contre la « race blanche » ne peut être contrée que si les « nationalistes » blancs coopèrent. La pensée identitaire s’est diffusée dans le champ politique, dirigée contre une catégorie de population dont la stigmatisation n’est plus l’entreprise de la seule extrême-droite. Dans la période, la violence, les démonstrations publiques et l’utilisation de faits divers sont issus de stratégies politiques théorisées des plus dangereuses pour notre démocratie. Les groupes radicaux sont eux-mêmes une conséquence de la recherche perpétuelle de crédibilité du RN et de la politique menée par Macron (le fameux barrage) contre l’extrême droite. Edouard Philippe en a encore fait la démonstration en reprenant les arguments d’un racisme anti-blanc puisqu’en d’autres termes : la « race blanche » ne peut être sauvée que si tous les extrêmes-droites violentes, la droite réactionnaire travaillent et se battent ensemble.

Il est difficile aujourd’hui de ne pas avoir cette impression de vivre dans une dystopie cyberpunk. Les signaux d’alarme sont tous au rouge. Il est plus que temps de réagir et de s’organiser pour combattre ce fléau.

Camille Boulègue


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